Belgique : un pays du centre, pas de la périphérie

par Axelle Lacan, économiste au Crédit Agricole

  • Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal, la Belgique subit à son tour la pression des marchés financiers. La prime de risque sur les obligations d’Etat a ainsi atteint un plus haut depuis un an courant janvier, à 135 points de base.
  • Pourtant, l’économie belge dispose de solides atouts pour rassurer les investisseurs. Contrairement à la Grèce, première cible des marchés financiers sur le front de la dette souveraine, la Belgique a un modèle de croissance solide, un déficit public contenu et une dette publique en voie de stabilisation.
  • Alors pourquoi ce soudain coup de projecteur ? L’instabilité politique qui règne depuis maintenant six mois dans le pays focalise toutes les attentions. Les conséquences d’une persistance de cette crise politique pourraient-elles faire de la Belgique un des prochains maillons faibles de la zone euro ?

 

Un modèle de croissance solide

La Belgique a connu une récession moins profonde que l’ensemble de la zone euro. Son PIB ne s’est contracté «que» de 2,7% en 2009, contre -4 % en moyenne dans la zone.

La solidité de la situation financière des ménages comme des entreprises belges à l’entrée de la crise, et notamment la faiblesse de leur taux d’endettement, peut expliquer cette résilience. L’investissement total s’est ainsi contracté beaucoup moins violemment que dans d’autres pays de la zone euro (-1,1 % en 2009, contre -11,3 % dans l’ensemble de la zone euro).

Au troisième trimestre 2009, l’économie belge est sortie de récession, grâce, d’une part, à la vigueur de la consommation privée, soutenue par le plan de relance, et d’autre part, à la contribution très positive du commerce extérieur, en lien avec le dynamisme de l’Allemagne, son principal partenaire commercial. En 2010, la Belgique devrait ainsi afficher une croissance de l’ordre de 2 %, soit un rythme supérieur à la moyenne de la zone euro.

Seule ombre au tableau, la Belgique est dans une impasse politique qui risque à terme de rétroagir négativement sur sa situation économique. L’absence de gouvernement et d’orientation politique pourrait en effet peser sur la dynamique de croissance à moyen terme.

En 2011 et 2012, la croissance belge devrait toutefois rester solide, grâce à la poursuite du redressement de la demande domestique, en lien avec l’évolution favorable des revenus des ménages comme des entreprises. La consommation privée devrait notamment bénéficier de la baisse du taux d’épargne des ménages belges, qui a atteint des sommets pendant la crise (de l’ordre de 20% du revenu disponible en 2009). L’investissement devrait, quant à lui, être soutenu par des conditions de financement très avantageuses et le besoin manifeste de renouvellement et de modernisation du capital devenu obsolète pendant la récession.

Nous prévoyons néanmoins un léger tassement de l’activité, à 1,7 % en 2011 et 1,8 % en 2012. La demande domestique doit désormais prendre le relais des facteurs temporaires de croissance, que constituaient le plan de relance, le rebond technique de la demande mondiale et le mouvement de restockage. Or, plusieurs facteurs pourraient brider en 2011 et en 2012 cette demande domestique, en particulier l’évolution du marché de l’emploi. Les entreprises belges ont eu recours massivement à différents mécanismes, à l’instar du « chômage temporaire » ou du « crédit-temps de crise » 1 , mis en avant par l’ONEM (Office national de l’Emploi) pour éviter les licenciements.

Ainsi, la productivité du travail a fortement reculé, de près de 4% a/a au premier trimestre 2009. À partir du troisième trimestre 2009, l’activité s’est redressée et la productivité a rebondi. Pour confirmer ce sursaut, les entreprises belges pourraient être amenées à désormais limiter leurs embauches, ce qui pénaliserait la consommation des ménages.

A plus long terme, le modèle de croissance belge semble équilibré et solide. Sur le plan de la demande domestique, la Belgique jouit d’un taux de chômage globalement moins élevé que la moyenne de la zone euro. Par ailleurs, la part des profits dans la valeur ajoutée est en hausse depuis début 2009, ce qui devrait permettre à terme un redressement de l’investissement. Sur le plan du commerce extérieur, la Belgique bénéficie de coûts salariaux relativement peu élevés, ce qui devrait lui permettre de rester compétitive.

Un déficit public contenu

En 2009, le déficit public belge a atteint 6 % du PIB, après 1,3% en 2008. Cette hausse non négligeable s’explique par deux facteurs.

D’une part, la contraction du PIB, de -2,7 % en volume en 2009, a eu un impact très négatif sur le solde conjoncturel, qui s’est dégradé de 2,2 points.

D’autre part, les mesures de relance de l’activité – à l’instar de la réduction de la TVA sur la construction, la hausse des prestations sociales, ou l'accélération des investissements publics – mises en œuvre pour préserver le pouvoir d'achat et soutenir la compétitivité des entreprises pendant la récession, ont eu un coût estimé à 0,5 point de pourcentage du PIB en 2009 par la Commission européenne. Conjugué à une charge plus impor- tante liée au vieillissement de la population, le déficit structurel s’est détérioré de 2,5 points.

D’après les premières estimations, en 2010, le déficit public belge s’est redressé de 1,4 point. A 4,6% du PIB, le déficit belge est ainsi inférieur à la moyenne de la zone euro. Il est également moins important que ce qui était prévu dans le cadre du programme de stabilité.

La croissance plus forte que prévu a, en effet, permis une amélioration du déficit conjoncturel. Le déficit structurel a, quant à lui, bénéficié de l’arrêt progressif des mesures de relance mises en place pendant la récession. La crise politique n’a pas été un prétexte à l’arrêt de la consolidation budgétaire.

Au-delà, le gouvernement en place début 2010 s’est engagé à réduire le déficit public à 4,1 % du PIB en 2011, puis à 3 % du PIB dès 2012, conformément aux recommandations du conseil Ecofin du 2 décembre 2009. Pour parvenir à cet objectif, une réduction de 1,6 point de PIB est nécessaire. Pour cela, un plan d’économies a été présenté en janvier 2010 dans le cadre des programmes de stabilité présentés à la Commission européenne. Il comporte deux volets : un plan pour le pouvoir fédéral et la sécurité sociale (entité I) et un programme à mettre en œuvre aux niveaux des communautés, des régions et des pouvoirs locaux (entité II).

Pour l’entité I, le programme table pour 2011 sur :

a – une réduction des dépenses de 1,2 milliard d’euros. Sont concernées les dépenses primaires de l’état fédéral (-200 millions d’euros), les soins de santé (-812 millions d’euros) et la sécurité sociale (-141 millions d’euros).
b – une augmentation des recettes fiscales de 1,1 milliard d’euros.
c – des économies supplémentaires diverses pour un montant de 1,2 milliard d’euros, notamment un contrôle plus strict des fraudes fiscales et sociales.

Les régions, la Flandre, la région wallonne, la Communauté française et la région de Bruxelles-capitale, sont également sollicitées dans ce programme de consolidation budgétaire. Toutefois, le poids des budgets de l’entité II dans le déficit est bien moins important que celui de l’entité I: le déficit de l’entité II ne représenterait que 0,5 % du PIB en 2011, contre 3,6 % pour l’entité I.

La crise politique qui secoue le pays depuis sept mois rend évidemment plus difficile la prise de décisions fondamentales. Le désaccord entre les partis politiques flamands (60% des belges) et francophones ne cesse de s’envenimer, notamment sur la question d’une plus forte autonomie des régions réclamée par les premiers. Faute de gouvernement, le parlement ne peut voter de budget pour 2011. L’exécutif chargé de la gestion des affaires courantes doit donc fonctionner selon des « douzièmes provisoires » 2 . Une première tranche est désormais libérée jusque fin mars 2011. Chaque mois, les départements vont pouvoir continuer à fonctionner sur la base des montants de 2010. Si tel est le cas, le déficit public atteindrait, selon nos prévisions, 4,4% du PIB en 2011 et 4,5% du PIB en 2012. Cette perspective a, d’ailleurs, amené l'agence de notation Standard & Poor's à menacer la Belgique d’une éventuelle dégradation de sa note de crédit d'ici six mois. Afin d’échapper à une telle éventualité et pour rassurer les marchés, le roi des Belges, Albert II, a exhorté le gouvernement sortant, et notamment le Premier ministre, Yves Leterme, à prendre toutes les mesures d’austérité nécessaires pour parvenir aux objectifs fixés de réduction du déficit public, et même aller plus loin. Au-delà de 2011, si les grandes lignes de la stratégie sont données (baisse de charges structu- relles pesant sur le travail, développement de la formation, renforcement de la compétitivité etc.), aucune mesure concrète n’a été détaillée.

En tout état de cause, compte tenu d’une prévision de croissance officielle selon nous trop optimiste (2,2 %, contre 1,8 % dans notre scénario central), le respect de l’objectif de 3 % en 2012 suppose la mise en place de mesures d’économie supplémentaires.

Une dette publique en voie de stabilisation

La Belgique hérite d’un niveau de dette publique élevé qu’elle a néanmoins réussi à dompter depuis le milieu des années 90.

Comme le montre le graphique suivant, de 1993 à 2007, la dette n’a cessé de reculer, et ce à un rythme soutenu. Grâce à un freinage marqué des dépenses publiques, l’endettement public a reculé de plus de 50 points de PIB entre 1993 et 2007, de 135 % à 84 % du PIB.

En 2008, la tendance s’est inversée, en raison notamment de la mise en œuvre d’un plan de sauvetage pour aider les institutions financières fragilisées par la crise et ce pour un montant total de 21 milliards d’euros (6,3 % du PIB). La dette publique est ainsi repartie à la hausse, à 90 % du PIB. Cette tendance s’est prolongée en 2009 et 2010, sur fond de récession et de mesures discrétionnaires de relance. La dette publique a alors atteint 96,2 % du PIB en 2009 et 97,2 % du PIB en 2010. Le stock de la dette étant élevé, la mécanique s’emballe rapidement.

Ce niveau élevé de dette publique a fini par attirer l’attention des marchés financiers, prompts à sanctionner les pays jugés excessivement endettés. Toutefois, quels que soient les scénarios envisagés, la solvabilité de l’Etat Belge n’est pas en péril, avec de possibles actions correctrices pour stabiliser rapidement le ratio d’endettement. C’est ce que suggère la simulation de différentes trajectoires de dette.

  • Dans le scénario 1 (le plus sombre) : la crise politique s’enlise. Des élections législatives anticipées sont programmées en 2012. D’ici là, le gouvernement provisoire continue à gérer les affaires courantes et fonctionne selon les douzièmes provisoires (donc sans effort sur le solde primaire, qui se stabilise au niveau de 2010). La pression des marchés financiers augmente (hausse de 100 points de base du taux d’intérêt nominal jusqu’en 2012). Dès 2013, le gouvernement élu reprend l’effort budgétaire de 0,5point de base de réduction du solde primaire. Au total, malgré ces conditions difficiles, la dette publique belge se stabilise dès 2015, notamment grâce à une croissance qui reste solide.
  • Dans le scénario 2 : la Belgique maintient son effort historique de 0,5 point de base. La dette publique est stabilisée dès 2013.
  • Dans le scénario 3 : la Belgique respecte son plan de stabilité, à savoir une amélioration du solde de financement de 0,7point en 2011, 1,1 point en 2012, puis 1 point de 2013 à 2015. Ensuite, l’effort moyen réalisé en zone euro est observé, soit 0,25 point de base. La dette publique est alors stabilisée dès 2012.
  • Dans le scénario 4 : conformément à la volonté du roi, la Belgique va plus loin dans ses efforts avec une amélioration du solde primaire d’1 point par an. En 2020, le ratio de dette publique sur PIB atteint le seuil de 60%.

Ces simulations de dette montrent l’importance d’une gestion efficace et rigoureuse des finances publiques. Si les efforts sont maintenus, ou mieux encore plus soutenus, la trajectoire de hausse de la dette publique belge peut être rapidement infléchie.

En revanche, compte tenu du niveau élevé du stock de dette existant, les Belges disposent de peu de marge de manœuvre. Ceci d’autant plus que la dette publique belge est détenue à 65% par des non-résidents, ce qui rend la Belgique dépendante du financement des investisseurs étrangers et vulnérable aux mouvements d’humeur des marchés, avec un risque d’assèchement de la liquidité à caractère auto-réalisateur.

Il est donc essentiel, avec ou en l’absence de gouvernement, que le programme de consoli- dation des finances publiques soit jugé suffisamment crédible et soit en outre respecté pour maintenir l’appétit des investisseurs. C’est ce qui a été fait en 2010, C’est ce qui devra être fait en 2011, en 2012 et au-delà.

Pour l’instant, les marchés financiers semblent avoir cette lecture. Même si les CDS se sont tendus, le spread entre le Bund et le dix ans belge est resté relativement limité. Il est loin de ceux affichés par la Grèce, l’Irlande ou le Portugal.

Par ailleurs, la gestion efficace de la dette publique par l’Agence de la dette est également à même de rassurer les marchés financiers. Elle a notamment profité du contexte de taux bas pour prendre de l’avance sur le programme de refinancement de 2011, en émettant 8 milliards d’euros d’obligations de plus que ce qui était prévu en 2010.

Conclusion

Au total, la Belgique dispose de plusieurs atouts :

  • les bases de son modèle de croissance sont saines et solides,
  • son déficit public est limité,
  • son ratio de dette publique est sur une trajectoire soutenable, proche de la stabilisation. Par ailleurs, la balance courante positive depuis de nombreuses années (plus de vingt ans) permet à priori qu’une partie significative de la dette soit financée par des agents domestiques.

Toutefois, deux facteurs incitent à la vigilance :

  • une dette publique à près de 100 % du PIB ne permet aucun relâchement dans la gestion rigoureuse des finances publiques, au risque d’enclenchement d’un effet « boule de neige » (lorsque les intérêts payés sur la dette entraînent une dynamique cumulative de hausse de l’endettement). Cela suppose en particulier qu’une issue soit rapidement trouvée à la crise politique que traverse aujourd’hui le pays.
  • la dette publique belge est détenue à 65 % par des investisseurs étrangers, ce qui rend l’économie dépendante du financement extérieur et donc plus vulnérable à d’éventuels chocs de liquidité (phénomènes de run sur le souverain en cas de panique financière).

NOTES

  1. Ces régimes permettent la suspension temporaire de certains travailleurs, ceux-ci restant inscrits dans les statistiques de l’emploi des comptes nationaux. Dans le cadre du « crédit-temps de crise», mis en place en printemps 2009, l’accord individuel du travailleur est nécessaire.
  2. Définition de l’UE : « Si le budget n'est pas arrêté définitivement à l'ouverture de l'exercice, c'est-à-dire pour le 1er janvier, on recourt au système dit des "douzièmes provisoires". Dans ce cas, les dépenses peuvent être effectuées mensuellement dans la limite du douzième des crédits existants dans le budget de l'exercice précédent. »

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