Canada : le huard sur le toit

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

•  Le Canada est le cinquième producteur mondial de pétrole brut, et le quatrième exportateur. Il est également dans le peloton de tête des pays producteurs et exportateurs de nombreux autres produits énergétiques et miniers. La baisse du cours des matières premières aura donc des effets négatifs sur l’activité canadienne.

•  Mais le Canada n’est pas qu’un gigantesque gisement. Les produits manufacturés représentent environ 45% de ses exportations. Le secteur manufacturier bénéficiera de la baisse du cours des matières premières, mais aussi de la forte dépréciation du dollar canadien (le huard) ainsi que de perspectives de croissance positive chez son principal partenaire commercial, les Etats-Unis.

•  Les effets nets de la baisse du cours des matières premières seront négatifs, aussi bien sur l’activité que sur l’inflation. Il s’agit de ne pas les surestimer, alors que la Banque du Canada a réagi promptement pour soutenir l’économie.

L’effondrement des prix du pétrole profite à ses consommateurs, que cette consommation soit finale (ménages) ou intermédiaire (entreprises). En revanche, les profits des producteurs et des intermédiaires du secteur de l’énergie vont être fortement réduits. La première conséquence est le gel des projets d’investissement et d’embauche. Une baisse des prix trop marquée, qui les conduirait à ne plus couvrir les coûts, conduit à des arrêts de production, et à des baisses d’effectifs.

Dans les deux cas, les effets se diffusent au-delà du seul secteur énergétique : le gel d’un projet d’investissement conduit les fournisseurs des pétroliers (infrastructures d’extraction, de stockage, de transport…) à revoir leurs perspectives d’activité et donc leurs effectifs. Une fois l’emploi touché, il émerge un risque sur les dépenses des ménages. Le secteur financier ressent également les conséquences, avec une chute du nombre de projet à financer. Par ailleurs, les pays aux sous-sols riches voient aussi leurs finances publiques dépendre étroitement du prix des matières premières. Leur baisse peut conduire au creusement des déficits, et donc à l’augmentation des besoins de financement de l’Etat. Si des règles budgétaires existent, le creusement des déficits appelle leur correction à plus ou moins brève échéance : les prélèvements augmentent et les dépenses reculent, avec des conséquences négatives sur l’activité.

Estimer les effets d’une baisse des prix du pétrole sur l’activité est donc complexe. Pour la plupart des pays, si l’ampleur des effets est difficile à estimer, il est possible de conclure rapidement quant au sens dans lequel ils joueront. Ici, le Canada se détache de la plupart des pays développés, et il ne fait aucun doute que l’activité souffrira du recul des prix du pétrole, et des autres matières premières. Le Canada est en effet un exportateur net de matières premières énergétiques, et le secteur représente une part non-négligeable de la production intérieure. Le seul secteur de l’énergie représentait, en 2013, près de 10% du PIB1 ; en octobre, l’activité de ce secteur était en recul de 4,4% (en rythme annualisé sur trois mois), expliquant environ 40% du ralentissement global de la croissance canadienne depuis l’été (de 3,8% en juillet à 2,0% en octobre). La part du secteur des ressources naturelles dans l’emploi est également loin d’être négligeable (2,1%, et 5% si on inclut l’ensemble des activités dépendant directement du secteur énergétique) avec des disparités très marquées d’une Province à l’autre : 7,7% en Alberta, 7,3% à Terre Neuve et au Labrador, 4,7% dans le Saskatchewan mais seulement 0,8% au Québec et 0,5% dans l’Ontario.

Des effets globalement négatifs sur l’inflation et l’activité

Dans son rapport sur la politique monétaire d’avril 20112, la Banque du Canada exposait les différents canaux au-travers desquels les fluctuations du prix des matières premières affectent l’activité. Il s’agissait alors d’évaluer les effets de la hausse des prix du pétrole, mais la grille d’analyse n’est pas différente.

1/ Canal direct de l’IPC. L’énergie représente 8,6% de l’indice des prix à la consommation. Cette composante recule depuis le mois de juillet, pour une baisse cumulée de 14% au cours de la deuxième moitié de 2014. Cette évolution a conduit à un ralentissement marqué de l’inflation, passée de 2,4% en juin à 1,5% en décembre (glissement annuel, non-corrigé des variations saisonnières). Dans les mois à venir, il est ainsi très probable de voir l’inflation canadienne tomber en territoire négatif.

2/ Termes de l’échange. Le Canada étant un exportateur net de matières premières, un recul de leurs prix conduit à réduire les prix à l’exportation par rapport aux prix à l’importation, soit une détérioration des termes de l’échange. Cet effet jouera d’autant plus que le dollar canadien se déprécie rapidement : d’abord, et comme la plupart des devises, sous le jeu de l’appréciation du dollar américain, un mouvement qui a été accentué par la détérioration des perspectives canadiennes en lien avec la chute des cours des matières premières, alors que la baisse de taux décidée la semaine dernière par la Banque du Canada s’ajoute à la liste des forces pesant sur le dollar canadien. Le pouvoir d’achat des Canadiens en biens importés est donc réduit, mais la compétitivité externe des entreprises – hors secteur énergétique – est améliorée.

3/ Coûts de production. Cet élément, très important, est le plus difficile à quantifier. Les secteurs qui ne produisent pas mais consomment de l’énergie voient leur facture énergétique réduite. Les coûts de production unitaire diminuent. Les entreprises peuvent alors choisir de répercuter ce recul des coûts sur leurs prix de vente, ou de les absorber dans leurs marges bénéficiaires. Dans le second cas de figure, les deux premiers effets (IPC et termes de l’échange) sont accentués.

4/ Offre de produits de base. La baisse du cours des matières premières réduit, toutes choses égales par ailleurs, le chiffre d’affaires des entreprises productrices. Un choc sur les bénéfices aura des conséquences différentes selon que la faiblesse des prix persistent ou demeurent ponctuelles. La situation actuelle semble bien répondre au premier cas. De nombreuses entreprises pétrolières ont ainsi annoncé le gel de certains projets d’investissement, dont la profitabilité n’est plus assurée. Les premiers effets macro-économiques se feront ainsi sentir au travers des dépenses d’investissement. En 2013, le secteur de l’extraction de minerais, de pétrole et de gaz représentait 22% des dépenses en capital ; hors investissement résidentiel et dépenses publiques, cette part était de 34% 3! L’accumulation de capacités de production est une chose. Leur utilisation en est une autre : l’activité pourrait ainsi être en baisse marquée dans le secteur, avec des conséquences en chaîne sur les effectifs, le revenu et les dépenses des ménages.

5/ Demande étrangère. Il s’agit ici d’estimer les effets d’une baisse du cours des matières premières sur les exportations canadiennes de produits non-énergétiques. Bien que la part des Etats-Unis recule depuis 2002, environ trois quarts4 des exportations canadiennes en produits manufacturés y sont toujours destinées. Les perspectives de l’économie américaine sont donc essentielles. Si l’intensité en importations de la croissance américaine a fortement reculé avec la Grande Contraction, son accélération devrait profiter à l’industrie canadienne, et ce d’autant plus que celle-ci bénéficiera des gains de compétitivité-prix liés à la chute du dollar canadien. Depuis début juillet 2014, le taux de change effectif du dollar canadien a reculé de 11,5%, un mouvement qui se concentre sur la parité avec le dollar, l’indice l’excluant n’ayant perdu que 2,2%.

Une assurance contre les risques

La Banque du Canada estime donc que la chute des prix du pétrole aura des effets négatifs aussi bien sur la croissance de l’activité que sur celle des prix. Même les effets sur l’activité pourraient se prolonger dans le temps, d’autres facteurs de soutien devraient, selon la Banque du Canada, permettre au ralentissement d’être limité à la fois en ampleur et dans le temps. Les révisions à la baisse du profil de croissance concerne ainsi principalement le premier semestre de 2015 : à +1,5% contre 2,5% lors de la précédente publication du Rapport sur la Politique monétaire en octobre dernier. Ces prévisions sont faites sur la base d’un rebond des prix du pétrole qui les amèneraient à USD 60/Bbl en moyenne sur les six premiers mois de l’année.

La Banque du Canada note par ailleurs, qu’une moyenne moins élevée, à USD 50/Bbl, la conduirait à réviser ses projections de croissance à la baisse de 0,25%. Pour l’année 2015, les nouvelles prévisions de la Banque du Canada placent la croissance à 2,1% (contre 2,4% dans leurs précédentes estimations) avec une accélération à 2,4% en 2016. Ces révisions – quasi exclusivement dues aux dépenses d’investissement – peuvent sembler limiter au regard du poids du secteur de l’énergie dans l’activité canadienne. D’une part, avant que les prix du pétrole ne commencent leur chute, les composantes de la croissance canadienne commençaient à se rééquilibrer, la consommation et les exportations prenant le relais de l’investissement comme moteur de croissance.

D’autre part, la Banque du Canada estime que la faiblesse des prix du pétrole jouera positivement pour la plupart de ses partenaires commerciaux, Etats-Unis en tête. Finalement, les évolutions du dollar canadien, associées à celles des coûts de production du secteur manufacturier, devraient permettre aux entreprises exportatrices de profiter pleinement de l’accélération attendue de la demande américaine. Reste que, comme le note la Banque du Canada, «une incertitude considérable entoure les perspectives », et que « Le choc des prix du pétrole intensifie tant les risques à la baisse liés au profil d’évolution de l’inflation que ceux pesant sur la stabilité financière ». Ainsi, la décision d’abaisser son taux cible de 25 pb (à 0,75%) « vise à offrir une assurance contre ces risques ». Les premiers effets ne se sont pas fait attendre, avec une baisse des taux hypothécaires et, surtout, une nouvelle dépréciation du dollar canadien.

NOTES

  1. Une part qui s’élève à environ 13,5% si on inclut les secteurs "“fournisseurs” (équipements, construction, services financiers).
  2. «L’incidence de l’évolution des prix des produits de base sur l’économie canadienne », Note technique 2, pp 19-20, Rapport sur le Politique Monétaire, Banque du Canada, avril 2011.
  3. Les données ventilées par Provinces sont encore plus impressionnantes : la part de ce secteur dans les dépenses en capital (hors résidentiel et administrations publiques) monte à 62% en Alberta, à Terre Neuve et Labrador et 55% dans le Saskatchewan.
  4. Les dernières données disponibles, pour 2012, font état d’une part de 78,2%.

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