Bulle immobilière en Chine : un pays trop riche et trop fermé

par Hervé Lievore, stratégiste chez Axa IM

Le marché immobilier est de plus en plus perçu comme le talon d’Achille de l’économie chinoise tant les prix ont progressé de manière explosive depuis l’automne dernier. L’éclatement de la bulle immobilière aux Etats-Unis a montré l’effet dévastateur que ce genre de phénomène peut avoir s’il n’est pas géré suffisamment en amont. Nous revenons dans cette note sur les éléments qui permettent de préciser les contours de la bulle, puis sur ses causes et les risques qu’entraînerait une gestion inadaptée de cette situation.

Un marché en surchauffe dans le segment haut de gamme

Depuis juin 2009, l’indice synthétique des prix immobiliers en Chine a recommencé à progresser en glissement annuel, s’adjugeant +12,8%(A) en avril. La hausse n’est pas uniforme et certaines villes enregistrent des envolées vertigineuses, notamment dans l’ile de Hainan (au-delà de 50% sur un an). A l’autre extrême, Shaoguan, dans le Guangdong, ne progresse que de 0,9%(A) sur la même période.

La disparité par catégorie de biens immobiliers est également grande. Les hausses les plus exubérantes concernent le résidentiel haut de gamme (+23,8%(A) en avril). De leur côté, les logements d’entrée de gamme restent sans tendance depuis 18 mois, très proches de 0%.

L’immobilier non-résidentiel (bureaux, locaux commerciaux et industriels) se situe entre ces deux extrêmes, à 6,7%. Mais plus que sur les prix, l’euphorie immobilière se matérialise dans les chiffres de la construction. Sur les quatre premiers mois de l’année, les mises en chantier de logements, exprimées en superficie, ont bondi de 63% par rapport à la même période de 2009.

L’appréciation de la situation du marché immobilier chinois est entravée par un certain nombre de biais propres à la Chine, notamment la prédominance du marché du neuf. Le remodelage à marche forcée des centres urbains du pays depuis une quinzaine d’années, qui se traduit par la destruction de l’existant et son remplacement, fait jouer un rôle essentiel aux produits neufs dans un marché qui manque de maturité. Ainsi, une régression des différentes composantes de l’indice des prix immobiliers fait apparaître un poids de presque 80% du neuf, dont 16% pour le résidentiel haut de gamme. De fait, les transactions sur le marché secondaire ne représentent que le quart de celles sur le marché primaire.

Un problème qui dépasse le simple cadre de l’immobilier

Cette atrophie du marché secondaire est rendue possible par le fait que les investisseurs chinois considèrent l’immobilier comme une réserve de valeur. Nul besoin d’amortir cet investissement par des revenus locatifs, la simple détention sur plusieurs années se traduisant par un gain en capital jusqu'à présent significatif. Il est fréquent de voir des appartements rester vide pendant des années (ne serait-ce que pour ne pas payer la taxe sur les reventes rapides). Les mécanismes autorégulateurs du marché immobilier sont affaiblis par la répression financière mise en œuvre par Pékin, offrant peu d’alternatives d’investissement à long terme. Le gouvernement entrave en effet la mobilité internationale des capitaux chinois et maintient la rémunération réelle des dépôts à des niveaux proches de zéro, ce qui est anormalement faible compte tenu de la croissance de l’économie. Enfin, la palette des instruments financiers à la disposition des épargnants est toujours limitée (peu de dette publique, pratiquement pas de dette corporate). Schématiquement, l’épargnant a le choix entre les dépôts bancaires, les actions et l’immobilier.

L’activité immobilière est également favorisée par les carences du système fiscal chinois. Jusqu’en 1994, les collectivités locales percevaient l’essentiel des recettes et reversaient le surplus au gouvernement central. En 1994, la répartition des rôles a été changée et les collectivités locales se sont retrouvées en déficit structurel et, ne pouvant émettre de dette, il leur a fallu trouver des recettes « extra budgétaires » pour faire face à la hausse rapide des dépenses sociales et d’investissement. La vente de terrain joue un rôle essentiel dans l’équilibre des finances locales, ce qui encourage les nouveaux programmes, de préférence les plus chers possible.

Un cercle vicieux s’est donc mis en place entre les investisseurs, les promoteurs et les collectivités locales, qui non seulement est porteur de risque (la capacité des investisseurs de retirer les biens nouveaux du marché n’est pas illimitée, et que se passera-t-il lorsqu’ils commenceront à revendre ?), mais est source de mécontentement social dans la mesure où une proportion croissante de la population se trouve évincée du marché. Une situation que les autorités ne peuvent laisser se dégrader davantage.

Des politiques de refroidissement ciblées

Depuis le début de l’année, le gouvernement a pris diverses mesures ciblées pour ralentir les segments du marché les plus déséquilibrés. Elles s’organisent autour de quatre axes :

  • Limiter l’accès au crédit, de manière directe (limitation des crédits aux promoteurs) ou indirecte (relèvement du taux des réserves obligatoires des banques).
  • Réduire le levier d’endettement par une augmentation de l’apport personnel (jusqu'à 50% au delà du second logement).
  • Réduire la pression de la demande sur les prix fonciers via une hausse des ventes de terrains et l’interdiction aux sociétés publiques non spécialisées de réaliser des opérations immobilières.
  • Favoriser le segment d’entrée de gamme via une augmentation des dépenses du gouvernement central de 14,7% en 2010.

Ces mesures commencent déjà à faire sentir leurs effets mais le faible levier d’endettement constitue une limite à l’efficacité des politiques menées jusqu’ici. Les coûts de détention d’un bien immobilier se limitent à ceux de la gestion de l’immeuble et le débat s’oriente désormais vers l’instauration d’une taxe sur la propriété qui viendrait compléter l’actuelle taxe sur les transactions. Mais tant que l’immobilier sera perçu comme une réserve de valeur, la pression sur les prix restera forte.

La remontée récente de l’inflation est une source d’inquiétude supplémentaire pour les autorités. Si les taux d’intérêt réels sur les dépôts restent trop longtemps négatifs, comme c’est le cas aujourd’hui, les épargnants chinois modifieront leur allocation en privilégiant le marché d’actions ou l’immobilier. Cela s’est déjà produit en 2000 et en 2006. Une hausse des taux dans les mois qui viennent est donc probable, surtout si l’inflation continue d’accélérer. Toutefois, Pékin ne souhaite pas un ralentissement qui affecterait indistinctement les entreprises et les ménages au moment où l’excédent commercial se réduit rapidement. Il nous semble que le gouvernement chinois privilégiera les mesures de restriction directes et ciblées.

Il est difficile d’évaluer l’impact d’une moindre activité immobilière sur l’activité économique. Potentiellement, les conséquences pourraient être significatives. Le secteur de la construction représentait environ 7% du PIB l’an dernier mais une contribution à la croissance du PIB de près du quart. Par ailleurs, environ 33 millions de personnes travaillent dans ce secteur, ce qui ne représente toutefois que 7% de l’emploi non agricole. En dernier recours, le ralentissement dans le segment haut de gamme sera pour partie compensé par un soutien à l’entrée de gamme, ce qui signifie que la consommation de matières premières ne devrait pas s’effondrer.

On peut également s’interroger sur les effets de richesse négatifs qu’aurait un recul des prix immobiliers sur la consommation. La situation chinoise diverge de celle observée dans les pays développés dans la mesure où les taux d’endettement y sont généralement plus faibles.

Par ailleurs, l’extraction hypothécaire n’existe pas et la croissance des revenus demeure robuste, entre 10% et 15% par an selon les chiffres officiels. Dans un tel contexte, le risque de voir une vague de revente généralisée qui provoquerait une spirale baissière ne semble pas le scenario le plus probable à court terme.

La situation est-elle pour autant exempte de sources de risques ? Une baisse des prix immobiliers, et plus particulièrement fonciers, ne serait pas sans conséquence sur les bilans bancaires. Nombre de prêts bancaires sont en effet accordés moins sur la base des revenus anticipés que sur la valeur des collatéraux, notamment pour les sociétés d’investissement des collectivités locales. On estime la taille des dettes de ces sociétés à près du tiers du PIB. Afin de gérer ce risque, le régulateur bancaire multiplie les inspections auprès des banques pour faire apparaître les crédits les plus risqués et, en définitive, obliger les banques à renforcer leurs fonds propres (plusieurs milliards de yuans d’émission sont d’ailleurs planifiés d’ici la fin d’année).

Conclusions

Le marché immobilier chinois est dans une phase de hausse des prix anormalement rapide sur le haut de gamme, mais les mesures déjà prises par le gouvernement commencent à faire sentir leurs effets. Les mesures conjoncturelles ne suffiront pas, les causes du problème étant une fiscalité inadaptée et une offre de produits d’épargne trop limitée, sans possibilité crédible de sortie du territoire. Les mesures prises jusqu'à présent devraient permettre de refroidir le marché sans le faire s’effondrer. Les dangers sur la croissance chinoise nous paraissent donc faibles. Néanmoins, l’accumulation de l’épargne dans les années à venir rendra un certain nombre de réformes inéluctables, notamment la libéralisation des flux de capitaux.