par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse d’Amundi Asset Management
Un tremblement de terre, un tsunami, une alerte nucléaire et un conflit armé … voilà ce que le mois de mars nous a réservés. Autant dire que, au-delà des drames humains, l’accumulation de quatre événements majeurs – quatre « Black Swans », diront certains – a accru l’incertitude sur l’ensemble des marchés financiers. Pourtant, cela n’est pas suffisant pour modifier radicalement notre scénario de base qui, rappelons-le, repose sur quelques grands axes :
- En premier lieu, la conviction que la croissance économique aux Etats-Unis et dans le noyau dur de la zone euro, est de plus en plus équilibrée. Certes, l’absence de rebond de l’investissement ne permet pas à l’activité économique d’accélérer, mais la bonne tenue de la consommation permet d’espérer sur ce plan.
- Ensuite, même si les craintes inflationnistes semblent prématurées dans les pays avancés, l’évolution des prix devient un problème majeur dans certains d’entre eux, car la hausse des prix du pétrole et des denrées alimentaires s’est amplifiée au cours des récents mois.
- Les divergences économiques restent importantes dans les pays de la zone euro, certains pays bénéficiant de finances publiques plus saines, de taux d’intérêt bas, et d’avantages compétitifs … d’autres, en revanche, ont dû adopter des mesures de consolidation budgétaire qui pèsent fortement sur la croissance, tandis que la qualité du crédit, dégradée, entraîne une hausse des taux d’intérêt dommageable pour des économies déjà fort peu compétitives.
- Les banques centrales entament leur phase de normalisation des politiques monétaires : après de longs trimestres de politiques monétaires très accommodantes, la Fed va abandonner le quantitative easing dès le mois de juin, tandis que la BCE a procédé au premier resserrement des taux le 7 avril (+25pb à 1,25%).
Au total, le contexte reste en faveur des actifs risqués, actions en tête. Le cycle de hausse des taux (courts et longs) va se poursuivre au regard des récents événements. Dit autrement, l’incertitude actuelle, qui est en définitive et a priori plutôt favorable à une remontée de l’aversion au risque et à la fuite vers la qualité, n’est pas en mesure de remettre en cause notre scenario de remontée des taux longs et d’aplatissement de la courbe des taux. L’évolution des cours de change pourrait bien être marquée par les évolutions de stocks d’actifs détenus sur l’étranger.
Alors, que doit-on attendre de la situation au Japon, des tensions générées par la crise qui touche encore la dette souveraine en zone euro, ou encore de la situation au Moyen-Orient ? Il n’est pas inutile de rappeler que pas plus l’incident de Three Mile Island, que celui de Tchernobyl, ou encore le tsunami de l’océan indien et l’ouragan Katrina n’ont entraîné de récession mondiale. En dépit de sa gravité, la catastrophe au Japon n’a pas de raison de peser sur l’activité mondiale.
Ceci étant dit, il est évident que le drame qui se déroule au Japon ne sera pas sans conséquences économiques, et notre équipe de recherche basée à Tokyo a rapidement pris la mesure de l’impact sur la croissance, révisant nettement la croissance pour 2011. Il est toujours tentant de comparer la catastrophe actuelle avec ce qui s’est passé en 1995 à Kobé. Même si la réaction instantanée des marchés fut identique (baisse brutale des marchés d’actions, forte appréciation du yen liée aux anticipations de rapatriement de capitaux …), la comparaison s’arrête là.
En effet, non seulement les zones touchées sont cette fois-ci plus grandes (4 préfectures en 2011, 1 seule en 1995), mais le tsunami a provoqué des destructions sans commune mesure avec celles de 1995. En outre, l’alerte nucléaire a brouillé encore plus la comparaison. Selon les premières estimations, les dégâts seraient deux fois plus importants qu’en 1995. Malgré cela, il est raisonnable de penser que l’impact sur les autres pays sera nul voire positif pour certains. L’impact direct sur la croissance mondiale sera limité, le Japon ne représentant que 9% du PIB mondial (contre plus de 18% en 1995), et que 8% de la capitalisation boursière mondiale (contre 50% dans les années 80). A noter que les marchés ont déjà intégré les effets à court terme de la crise japonaise.
La reconstruction va néanmoins favoriser les pays déjà exportateurs vers le Japon (rappelons simplement qu’en « vitesse de croisière », le Japon est déjà le pays qui dépense le plus en matière d’infrastructure). Il y a fort à parier que la perte de près de 25% de l’énergie nucléaire va se traduire par des importations de pétrole et de gaz, que la nécessaire reconstruction va entraîner une demande additionnelle de matières premières, et que l’alerte sur les denrées alimentaires est de nature à pousser également le prix des denrées à la hausse. Quelques pays pourraient être de grands bénéficiaires : les producteurs de gaz, de minerai de fer (le Brésil et l’Australie sont les principaux exportateurs de minerai de fer vers le Japon, premier producteur d’acier au monde) … et autres produits de base. Comme en 1995 au Japon, la reconstruction des zones dévastées aura un effet de stimulation sur la croissance, sans doute bien avant la fin de l’année 2011 et sur l’année 2012. Rappelons que les deux années qui ont succédé au tremblement de terre de Kobé ont été des années de croissance relativement forte au Japon.
En ce qui concerne le Moyen-Orient, ce qui se profile à l’horizon n’est guère plus simple. Après la Tunisie, l’Egypte … Après l’Egypte, la Libye … Après la Libye, à qui le tour ?
Il est bien difficile de savoir si les tensions vont se propager vers d’autres pays exportateurs, avec un impact sur l’approvisionnement … ou de prévoir le type de régime politique qui fera suite aux régimes qui tombent… à supposer qu’ils tombent effectivement. La plus grande des incertitudes réside au niveau de l‘impact sur le cours du pétrole, et au niveau de l’impact sur les sociétés européennes.
Quant à la dette souveraine en zone euro, les différentes réunions du mois de mars ont permis d’éclaircir quelques zones d’ombre, notamment relatives à la solidarité entre les pays européens, mais l’ampleur de la crise dans certains pays (Grèce, Irlande), la situation politique de certains autres (Portugal et Irlande), ou encore la décision d’agences de notation de baisser la note de crédit de deux souverains actuellement dans l’œil du cyclone (Espagne et Portugal) ainsi que d’une partie de leur système bancaire n’ont pas totalement éliminé les craintes actuelles.
Toutes choses égales par ailleurs, les deux premiers facteurs de risque incitent à la prudence sur le prix des matières premières, dont la hausse fait peser le risque que cela « morde » sur la croissance et notamment via le consommateur américain. Mais à ce jour, elle n’est pas suffisante pour déclencher une récession. Les trois facteurs de risque sont de nature à accroître la volatilité sur les marchés et la fuite vers la qualité. Il est sans doute utile de se diversifier sur les actions pour faire face à la montée des risques.