par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Ca y est la BCE l’a fait ! En augmentant son taux refi de 25pb le 7 avril, la BCE a enfin commencé sa sortie de la politique monétaire à taux très faible qu’elle souhaitait opérer depuis longtemps. En effet, elle aura maintenu le taux refi à 1% pendant près de deux ans. Depuis plus d’un an, les obstacles se sont accumulés l’empêchant de franchir le pas : crise grecque au printemps 2010 et crise irlandaise à l’automne dernier, dans un environnement d’inflation inférieure à 2%. Avec la forte augmentation de l’inflation européenne ces derniers mois (2,6% en mars), celle-ci dépassant la limite de 2% depuis le début de l’année, la BCE avait enfin l’opportunité de légitimer une hausse de taux, marquant le début de la normalisation de la politique monétaire.
La crise portugaise n’aura donc pas été un frein à la hausse de taux, ce qui ne semble guère étonnant dans la mesure où la BCE a toujours dissocié la politique monétaire conventionnelle (de taux) et politique non conventionnelle (allocation illimitée de la liquidité, programmes d’achats de titres SMP). Cette vision est d’ailleurs très différente de celle de la Réserve Fédérale américaine qui considère que la politique monétaire non conventionnelle (politique quantitative) n’est que le prolongement de la politique de taux.
La décision de la BCE vise à contrer les risques haussiers sur l’inflation, en particulier en contribuant à maintenir les anticipations d’inflation bien ancrées. En effet, la BCE estime que les risques sur l’inflation sont orientés à la hausse alors que les risques sur la croissance sont équilibrés, en précisant toutefois qu’une grande incertitude persiste. A ce stade, JC Trichet n’annonce pas un cycle de resserrement monétaire (« nous n’avons pas décidé que c’était le début d’une série de hausses de taux ») mais il souligne dans son discours que la politique monétaire reste accommodante (vs très accommodante le mois dernier).
En retirant l’expression « strong vigilance », la BCE suggère qu’une pause sera faite en mai. Dans ce contexte, il nous semble très probable qu’une deuxième hausse de taux aura lieu début juin, le taux refi atteignant alors 1,50%. Concernant la politique non conventionnelle, rien de nouveau sous le soleil, JC Trichet réitérant que les mesures exceptionnelles d’allocation de la liquidité étaient temporaires par nature mais il est vraisemblable qu’elles soient maintenues encore une bonne partie de l’année 2011, étant donné les difficultés d’un certain nombre de banques européennes.
Qu’attendre ensuite ? Le marché anticipe actuellement encore deux hausses de taux d’ici la fin de l’année et trois hausses en 2012. Pour notre part, nous pensons à ce stade, qu’après la hausse de juin, la BCE pourrait faire une pause assez longue. Cette vision repose sur plusieurs hypothèses importantes : la première est le retour progressif de l’inflation européenne vers 2% fin 2011/début 2012 après un pic en juillet à 2,7%, avec l’absence d’effets de second tour (pas de boucle prix-salaires). La deuxième est le ralentissement de l’économie européenne qui devrait souffrir de la ponction sur le revenu national du choc « matières premières », de la consolidation budgétaire et d’un marché du travail encore fragile (faible hausse de l’emploi et des salaires).
Si nous sommes assez confiants sur nos prévisions de croissance, nous le sommes beaucoup moins sur nos prévisions d’inflation, en raison principalement de l’incertitude portant sur l’évolution du prix du pétrole. Ce dernier va en effet dépendre dans les mois qui viennent d’événements peu prévisibles (événements géopolitiques). Notre scénario central retient un retour du prix du pétrole à 100$ au second semestre mais on peut très bien imaginer dans l’environnement actuel un scénario avec un prix durablement plus élevé de 20$.
Rappelons qu’une hausse permanente de 10 euros du baril de pétrole engendre 0,5pt d’inflation supplémentaire…L’évolution de l’EUR/USD est donc également importante puisqu’elle peut permettre d’atténuer la hausse du prix du pétrole en euros, ce que l’on a d’ailleurs vu récemment. Une augmentation de 15 euros par exemple, ce qui ne semble pas impossible dans le contexte actuel, impliquerait une inflation de 0,8pt supplémentaire dans la zone euro… Face à une croissance faible mais à une inflation supérieure à 3% au second semestre 2011, peut-on imaginer la BCE laisser ses taux inchangés ?
La réponse à la question initiale dépend donc grandement de facteurs sur lesquels la visibilité aujourd’hui est limitée.