BCE : l’inaction comme stratégie

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE reste « prête à agir » et une nouvelle baisse du taux Refi est toujours possible si les chiffres de croissance ou d’inflation s’avèrent décevants dans les mois à venir. Au-delà de cela, la BCE n’a nullement laissé entendre au cours de sa conférence de presse qu’elle était sur le point d’assouplir davantage sa politique monétaire.

• Mario Draghi a répété que le Conseil des gouverneurs était « techniquement prêt » à porter son taux de dépôt en territoire négatif, mais il n’a pas donné de précision sur les modalités pratiques d’une telle décision. Par ailleurs, la BCE a minimisé les risques de déflation en zone euro, et tant que ce sera le cas elle ne devrait pas, selon nous, avoir recours à des taux négatifs.

• La BCE semble avoir revu à la baisse ses ambitions concernant un éventuel programme de soutien aux PME, et c’est peut-être là la plus grande déception suscitée par cette conférence de presse. M.Draghi a indiqué que toute option consistant à soutenir le marché des ABS adossés à des prêts aux PME ne serait mise en œuvre que sur le moyen terme.

Si la décision de maintenir tous les taux directeurs inchangés était conforme à nos anticipations et à celles du marché, la conférence de presse de la BCE a été plutôt décevante pour tous ceux qui attendaient des signes tangibles d’un nouvel assouplissement monétaire. Les anticipations de marché étaient probablement trop optimistes, mais il est incontestable que la BCE a adopté un ton moins dovish que prévu. La conférence de presse de cette semaine a, dans une certaine mesure, présenté quelques similitudes avec celle du mois de janvier, lors de laquelle M. Draghi avait douché les espoirs de baisse des taux, avant d’opérer le revirement que l’on sait. Cette fois encore, M. Draghi a tenté de gérer les anticipations, tentant de convaincre le marché que le scénario central de la BCE – une reprise économique modeste au second semestre – suffirait à éviter un nouvel assouplissement monétaire sous une forme ou une autre.

Nous voyons deux principaux risques liés à cette stratégie attentiste, pour ne pas dire passive. Tout d’abord, si les risques à la baisse qui pèsent sur la croissance se concrétisent, ils pourraient forcer la BCE à réagir dans l’urgence, y compris via des mesures plus radicales qu’elle veut éviter aujourd’hui. Ensuite, les marchés pourraient sur-réagir et interpréter la politique monétaire de la BCE comme trop hawkish, avec des conséquences potentiellement indésirables sur les taux à court terme et sur l’euro, contraires à l’objectif de la BCE de maintien d’une politique monétaire accommodante aussi longtemps que nécessaire.

Le texte du communiqué est resté très semblable à celui du mois dernier, reflétant la même balance des risques, à la baisse sur la croissance, mais toujours équilibrée sur l’inflation. Le seul petit changement à souligner est une évaluation un peu plus négative de la dynamique du crédit bancaire, avec l’ajout du terme « en particulier » devant la caractérisation des prêts au secteur privé. C’est en effet un changement très subtil et d’une façon générale, en reprenant les principaux points mis en évidence dans notre preview, la BCE n’a procédé qu’à des changements mineurs en termes de communication :

• Concernant la 1d.0écision sur les taux M. Draghi a indiqué qu’« une large discussion portant sur les données disponibles » avait eu lieu et qu’elle avait débouché sur un « consensus », mais pas sur une décision unanime. Ce commentaire suggère que certains membres de la BCE ont plaidé en faveur d’une nouvelle baisse de taux.

• Concernant les projections du staff des économistes, les révisions ont été largement conformes à nos anticipations (voir graphique). M. Draghi a notamment indiqué que ces révisions reflétaient des données moins bonnes qu’attendu en début d’année, davantage qu’un changement de scénario pour la suite. Les projections médianes du PIB sont aujourd’hui de -0,6 % pour 2013 et de +1,1 % pour 2014 (contre respectivement -0,5 % et +1,0 %, il y a trois mois). La légère révision à la hausse de la croissance du PIB pour 2014 est compatible avec une amélioration progressive des taux de croissance trimestriels jusqu’à 0,4%t/t l’année prochaine, proches du niveau de croissance potentielle. Les nouveaux points médians d’inflation s’établissent à 1,4 % pour 2013 et à 1,3 % pour 2014 (contre respectivement 1,6 % et 1,3 %).

• Point essentiel, les risques pesant sur la stabilité des prix sont restés globalement équilibrés, sans aucun signal de changement à ce stade. Au contraire, M. Draghi a indiqué que le programme OMT avait contribué à réduire sensiblement les risques de déflation et que la BCE ne voyait pas de tels risques pour l’ensemble de la zone euro. Cette seule remarque suggère que des mesures non conventionnelles radicales sont encore moins probables qu’auparavant, malgré le risque d’une nouvelle baisse de l’inflation à 1 %, voire en dessous au T3 2013. Si tel devait être le cas, la BCE devrait interpréter cette baisse de l’inflation comme temporaire et ne pas intervenir à moins que les perspectives de croissance ne soient également affectées.

• Concernant la possibilité de taux de dépôt négatifs, la situation n’a pas évolué puisque M. Draghi a indiqué que cette option était étudiée et que le Conseil des gouverneurs était «techniquement prêt» à porter son taux de dépôt en territoire négatif, si nécessaire. Toutefois, il s’est abstenu d’apporter des précisions sur les mesures que prendrait la BCE face à des conséquences imprévues (par exemple, comment les opérations de refinancement seraient conduites ou comment les réserves excédentaires seraient traitées entre comptes courants et facilité de dépôt). Finalement, la réaction des marchés a été cohérente avec une plus faible probabilité de taux négatifs, ce qui est aussi notre scénario central. Cependant, cette éventualité ne peut pas être totalement écartée, au moins par défaut, si les chiffres de la croissance ou d’inflation venaient à se détériorer de façon significative pendant et après l’été.

• Concernant les conditions de liquidité, M. Draghi a indiqué que l’excès de liquidité en circulation avait encore diminué, qualifiant cette évolution de « signe positif ». Les remboursements par les banques commerciales d’une partie des opérations de refinancement à 3 ans (LTRO) traduisent effectivement une amélioration de leurs conditions de refinancement, y compris dans les pays de la périphérie. Cette remarque est toutefois surprenante, sachant que l’excès de liquidité se rapproche du seuil de 200 Mds EUR que M. Draghi avait lui-même explicitement mentionné en début d’année. Ainsi, il avait indiqué en février dernier que « même après le deuxième remboursement des LTRO, l’excès de liquidité resterait bien supérieur à 200 Mds EUR ». Aujourd’hui, la BCE n’a pas laissé entendre qu’elle souhaitait s’opposer à un resserrement passif des conditions monétaires lié aux remboursements de LTRO. Cela pourrait signifier qu’elle ne le considère plus comme une réelle menace en termes de pressions haussières sur les taux courts ou sur la devise. Dans le même temps, M. Draghi a admis que l’extension des procédures d’adjudication illimitées jusqu’à la mi-2014 était équivalente à une forme de guidage des anticipations (forward guidance) sur la liquidité. Mais que ferait la BCE si l’excès de liquidité continuait de baisser en dessous d’un certain niveau entraînant une hausse des taux EONIA ? Nous restons convaincus qu’elle ne resterait pas passive si elle était confrontée à un tel phénomène de resserrement monétaire, même marginal.

• Concernant de nouvelles initiatives de soutien aux PME, la BCE a semblé assez démunie. Le Conseil des gouverneurs a bien examiné encore une fois toutes les options possibles, tout en décidant qu’il était urgent de ne rien faire. M. Draghi a brièvement évoqué l’idée que d’autres institutions comme la BEI puissent apporter une forme de garantie pour stimuler les marchés des ABS et contribuer ainsi à un retour des crédits vers les PME, mais il a immédiatement ajouté que la mise en œuvre de toute initiative de ce type prendrait du temps. La BCE n’a pas non plus apporté de précisions sur les modalités de l’audit des actifs bancaires qu’elle doit entreprendre prochainement avec l’objectif, à terme, de renforcer les bilans des banques. Certes, la plupart des autres mesures qui pourraient être mises en œuvre pour soutenir les banques et les PME des pays périphériques ne relèvent probablement pas du mandat de la BCE, mais l’impression générale relayée cette semaine est que la BCE n’a pas de solution miracle.