Cela pourrait prêter à sourire

par Florian Roger, Head of Research & CIO chez Exane Solutions Research

Pendant des années, la BCE s’est battue avec acharnement pour relever les anticipations d’inflation. Elle semble faire l’inverse maintenant.

Les marchés s’attendent désormais à ce que l’inflation de la zone euro s’établisse à 2% sur une base durable, obligeant la BCE à agir beaucoup plus tôt.

La faible croissance des salaires incite toujours la BCE à être patiente sur les taux, mais 2023/2024 pourraient être des années plus difficiles.

Cela pourrait prêter à sourire. Pendant des années, la BCE a tenté de lutter contre la baisse des anticipations d’inflation des marchés, dépensant son énergie pour ramener l’inflation à un niveau plus proche de 2%. Jeudi dernier, pour repousser les anticipations du marché d’une première hausse du taux de dépôt dès la fin de l’année prochaine, la présidente de la BCE Christine Lagarde a fait exactement l’inverse, essayant de convaincre le marché que l’inflation à moyen terme restait limitée.

La présidente de la BCE a clairement indiqué qu’à son avis, soit le marché ne comprend pas pleinement la nouvelle stratégie, « forward guidance », de la BCE, soit il se trompe sur la durée du risque inflationniste. Il semble que c’est plutôt la deuxième option qui prévaut. En effet, sur le marché des swaps, l’inflation est désormais attendue autour de 2,0% pour chacune des cinq prochaines années. Dans ce scénario, une hausse des taux à la fin de l’année prochaine serait ainsi cohérente avec cette forward guidance qui stipule que les conditions d’une hausse des taux sont en place lorsque « l’on constate que l’inflation atteint 2 % bien avant la fin de son horizon de projection et durablement sur le reste de cet horizon ».

À court terme, il parait difficile de contrer les anticipations du marché. Après une hausse de 4,1% en octobre, nous nous attendons à ce que l’inflation continue de grimper pour atteindre un plus haut à 4,5%, probablement dès le mois prochain. L’inflation sous- jacente (hors alimentation et énergie), un indicateur clé pour la BCE, vient de dépasser les 2% pour la première fois en 20 ans ! Tout le monde est conscient que les effets de base (énergie, chaîne d’approvisionnement ou hausse du taux de TVA allemand) devraient contribuer à ramener l’inflation à un rythme plus faible l’année prochaine. Mais de combien ?

Répondre à cette question reste difficile. Traditionnellement, les estimations sur l’évolution des excès de capacité de l’économie, « output gap », permettent de modéliser l’inflation à moyen terme. C’est exactement ce que la présidente de la BCE a tenté de faire, pointant du doigt les 5 millions de personnes encore éloignées du marché du travail par rapport au niveau pré-pandémie, le faible niveau des heures travaillées…. pour montrer que ces excès demeuraient importants et source de risques déflationnistes. Le FMI ne s’attend pas à ce qu’ils se normalisent avant 2025. Sur le papier, la BCE dispose de nombreux arguments pour justifier que l’inflation revienne sous les 2% dans ses projections. Cependant, le marché sait que mesurer ces excès de capacité reste très incertain et sujet à des erreurs parfois importantes. Les États-Unis et la Fed en sont le parfait exemple. Alors qu’il y a quelques mois, le président de la Fed mettait l’accent sur l’existence d’excès importants sur le marché du travail pour balayer les craintes d’une inflation durablement élevée, il s’attend désormais à ce que le plein emploi soit atteint dès l’année prochaine.

Compte tenu de cette difficulté, l’attention se porte donc sur l’évolution des salaires et toutes les mesures sur le marché du travail pour tenter d’avoir une idée plus précise de ces excès de capacité dans l’économie. A l’heure actuelle, la différence de situation entre l’Europe et les États-Unis reste frappante. Alors que pour ces derniers, les coûts salariaux atteignent un plus haut depuis 15 ans, l’évolution des salaires en Allemagne par exemple se limite à environ 1,5% en glissement annuel et, jusqu’à présent, les négociations laissent présager d’une augmentation d’environ 2% sur l’année à venir.

En l’absence de poussée salariale, l’année prochaine devrait donc selon nous être une année de transition pour la BCE, lui laissant le temps de retirer progressivement sa politique accommodante, en commençant par la réduction de son programme d’achat d’actifs. Cependant, à mesure que la reprise progressera, la dynamique salariale devrait s’amplifier. Les années 2023 ou 2024, plutôt que 2022, devraient être plus difficiles pour la gestion des taux pour la BCE.