BCE : piqûre de rappel politique

Par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

La BCE n’a pas annoncé de nouvelles mesures lors de sa réunion de décembre malgré de fortes révisions à la baisse des prévisions de croissance de son staff. Même les modifications (très) marginales apportées à sa communication en termes d’expansion du bilan n’ont pas été approuvées à l’unanimité.

• « En début d’année prochaine », la BCE« réévaluera » les mesures existantes et les perspectives d’inflation. Lors de sa prochaine réunion de politique monétaire, le 22 janvier, le Conseil des gouverneurs aura à sa disposition le montant emprunté lors de la deuxième TLTRO, un échantillon plus représentatif de rachats de covered bonds et d’ABS, le chiffre d’inflation du mois de décembre ainsi que l’avis de la Cour européenne de justice sur le programme OMT, attendu mi-janvier.

Le Conseil des gouverneurs a débattu de toutes les options de QE possibles (hormis les achats d’or et d’actifs étrangers), mais son président n’était pas en position de donner un signal explicite à ce stade. Les obstacles politiques à un QE souverain restent élevés, même si Mario Draghi a voulu convaincre que l’opposition de la Bundesbank pouvait être surmontée. Des mesures intermédiaires restent possibles, y compris des achats d’obligations d’entreprises et/ou d’agences supranationales, en particulier si la prochaine opération de TLTRO surprend favorablement et si le climat des affaires s’améliore rapidement.

• Les prévisions du staff de la BCE ont à nouveau été abaissées pour 2014-2015. La révision de la croissance pour 2016 est particulièrement sévère, de 1,9% à 1,5%. Les prévisions d’inflation à moyen terme ont été révisées dans une moindre mesure, les mesures d’expansion du bilan ayant été explicitement prises en compte pour la première fois. Mario Draghi a fortement insisté sur la récente baisse des cours du pétrole, estimant notamment que dans le contexte actuel de faiblesse de la croissance nominale et des anticipations, les effets directs, indirects et de second tour étaient plus incertains qu’à l’accoutumée.

Toujours plus de questions que de réponses

Les changements apportés au communiqué de la BCE sont certes dovish et suggèrent, sans surprise, que de nouvelles mesures d’assouplissement sont probables, mais ils ne permettent pas de clarifier le calendrier et la composition de ces mesures. Au contraire, la conférence de presse de cette semaine suggère des désaccords croissants entre membres du Conseil des gouverneurs. Le remplacement du mot « anticipation » (à propos d’un retour de la taille du bilan de la banque centrale vers son niveau de début 2012) par le mot « intention », que Mario Draghi a décrit comme un engagement plus ferme lors de la séance des questions-réponses, nous semble particulièrement subtil et n’a pourtant pas été approuvé à l’unanimité par le Conseil. Sabine Lautenschläger (membre du directoire) et Jens Weidmann (le président de la Bundesbank), au minimum, se sont probablement prononcés contre.

Fidèle à son discours habituel, la BCE a déclaré qu’elle restait unanime dans son engagement à recourir à de nouvelles mesures non conventionnelles et a ajouté qu’elle « réévaluerait » les perspectives macroéconomiques et les progrès en termes de stimulus monétaire et d’expansion de son bilan à la lumière des mesures actuelles (notamment les TLTROs, CBPP3 et ABSPP). Il semble évident après cette réunion que la BCE n’a pas encore dégagé une majorité suffisamment confortable en faveur d’un QE souverain. Mario Draghi a déclaré que l’unanimité n’était pas nécessaire pour décider de mettre en place des rachats de dette souveraine, qui seraient par ailleurs compatibles avec les traités, mais de notre point de vue la BCE ne prendra pas le risque de lancer un programme aussi controversé contre l’avis d’un nombre important de membres du Conseil. Les décisions à venir dépendront des données et des mesures intermédiaires, telles que des achats plus importants de dette privée, restent d’actualité, notamment si la deuxième TLTRO, prévue le 11 décembre, surprend favorablement.

Pendant la séance des questions-réponses, le président de la BCE n’a évoqué les achats de dette souveraine que comme « une possibilité parmi d’autres » qui « entre clairement dans le cadre de notre mandat». Il a ajouté que la BCE pouvait également intervenir sur d’autres marchés, à l’exception de l’or et des actifs étrangers (ce qui reviendrait à des interventions de change). Chose inhabituelle, probable conséquence d’une levée de boucliers de plusieurs membres du Conseil des gouverneurs, Mario Draghi a demandé au vice- président Vitor Constancio de préciser que ses récents commentaires en faveur d’un QE souverain ne reflétaient pas la position du Conseil et que de tels achats ne seraient pas nécessairement ventilés par pays sur la base des clés de répartition du capital de la BCE. Il s’agit clairement d’un rétropédalage en bonne et due forme et d’un rappel des obstacles techniques et politiques à la mise en place d’un QE souverain.

Ces obstacles au QE pourraient être surmontés en cas de nouvelle dégradation des perspectives de croissance et de stabilité des prix. Notre scénario central table, à l’inverse, sur une accélération des rythmes de croissance en 2015 et sur une période prolongée d’inflation faible, avec toutefois une inflation sous-jacente plus résiliente. Nous pensons par ailleurs que l’opération de TLTRO du 11 décembre surprendra favorablement, même si les risques sur notre prévision initiale d’un montant emprunté de 220 Mds EUR sont orientés à la baisse, d’autant que nous espérions un geste de la BCE pour en assouplir les conditions. En conséquence, il n’est pas garanti que la BCE sera contrainte de recourir à un QE souverain et la décision dépendra notamment des anticipations d’inflation. Dans tous les cas, des mesures d’assouplissement intermédiaires semblent toujours possibles, notamment des achats d’obligations d’entreprises ou d’agences supranationales, au premier trimestre.

Des prévisions plus basses… mais assorties de risques haussiers !

Les prévisions du staff de la BCE ont été révisées à la baisse : les prévisions médianes de croissance sont ainsi passées de 1,6% à 1,0% pour 2015 et de 1,9% à 1,5% pour 2016. Alors que le nouveau chiffre pour 2015 a été clairement influencé par des effets d’acquis défavorables (liés à la croissance attendue fin 2014), la révision de la croissance pour 2016 peut surprendre par son ampleur. Elle résulte d’une aggravation du « pessimisme de long terme » du staff et d’un écart de production élevé qui ne commencera à se « contracter partiellement » qu’en 2016. De plus, les effets positifs du repli de l’euro seraient partiellement compensés par l’affaiblissement de la demande extérieure.

Les projections médianes d’inflation ont également été revues à la baisse. Elles sont sujettes à des facteurs de sens contraires : un point de départ plus faible, la baisse des cours du pétrole, la dépréciation de la devise et les effets du stimulus monétaire. La prévision d’inflation pour la zone euro n’est plus que de 0,7% en moyenne pour 2015 et de 1,3% en moyenne pour 2016, à 1,4% environ en fin d’année (voir le profil trimestriel dans le graphique ci- dessous). La prévision sur l’inflation sous-jacente a été abaissée de 0,2% en moyenne pour 2016, mais le profil trimestriel communiqué par la BCE suggère que la dynamique à fin2016 reste à peu près inchangée. De plus, le staff note que « le scénario central sous-estime probablement l’impact des mesures de politique monétaire, ce qui implique un risque haussier sur la croissance et l’inflation » (lien), dans la mesure où certains canaux de transmission de l’expansion du bilan n’ont pas été pris en compte, notamment « la baisse des coûts de financement pour les banques de la zone euro » ou « l’effet des rééquilibrages de portefeuille ».

Enfin, les commentaires de Mario Draghi sur les effets directs et indirects de la baisse des cours du pétrole pourraient être vus comme une simple excuse pour reporter une décision inévitable sur le QE. Ce n’est probablement pas la seule explication. Mario Draghi a annoncé que l’inflation pourrait baisser encore plus à court terme : le staff est en effet parti de la situation au 13 novembre pour établir ses prévisions, mais les cours ont à nouveau baissé depuis. Nos prévisions d’inflation reflètent un risque élevé de chiffres d’inflation légèrement négatifs au tournant de l’année. À moyen terme, cependant, la baisse des cours du pétrole – probablement provoquée en grande partie par un effet d’offre – devrait avoir un effet net positif sur la croissance (un « mini-stimulus », selon l’expression de Jens Weidmann). Compte tenu de ces différents éléments, nous pensons que la prévision d’inflation pour 2017, qui figurera dans les prévisions du staff en mars 2015, sera d’environ 1,7%. Si la BCE n’a pas lancé de QE souverain d’ici la publication de cette prévision, un chiffre de cet ordre n’est pas de nature à convaincre les opposants au QE.

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole