BCE/Fed : le grand écart

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Alors que les différents gouverneurs de la BCE alimentent les anticipations des marchés sur un assouplissement supplémentaire de la politique monétaire de la zone euro lors du prochain conseil le 5 juin(1), la Fed poursuit ses réflexions sur les stratégies de sortie de la politique à taux zéro.

En effet, les Minutes du dernier FOMC (du 29/30 avril) ont révélé (sans surprise) que les membres du FOMC avaient discuté de la normalisation de la politique monétaire et en particulier des outils possibles pour piloter l’évolution des taux courts dans un contexte de liquidité excédentaire dans le système (taille du bilan inchangée)2. Toutefois, peu de détails ont été donnés sur les stratégies de sortie. A ce titre, le discours de W. Dudley(3), président de la Fed de NY, a apporté un éclairage nettement plus intéressant même si, bien sûr, il ne reflète pas nécessairement la vue du FOMC.

En effet, si l’on sait déjà qu’il n’y aura pas de ventes fermes de titres détenus par la Fed et que l’amaigrissement du bilan pour revenir à une taille sans excès de liquidité se fera par l’amortissement progressif des titres, la question du timing de l’arrêt du réinvestissement des tombées reste ouverte. Dudley plaide pour la poursuite du réinvestissement facilitant ainsi la communication de la Fed, la priorité étant donnée à la sortie de la politique à taux zéro.

Un arrêt du réinvestissement pourrait en effet provoquer un resserrement des conditions monétaires et financières empêchant ensuite la Fed d’augmenter les taux courts. La taille du bilan resterait inchangée au niveau atteint à la fin du tapering (environ 4500Md$) pendant encore longtemps. Par ailleurs, point très important déjà souligné de façon implicite dans la forward guidance de la Fed mais argumenté par Dudley, le fait que la Fed maintiendra les taux directeurs à un niveau plus faible que le niveau considéré comme normal dans le long terme même lorsque l’emploi et l’inflation seront proches du niveau désiré par la Fed. Son point est de mettre en avant que le taux réel d’équilibre des Fed funds pourrait être plus faible que par le passé pendant longtemps en raison 1/ d’un comportement plus prudent des agents privés (consommation et investissement) après la Grande récession 2/ une croissance potentielle plus faible (démographie et gains de productivité moins favorables) 3/ les nouvelles réglementations bancaires. Ceci impliquerait de revoir le taux réel d’équilibre (en général considéré à 2%) à la baisse modifiant ainsi la Règle de Taylor. Finalement, on retombe sur le débat sur la secular stagnation(4) qui suggère que la croissance potentielle est désormais plus faible.

Ainsi si la Fed prépare le terrain à la normalisation de la politique monétaire par une remontée des taux directeurs probablement mi-2015 (dans un scénario consensuel de redémarrage de la croissance vers son potentiel), les signaux qu’elle envoie restent très dovish. La forward guidance va probablement rester l’outil privilégié pour tenter de maintenir les taux longs à un bas niveau et éviter leur remontée trop brusque dans un environnement où la reprise immobilière reste fragile et où l’investissement des entreprises ne montre pas de signes francs de dynamisme.

Du côté européen, la BCE va probablement baisser le refi le 5 juin et devrait même passer le taux de dépôt en territoire négatif. Nous n’excluons pas non plus l’annonce de mesures visant à soutenir le financement des agents privés. Les dernières enquêtes et statistiques d’activité continuent en effet de refléter la faiblesse de l’économie européenne en dépit de la sortie de récession.

Quelles conséquences pour les marchés ?

Résultat des anticipations de remontée des taux directeurs aux Etats-Unis alors que les taux d’intérêt de la zone euro seront proches de zéro, les taux courts américains et européens devraient évoluer de façon différenciée. Si l’écart de taux longs pourrait encore s’ouvrir, rappelons que le spread Tnotes/bund a fortement augmenté depuis un an (d’environ 50pb en mai 2013 à 115pb actuellement), nous pensons que la Fed continuera à piloter les taux longs américains de façon à éviter qu’ils ne remontent trop.

La divergence de politiques monétaires des deux côtés de l’Atlantique qui devrait durer jusqu’en 2016 suggère un mouvement tendanciel d’appréciation du dollar contre euro. Il nous semble toutefois que d’autres facteurs (notamment les balances courantes) pourraient limiter le potentiel de dépréciation de l’euro dans les trimestres à venir même si celle-ci serait la bienvenue pour aider certains pays de la zone euro à se redresser.

NOTES

  1. Cf Edito Eco hebdo du 16 mai « BCE: quel package en juin?»
  2. Cf SR 2014-68 « La Réserve Fédérale : Exit strategy 2.0 »
  3. Cf Discours du 20 mai 2014 de William C. Dudley « The Economic Outlook and Implications for Monetary Policy»
  4. Cf Discours de Larry Summers

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