Chine, la fin des hyper-excédents

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Beaucoup d’hommes, peu de terres. La Chine, qui concentre 20% de la population mondiale mais ne possède que 10% des surfaces cultivables de la planète, a définitivement tourné le dos au mythe de l’autosuffisance alimentaire. Ses achats en dollars de matières premières agricoles ont été multipliés par huit depuis son entrée dans l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), en 2001. Elle acquiert aussi des terres arables, en Afrique, Asie, Amérique latine. Quant à ses besoins énergétiques, ils sont tout aussi mal couverts. La Chine ne possède pratiquement pas de pétrole, ni de gaz, mais du charbon, au demeurant d’assez mauvaise qualité. Le « miracle » des années 2000 a donc eu pour contrepartie une très forte dépendance aux importations de produits de base. En 2013, celles-ci étaient à l’origine d’un déficit d’environ 550 milliards de dollars(1), un record dans le monde.

Ce qui n’a guère posé de problème tant que les exportations de biens manufacturés s’envolaient et assuraient l’essentiel des excédents courants. Grâce à eux, la Chine a accumulé d’énormes réserves de changes, s’est positionnée en créancier net du reste du monde, une manière pour elle de peser dans la géopolitique mondiale. Cette stratégie d’expansion a, néanmoins, touché ses limites en 2008 lorsque, rattrapés par leurs dettes, les principaux clients de la Chine ont basculé dans la crise. A bien des égards, l’ajustement des passifs occidentaux et le rééquilibrage des moteurs de la croissance chinoise se correspondent. Un mouvement de balancier qui a peu de chances de s’interrompre. Aux Etats-Unis, plus encore en zone euro, la tolérance aux déséquilibres externes est moindre ; la compétitivité s’améliore, l’accent est mis sur la préservation des parts de marchés. Les déficits avec la Chine ont plutôt tendance à se réduire. Pour l’Allemagne, ils se muent même en excédents.

L’Empire du milieu, de son côté, apprend vite et s’éloigne du modèle d’économie d’assemblage qui fit ses premiers succès. Le degré de sophistication de ses produits augmente et, avec lui, leur contenu en salaires et intrants. Pour la seconde économie mondiale, exporter toujours plus et au moindre coût n’est sans doute plus une stratégie d’avenir. Ce que confirment les orientations récemment prises par le 3ème Plenum du Parti Communiste chinois(2). La libéralisation progressive du marché intérieur, visant notamment à abaisser les prix agricoles subventionnés, l’amélioration de la couverture sociale des travailleurs migrants, la facilitation de leurs déplacements, ou encore l’assouplissement partiel de la politique de l’enfant unique, sont autant de mesures inscrites sur la « feuille de route » des dix prochaines années. Elles visent toutes à renforcer la demande intérieure, notamment la consommation des Chinois qui, malgré leur nombre et les progrès réalisés, ne représente qu’un faible poids dans le PIB (37%).

A terme, la question du maintien en l’état des soldes commerciaux et courants, donc du bouclage financier de la balance des paiements, se posera. Les premières mesures visant à internationaliser la monnaie chinoise et à ouvrir le compte de capital (avec, par exemple, l’élargissement des Qualified Foreign Institutional Investors) voient opportunément le jour. Elles sont, pour l’heure, très limitées. Mais vont dans le sens de l’histoire.

NOTES

  1. D’après les statistiques annuelles de l’OMC, chiffre estimé.
  2. Pour plus de détails, cf. C. Peltier, « Chine, entre croissance et réformes », EcoPerspectives du 1er trimestre 2014.

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