par Jean-Marie Mercadal, Directeur général délégué chez OFI AM
Le premier mois de l’année 2016 s’achève et il est négatif pour les marchés actions et les « actifs à risque ». Le climat boursier est en effet particulièrement anxiogène et exacerbé par des marchés soumis à des flux négatifs … Quelle est la problématique actuelle et quelle analyse porter sur cette situation ?
Un monde en convergence économique… à de faibles niveaux
Il paraît loin le temps des années 2000 durant lesquelles la croissance mondiale était tirée par les pays émergents, sous l’impulsion impressionnante de la Chine notamment qui est passée entre 2001 et 2015 de près de 3,5 à 15 % du PIB mondial.
Ces dernières années, au contraire, l’écart de croissance entre le monde émergent et les pays développés est au plus bas à près de 2 %, 4 % contre 2% schématiquement. Ceci est assez logique d’un certain point de vue : à partir d’un certain niveau de développement et de revenu par habitant (autour de 10 000 dollars), le taux de croissance tend mécaniquement à baisser, et c’est donc « normal » que la Chine soit passée d’un taux de 15 % il y a 10 ans, à autour de 6/7 % actuellement. Mais cette évolution normale est accentuée actuellement par la baisse des matières premières, et notamment du pétrole, qui provoque un transfert de richesse du monde émergent (beaucoup de pays émergents comptent sur les exportations de matières premières pour équilibrer leurs budgets : Brésil, Russie, Moyen Orient…) vers les pays développés.
Certains spécialistes estiment ce transfert à quelques 2 500 Mds$, soit davantage que le PIB de la France. Cette évolution est donc positive dans l’ensemble pour l’occident, surtout l’Europe et le Japon qui ne sont pas producteurs. C’est assez neutre pour les États-Unis : l’effet négatif sur le secteur des gaz et pétroles de schiste sera compensé par le surcroit de pouvoir d’achat des ménages dans un pays ou la consommation domestique représente près de 70 % du PIB.
En revanche, pour ce qui est des marchés, il est fort probable que les quelques 7 000 Mds$ de fonds souverains de par le monde, issus en grande partie des ressources énergétiques, soient mis à contribution pour financer le manque à gagner. Ils sont largement investis en actifs financiers occidentaux (obligations, actions, immobilier, Private Equity…).
Les marchés actions étant les plus liquides, il est probable que ces sorties accentuent le mouvement d’aversion au risque déjà constaté. Par ailleurs, il est également probable que les gérants de Hedge Funds se soient positionnés sur cette tendance.
Le monde est donc en renversement d’équilibre, dans une période de croissance assez faible qui sera autour de 3 %. Par ailleurs, un monde où le « gâteau » est plus petit et où les équilibres se modifient est propice à des réflexes d’agressivité (dévaluations en chaîne dans les pays émergents par exemple…) et de repli sur soi.
Nous sommes donc également dans une phase où la gouvernance mondiale est assez pauvre et on assiste ainsi à des mouvements de « divergence politique ». Le cas des États-Unis est symptomatique. Depuis que le pays a investi dans ses propres ressources pétrolières, il a eu tendance à se désengager du Moyen-Orient et à se concentrer davantage sur sa propre situation. Le leadership américain s’étant estompé, on a vu des tensions latentes se manifester plus clairement au Moyen-Orient.
Cet état d’esprit se reflète bien dans les sondages pour l’élection présidentielle qui donnent Donald Trump gagnant chez les Républicains avec des thèmes autocentrés…
En Europe, 2015 est un bon exemple de sa construction bancale où il y a de plus en plus de divergences entre les pays sur les grands sujets : discipline budgétaire (à l’occasion de l’épisode grec), politiques d’immigration… Bref, nous en sommes arrivés à un point où l’éventualité d’un Brexit n’est plus une vue de l’esprit. Par ailleurs, la posture de la Chine a changé depuis l’élection du Président Xi ; elle devient plus « agressive » internationalement (route de la soie, revendications sur des îles du Pacifique…).
En résumé, le contexte d’ensemble pèse sur le sentiment des investisseurs. Dans ce contexte délicat, quels sont les repères ?
• Analyse technique : pratiquement tous les indices boursiers internationaux sont « entrés en Bear Market », ce qui signifie en langage boursier des corrections de plus de 20 %. Il n’y a plus que les actions américaines à être encore seulement « en phase de correction », avec une baisse en extrêmes de « seulement » 15 % ! Historiquement, depuis 1928, 10 des 15 « Bear Markets » américains se produisent quand il y a une récession. Dans ce cas de figure, les baisses boursières sont plus intenses (- 44 % en moyenne) et plus longues (20 mois). S’il n’y a pas de récession, les baisses sont moins importantes (- 28 % en moyenne) et plus courtes (5 mois).
Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans le cas de figure d’une récession américaine. Techniquement, les indices testent actuellement des supports très importants, autour de 1 800/1 850 sur l’indice S&P 500 et la zone des 4 000 points sur le CAC 40. Il peut y avoir des rebonds intermédiaires à partir de ces niveaux, surtout que nous nous approchons de la fin du mois et il peut également y avoir des « rachats de short » pour clôturer des positions mensuelles. Selon la nature et la qualité du rebond, nous pourrons alors apprécier s’il ne s’agissait que d’une correction violente et soudaine, mais courte, ou si nous sommes partis pour une période boursière plus troublée et qui peut durer. Si le rebond est de faible intensité et si nous ne tenons pas sur les supports, les prochains objectifs de baisse sont autour de 1 600 points sur le S&P 500 et de 3 600 points sur le CAC 40.
Pour les « Elliotistes » (spécialistes qui suivent les décomptes de phases de marché selon le principe des vagues d’Eliott), il est possible que toute l’agitation boursière depuis l’été dernier ne soit qu’une vague « 4 » d’un grand mouvement haussier amorcé en 2009, ce qui signifie que la phase haussière de long terme ne serait pas finie et qu’il manquerait donc une « vague 5 » qui permettrait aux marchés d’enregistrer de nouveaux « plus hauts ».
• Les Banques Centrales : il n’y a pas vraiment de sujet avec la BCE qui poursuivra sa politique pro-cyclique avec le maintien de taux monétaires en territoire négatif et sa politique de QE d’achat de titres.
Concernant la Fed, le sujet est plus délicat car elle a commencé une phase de remontée de ses taux directeurs le mois dernier, timing qui a pu semer le trouble à l’heure où l’économie américaine donne des signes de ralentissement. Elle est donc dans une phase de communication délicate, mais nous pensons que les taux directeurs ne seront pas relevés à court terme et que le mouvement pour l’ensemble de l’année sera très modéré et inférieur à 1 %. Les taux d’intérêt obligataires resteront donc globalement bas au cours des prochains mois.
• Les valorisations : pour l’instant, il n’y a pas encore eu vraiment de révisions à la baisse des bénéfices attendus pour 2016. Nous attendons ainsi près de 125 dollars par indice S&P 500, ce qui donne un PER 2016 de 15. Pour ce qui concerne les actions européennes, le consensus s’attend à une progression de l’ordre de 7 % des bénéfices attendus, en 2016. Cela donne donc un PER 2016 de l’ordre de 13, avec des rendements des dividendes entre 3,5 et 4 %.