BCE : les questions clés en 2014

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

* La Banque centrale européenne ne devrait pas modifier son réglage monétaire, jeudi, lors de la réunion du Conseil des Gou- verneurs. Les indicateurs macro-économi- ques vont toujours dans le sens d’une reprise progressive et, en ce début d’année, les tensions sur les marchés interbancaires se sont apaisées.

* Des actions radicales (taux négatifs ; rachat d’actifs) restent peu probables à court terme, mais la BCE se tiendra prête à réagir à tout durcissement injustifié des conditions monétaires. Un nouveau renforcement de la stratégie de « forward guidance » est possi- ble cette année. La lente réduction de la fragmentation financière, notamment grâce à une opération de refinancement ciblée (LTRO), paraît souhaitable malgré les risques liés à sa mise en œuvre. Le président de la BCE, Mario Draghi, s’est montré particulièrement explicite, à la fin de l’année dernière, en déclarant qu’il «ne voyait pas la nécessité d’agir dans l’immédiat » sur les taux directeurs. L’évolution récente du marché et les données macro-économiques lui donnent raison : les chiffres sont restés globalement conformes au scénario central de la BCE, qui table sur une expansion progressive de l’activité économique et un rebond (très) progressif de l’inflation. La BCE devrait donc profiter de ce moment de répit, comme elle en a l’habitude, tout en maintenant un biais baissier inhérent à sa stratégie de « forward guidance ».

Pour autant, elle pourra difficilement rester inactive en 2014. Nous examinons ci-après les questions les plus délicates auxquelles la BCE devra tenter de répondre. Si l’un de ces risques se concrétise, le Conseil des Gouverneurs ne manquera pas, en fonction de la nature du choc, de déployer l’arsenal de mesures à sa disposition, comme il l’a promis.

La reprise économique est-elle durable ?

Au cours des dernières semaines, la tonalité générale des indicateurs macro-économiques est restée positive, confirmant le redressement conjoncturel amorcé au deuxième trimestre 2013. À en juger par les résultats des enquêtes et par les données réelles, l’activité semble accélérer en Allemagne et, en particulier, en Espagne. Si on ne peut en dire autant de l’Italie, le repli des données d’enquête semble modeste à ce stade. La France est l’un des rares pays à déroger à cette tendance à l’amélioration. À noter, cependant, que l’enquête PMI ne reflète probablement pas la situation dans son ensemble ; les enquêtes natio- nales auprès des entreprises et les données de consommation, en particulier, dressent un tableau moins pessimiste. On n’observe, en revanche, aucune amélio- ration notable des agrégats monétaires et de crédit en novembre, sachant qu’une forme de « nettoyage de bilan » par les banques à l’approche de la revue des bilans bancaires (Asset Quality Review, ou AQR) a pu amplifier le proces- sus de désendettement. Cependant, le « credit impulse » (dérivée seconde de l’offre de crédit au secteur privé) ne s’est pas dégradé. Le risque de reprise « sans crédit » devrait toutefois maintenir la BCE en état d’alerte pendant toute la durée de l’AQR et des tests de résistance. À cet égard, de nouvelles mesures ciblées d’assouplis- sement monétaire restent à la fois probables et souhaitables mais, quelle que soit l’option envi- sagée, elle aura aussi ses inconvénients et pourrait s’avérer difficile à mettre en œuvre. Comme nous l’avons déjà indiqué, une opérations de refinancement à long terme (LTRO) condi- tionnelle, inspirée du mécanisme britannique de soutien au financement de l’économie et des PME, ou « Funding for Lending Scheme », sans être la panacée, semble être l’option la plus probable pour tenter de réduire la fragmentation du crédit.

Faut-il s’attendre à une nouvelle baisse de l’inflation ou des anticipations d’inflation ?

L’évolution des prix à la consommation sera probablement déterminante pour toute décision de politique monétaire à court terme. La BCE a baissé ses taux en novembre en réponse au repli inattendu de l’inflation en zone euro, et ce avant même que le staff de la Banque révise en baisse ses prévisions, tablant sur une remontée très graduelle de l’inflation sur les deux prochaines années pour s’établir à 1,3% en moyenne en 2015 (soit un niveau toujours très bas et bien inférieur à l’objectif de stabilité des prix). Il faudra à partir de là que des risques baissiers se concrétisent pour que la BCE modifie son évaluation des risques pesant sur la stabilité des prix et révise de nouveau ses prévisions à la baisse. Le léger repli du taux d’inflation annuel de la zone euro en décembre, de 0,9% à 0,8%, tient essentiellement à des modifications techniques dans la manière de traiter les forfaits vacances en Allemagne, de sorte qu’il ne s’agit pas là, selon nous, d’une évolution fondamentale de nature à faire bouger la BCE. Une action préventive radicale semble peu probable pour le moment, sachant que la BCE est néanmoins déterminée, comme elle l’a clairement indiqué, à mobiliser tous les moyens nécessaires pour lutter contre les risques de déflation. Nous estimons, à cet égard, que les anticipations d’in- flation doivent être surveillées de près, y compris les mesures de marché comme les swaps d’inflation à long terme (5Y5Y). Tout signe de « désancrage » des anticipations d’inflation pous- serait immanquablement la BCE à agir.

Les conditions monétaires et financières vont-elles rester conformes à l’orientation de la politique monétaire ?

La gestion des conditions de liquidité devrait rester un sujet de préoccupation majeur pour la BCE dans les mois à venir. En effet, les importants remboursements de LTRO à trois ans enregistrés à la fin de l’année dernière ont entraîné une diminution de l’excès de liquidité et une remontée des taux interbancaires de court terme. Les tensions se sont apaisées depuis avec un rebond temporaire de l’excès de liquidité à 275Mds€ sous l’effet de deux facteurs : le remplacement par les banques des fonds remboursés au titre des opérations de LTRO par des emprunts à plus court terme auprès de la BCE et l’échec des opérations de stérilisation du programme SMP (Securities Markets Programme) pendant trois semaines consécutives. Le fixing de l’Eonia a reculé de 0,45%, le 31 décembre, à un plus bas de 0,10% cette semaine. Toutefois, la demande enregistrée cette semaine lors de l’appel d’offres hebdo- madaire (MRO) (112,5 Mds €, contre 168,7 Mds € la semaine dernière), ainsi que la stérilisation totale du programme SMP (179 Mds €) vont retirer du système plus de 130 Mds € et entraîner une nouvelle baisse des liquidités excédentaires, qui se rapprocheront ainsi du seuil de 150 Mds €. Même si le marché continue à s’autoréguler, les tensions sur les taux inter- bancaires pourraient réapparaître à l’approche de ces niveaux sensibles sur un marché qui demeure fragmenté. Par ailleurs, le taux Euribor à trois mois (0,28%) et le taux Eonia forward 1Y1Y (0,29%) restent supérieurs au taux de refinancement de la BCE (0,25%).

Plutôt que d’adopter à la hâte des solutions temporaires, la BCE préfèrera, selon nous, forger un consensus sur le ou les meilleur(s) instru- ment(s) à utiliser pour maintenir des conditions de liquidité conformes à son orientation générale de politique monétaire. Mario Draghi devra toute- fois, jeudi, répondre à la question spécifique de la stérilisation du programme SMP sur fond de baisse de l’excès de liquidité, d’accroissement de la volatilité des taux et de fragmentation financière. Il serait plus que jamais judicieux de suspendre ces opérations de stérilisation du programme SMP et de laisser le marché s’ajuster à ces nouvelles conditions. En l’absence de risques d’inflation, y compris en Allemagne, il serait difficile de soutenir que la BCE prend, ce faisant, un risque quelcon- que, en dehors de celui d’aller à l’encontre d’un éventuel avertissement lancé par la Cour consti- tutionnelle allemande dont le jugement est toujours attendu sur le caractère constitutionnel des politiques de la BCE. M. Draghi pourrait ainsi évoquer cette option parmi d’autres, sans qu’aucune décision définitive ne soit prise à ce stade.

En ce qui concerne les conditions monétaires et financières au sens large, les principaux risques évoqués par la BCE à la fin de l’année dernière étaient liés à une possible appréciation de l’euro et/ou l’impact de la réduction du programme d’assouplissement quantitatif de la Fed (tapering) sur les marchés de taux en euros.

Certes, les rendements du Bund se situent à quelques 10 pdb au-dessus du niveau atteint après la réunion de décembre (et à plus de 20 pdb au-dessus des plus bas de novembre), mais les obligations des pays périphériques ont connu une nette embellie depuis le début de l’année, les banques natio- nales de ces pays ayant notamment augmenté leurs détentions d’obligations d’État. Il en va autrement du taux de change. L’EUR/USD se montre toujours résistant à la baisse après le tapering de la Fed, et la mesure de la BCE du taux de change effectif nominal de l’euro a augmenté de 5,5% en 2013, atteignant aujour- d’hui son plus haut niveau sur deux ans.

À défaut de dépréciation de l’euro, voire en cas d’appréciation persistante de la monnaie unique, la BCE pourrait facilement justifier une nouvelle détente monétaire, à commencer par un autre geste sur les taux, en ajustant à la baisse les prévisions d’inflation. Si le choc est suffisam ment important pour faire basculer la balance des risques à la baisse sur la stabilité des prix (ex : si l’EUR/USD grimpe bien au-dessus de 1,40 pendant un certain temps), la première ligne de défense de la BCE consistera, selon nous, en une légère baisse du taux de dépôt en territoire négatif, entraînant une baisse significative des taux sur la toute la partie courte de la courbe EUR et une chute de la devise.

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