BCE : rendez-vous en 2014

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

•  La conférence de presse du 5 décembre n’a pas changé notre prévision d’un nouvel assouplissement monétaire en 2014, même s’il reste difficile de prévoir quand et sous quelle forme la BCE passera à l’action. Un renforcement de sa politique de guidage des anticipations nous semble probable, de même qu’une nouvelle opération de refinancement calibrée pour réduire la fragmentation du crédit. Une (légère) baisse du taux de refinancement n’est pas exclue, en cas de déception sur la croissance ou sur l’inflation.

• Draghi a eu des difficultés à expliquer l’apparente incohérence entre la prévision d’inflation de son staff pour 2015 (1,3%) et l’anticipation de la BCE selon laquelle l’inflation doit revenir vers sa cible à moyen terme.

• Dans l’ensemble, la réunion de décembre a semblé décevoir les marchés, notamment parce qu’aucune nouvelle mesure de liquidité n’a été annoncée, mais la BCE a peut-être préparé le terrain pour une nouvelle surprise en 2014.

La BCE a décidé de laisser tous ses taux directeurs inchangés lors de sa réunion du 5 décembre et le ton général de son communiqué et de la conférence de presse n’ont pas réservé de surprise majeure par rapport aux anticipations. Mario Draghi s’est montré dovish, mais pas vraiment davantage que le mois dernier. L’absence de nouvelle mesure de liquidité constitue clairement une certaine déception, mais nous avons l’impression que la BCE n’a pas encore déterminé quel instrument serait le plus approprié pour contenir les taux interbancaires Eonia et Euribor. Plus généralement, il nous semble que Draghi a surtout cherché à gagner du temps pour voir comment l’activité économique et les prix allaient évoluer dans les mois qui viennent, tout en réaffirmant clairement que le biais baissier restait en place. Il a plus que jamais répété que la BCE était « prête à agir » dans le cadre de son guidage des anticipations.

Les nouvelles prévisions du staff de la BCE étaient particulièrement attendues, notamment les projections à moyen terme. La prévision médiane de l’inflation pour 2015 (1,3%) est finalement inférieure à nos prévisions, mais la croissance attendue pour cette même année est de 1,5%, un chiffre supérieur au potentiel, ce qui conduit à une prévision de croissance nominale basse, mais globalement stable. Enfin, le Conseil des gouverneurs pourrait s’appuyer sur la publication d’hypothèses détaillées – une autre innovation – sur lesquelles reposent les prévisions du staff et sur la probable publication des minutes l’an prochain pour donner davantage d’information sur sa fonction de réaction et sur l’horizon de temps sur lequel s’applique le guidage des anticipations.

BCE : « Joyeux Noël, et à l’année prochaine ! »

Le fait que la BCE ait décidé de ne rien faire lors de sa réunion de décembre ne signifie pas qu’elle ne fera rien en 2014. À de nombreux égards, Mario Draghi a semblé préparer le terrain pour de nouveaux changements sur la communication et la gestion de la liquidité. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois qu’il use de cette tactique depuis qu’il a pris la tête de la BCE.

– « Une baisse des taux n’a pas été envisagée » ce mois-ci, a précisé Mario Draghi tout en justifiant ex-post la baisse des taux du mois de novembre. Le président de la BCE a affirmé que les données dont disposait le Conseil des gouverneurs (dont les agrégats monétaires et de crédit) confirmaient que la décision prise en novembre était pleinement justifiée, malgré le rebond de l’inflation en novembre et la bonne tenue des enquêtes de climat des affaires. Certains membres de la BCE s’étant apparemment prononcés contre la baisse initialement, les commentaires de Draghi suggèrent que leur désaccord ne s’est ni accentué, ni étendu à leurs collègues.

– Les prévisions du staff envoient un message mitigé, notamment pour 2015 avec une inflation (1,3%) légèrement inférieure à notre prévision, mais une croissance (1,5%) au-dessus du potentiel, d’où une croissance nominale attendue à un niveau très légèrement supérieur aux prévisions d’il y a un an. La balance des risques est restée inchangée : à la baisse pour l’activité et globalement équilibrée pour la stabilité des prix. Cependant, le fait que la BCE ne remplit pas son mandat, cette fois encore, est difficilement contestable : les prévisions du staff semblent assez incohérentes avec l’affirmation de la BCE selon laquelle l’inflation reviendra graduellement vers sa cible à moyen terme. Mario Draghi n’a pris qu’assez peu de recul par rapport aux prévisions du staff. Il a préféré souligner que les anticipations d’inflation étaient bien ancrées et qu’une remontée de l’inflation sous-jacente était attendue en 2015, une situation liée à des facteurs externes (dont le taux de change et les cours du pétrole) qui modèrent l’inflation totale sur l’horizon de prévision1. Nous pensons cependant que si une nouvelle détente monétaire s’avère nécessaire, la BCE n’hésitera pas à basculer la balance des risques à la baisse sur la stabilité des prix.

– L’horizon des prévisions du staff n’a pas été étendu, mais la BCE a publié davantage de détails sur les hypothèses utilisées par les modèles du staff. Le document contient, entre autres, deux innovations : a) des prévisions sur différentes mesures de l’inflation sous- jacente et du coût du travail (l’inflation sous- jacente à fiscalité inchangée est attendue à 1,1% en 2014 puis à 1,4% en 2015, soit une hausse relative plus importante que l’inflation totale, tandis que la progression des salaires nominaux est attendue à 1,8% en 2013 et 2014 puis à 2,1% en 2015) ; b) des graphiques représentant les prévisions centrales et un éventail de valeurs encadrant charts »), notamment graphiques permettent notamment de visualiser l’ensemble des valeurs projetées pour l’inflation sous différentes hypothèses, toutes supérieures à zéro à ce stade. In fine, fournir ces détails pourrait être, pour le Conseil des gouverneurs, une manière de donner des indications supplémentaires sur les variables prises en compte dans sa fonction de réaction (au premier rang desquelles les pressions sous- jacentes sur les prix).

– Aucune décision n’a été prise non plus concernant la publication des minutes. La BCE s’était initialement engagée à faire une annonce avant la fin de l’année, mais Mario Draghi a expliqué le retard pris par «la complexité du sujet ». La publication des minutes reste néanmoins probable l’année prochaine, mais avec un degré de granularité faible et sans détail des votes individuels, selon nous.

– En termes de gestion de la liquidité, la BCE s’est contentée de répéter qu’elle « surveillait les développements de près et se tenait prête à envisager tous les instruments disponibles ». La BCE pourrait certes mettre à profit sa réunion de milieu de mois, le 18 décembre, pour prendre des mesures d’urgence destinées à apaiser les tensions de fin d’année sur les taux courts, mais cela n’irait pas au-delà de mesures d’ajustement ponctuel (telle qu’une adjudication exceptionnelle, voire une baisse du ratio des réserves obligatoires). Nous avons l’impression que la BCE souhaite laisser le marché monétaire s’ajuster graduellement à la baisse du taux de refinancement et au recul de l’excès de liquidité, mais cette stratégie pourrait se retourner contre la Banque centrale si les pressions haussières sur les taux Eonia et Euribor se renforcent. Mario Draghi a par ailleurs déclaré que le Conseil avait « eu une brève discussion à propos des taux négatifs», mais qu’il n’avait pas identifié un instrument particulier qui permettait de répondre de manière adéquate à la situation.

– Plus important, Mario Draghi a d’abord contesté l’utilité d’une nouvelle opération de financement à très long terme (du type des LTRO à 3 ans), compte tenu du contexte macroéconomique et de marché – très différent de celui de 2011/2012 – dans lequel les banques commerciales évoluent aujourd’hui. Il a cependant ajouté qu’il n’excluait pas une opération de refinancement plus ciblée, tout en précisant que « si nous [lançons une telle opération] nous voulons être certains qu’elle servira à financer l’économie réelle et non à mettre en place des opérations de portage sur des titres d’État ou à servir de substitut au capital des banques». Il nous semble que ceci est une nouvelle allusion à un LTRO de type Funding for Lending Scheme (financer les banques pour financer l’économie), semblable dans le principe à ce que la Banque d’Angleterre a mis en place, mais adaptée aux 17 économies de la zone euro et leurs spécificités. Ainsi que nous l’avons écrit à différentes occasions, une telle opération spécifique pourrait constituer l’outil le plus efficace (et la réponse la plus probable de la BCE) pour combattre la fragmentation du crédit, une fois que les conditions seront remplies dans le courant du premier semestre 2014, en coordination avec les gouvernements, la BEI, la Commission européenne et les banques centrales nationales. Dans le détail, la BCE essaiera probablement de cibler spécifiquement certains types de collatéraux (créances privées, ABS), en modulant les décotes applicables si c’est possible, voire même le mode de prise en compte de certains titres dans les stress tests, afin de s’assurer que les capitaux ainsi levés iront bien là où elle le souhaite. Il reste à voir si la BCE peut réellement atteindre cet objectif et si elle décidera de lancer un LTRO même si cela n’était pas le cas dans la mesure où une telle décision pourrait viser d’autres objectifs, notamment le renforcement de la forward guidance.

– La BCE fonde de grands espoirs sur l’AQR (Asset Quality Review – revue de la qualité des bilans bancaires) et les stress tests, prévus prochainement, avec l’idée qu’une évaluation crédible permettra d’éviter un scénario à la japonaise (scénario dans lequel des ‘banques zombies’ empêchent l’ensemble de la région d’évoluer vers une reprise tirée par l’économie domestique)

NOTES

  1. Les prévisions complètes du staff de la BCE (lien) expliquent ces prévisions, en soulignant que « ces perspectives d’inflation modérées sont liées en partie à l’impact sur l’inflation des prix de l’énergie de la baisse des cours des futures sur pétrole, à l’appréciation passée de l’euro et au sous-emploi persistant des ressources dans l’économie ».

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