BCE vs Fed : quelle « forward guidance » ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

La communication est un outil utilisé par les banques centrales pour tenter de guider les anticipations des marchés et des agents économiques. Son utilisation s’est fortement développée depuis le début de la crise financière de 2008. La « forward guidance », qui consiste à communiquer sur la trajectoire à venir des taux d’intérêt directeurs, est un outil supplémentaire lorsque ces derniers sont à zéro et que les marges de manœuvre de la politique de taux sont nulles. Elle permet de maintenir les taux d’intérêt à long terme à un faible niveau rendant les conditions monétaires plus accommodantes.

La « forward guidance » revêt plusieurs formes reflétant des objectifs différents.

  • La banque centrale peut l’utiliser pour émettre un signal plus « dovish » sur sa politique monétaire à venir et expliquer ses anticipations qui sont parfois différentes de celles des agents économiques et des marchés ou mal comprises et mal interprétées par ces derniers, de façon à influencer la courbe des taux et à rendre la politique monétaire plus accommodante. Elle rend cette dernière plus transparente.
  • Elle peut également l’utiliser pour communiquer au marché qu’elle s’engage à dévier de sa fonction de réaction en maintenant par exemple les taux directeurs à 0 pendant une période plus longue que celle suggérée par sa fonction de réaction. C’est ce type de « forward guidance » qui est le plus efficace dans la mesure où il permet a priori de rendre les conditions monétaires plus expansionnistes qu’elles ne l’auraient été avec le premier type de communication. Pour autant, il faut que la banque centrale soit crédible de façon à ce que les agents croient en sa capacité à dévier de sa fonction de réaction qui constitue sa préférence. Comment être sûr en effet qu’elle ne changera pas d’avis si les conditions économiques évoluent.

Depuis la crise financière de 2008, la Réserve Fédérale a utilisé la « forward guidance » comme outil privilégié. Les différents changements qu’elle a opérés au cours des dernières années révèlent que l’exercice n’est pas aisé. Elle est progressivement devenue plus précise, passant d’une condition vague de temps à des objectifs chiffrés sur les variables macroéconomiques. En décembre 2008, la Fed annonce que les taux devraient rester à un niveau exceptionnellement faible pendant un certain temps (« for some time »). En Mars 2009, elle remplace « some time » par « for an extended period », qu’elle transforme à trois reprises en « au moins jusque mi-2013 » en mars 2011, « jusque fin 2014 » en janvier 2012 et « jusque mi-2015 » en septembre 2012. Enfin, en décembre dernier, elle annonce qu’elle n’augmentera pas les taux tant que le taux de chômage reste supérieur à 6,5% et que l’inflation anticipée à 2 ans ne dépasse pas 2,5% (0,5% au dessus de la cible).

Le débat s’est ouvert pour savoir quel type de « forward guidance » la Fed avait adopté. Le fait de donner une date précise a soulevé la question de ce que ferait la Fed si les conditions s’amélioraient plus vite que prévu. Se tiendrait-elle à son engagement passé ou modifierait-elle son discours pour suivre sa fonction de réaction ? La réponse n’est pas triviale. La nouvelle « forward guidance » semble indiquer plus clairement une déviation par rapport à sa fonction de réaction, la Fed précisant que la politique monétaire restera très accommodante bien après que l’économie se soit améliorée. Cela ne veut pourtant pas dire que le marché en soit convaincu, avec l’anticipation d’une remontée plus rapide des Fed funds que celle suggérée par la Fed.

La BCE, quant à elle, s’était toujours refusée à communiquer sur la politique monétaire au-delà du conseil suivant. En ce sens, le Conseil des gouverneurs de juillet 2013 constitue une rupture avec le fameux « never pre commit » puisque la BCE introduit une « forward guidance » indiquant qu’elle anticipe que les taux vont rester à un faible ou plus bas niveau pour une longue période (« extended period »). La BCE a clairement indiqué que sa « forward guidance » était un moyen de communiquer un biais baissier mais qu’elle n’impliquait pas de changement dans sa fonction de réaction. C’est donc la première forme de « forward guidance » que la BCE a choisi. Certains ont réagi en disant qu’une telle formulation n’apportait rien de plus à la situation qui prévalait précédemment. Nous ne partageons pas ce point de vue.

La BCE n’a effectivement pas choisi la forme de « forward guidance » la plus efficace et sa formulation très floue, qui lui permet de garder un degré de liberté, lui fait également perdre en efficience en ne favorisant pas une anticipation claire par le marché. D’ailleurs à la question de ce que voulait dire « extended period », Draghi n’a pas répondu. Comment guider alors les anticipations sur la courbe de taux et éviter de créer de la volatilité ? Si elle ne modifie pas sa stratégie, elle change cependant sensiblement sa façon de communiquer. Comme la Fed, il est fort probable que la BCE ajuste sa « forward guidance » dans le futur pour tenter de la rendre plus efficace. Lier la hausse de taux à des seuils macroéconomiques ferait gagner en transparence et donc en efficacité. En tout cas, la décision de la BCE a jusqu’à présent permis de faire baisser la courbe des swaps eonia et de limiter l’effet haussier sur les taux euro des tensions sur les taux américains.

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