Coup de frein sur la croissance européenne ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Sortie de récession il y a maintenant un an, la zone euro continue à montrer des signes de faiblesse. Avec une croissance du PIB de 0,2% T/T au premier trimestre 2014, en grande partie tirée par le dynamisme de l’Allemagne (construction avec le climat doux), le deuxième et le troisième trimestres ne s’annoncent guère meilleurs si l’on en croit les dernières enquêtes de conjoncture publiées.

En effet après le tassement des indicateurs de confiance au début du printemps, c’est maintenant un retournement de tendance qui s’observe au niveau de la zone euro, reflété par une baisse des indices dans la plupart des grands pays, sauf l’Espagne qui montre des signes de résistance. Ce mouvement de baisse est toutefois différencié en fonction des pays avec une dégradation plus importante en France. Si la crise ukrainienne a pu peser sur le moral de certains industriels européens, elle n’a pas eu de fort effet négatif pour le moment sur la croissance européenne, en l’absence d’impact sur les marchés financiers par exemple.

Le policy-mix de la zone euro devrait progressivement être un peu plus favorable à la croissance mais il ne faut probablement pas s’attendre à des effets fortement stimulants.

Après avoir fortement pesé sur la croissance des pays périphériques en particulier, les contraintes budgétaires sont peu à peu desserrées dans la plupart des pays avec l’assentiment plus ou moins officiel de Bruxelles. Les pays continuent à présenter des programmes de réduction des déficits mais semblent moins enclins à les tenir. Si c’est une bonne nouvelle pour la croissance à court terme, il ne faudrait pas non plus retomber dans l’idée que l’on peut faire de la relance qui ne soit pas accompagnée de mesures en faveur de l’investissement. En l’absence d’augmentation des capacités productives, une hausse de la demande provoquerait le retour en déficit courant des pays…

Du côté de la politique monétaire, la BCE semble plus encline désormais à apporter sa contribution via des conditions monétaires plus accommodantes, une allocation illimitée de la liquidité et des mesures en faveur du crédit à l’économie (TLTRO)1. Les taux courts vont rester bas pendant très longtemps et la remontée des taux longs devrait rester modeste avec la forward guidance. L’impact sur le taux de change devrait être modéré tant que la Réserve fédérale américaine n’annonce pas le début de la sortie de la politique à taux zéro (T4-2014 ?). La mise en place d’un QE nous paraît à ce stade peu probable avec vraisemblablement à nouveau des levées de boucliers de la part des allemands sur le droit de la BCE à acheter des dettes publiques de la zone euro. Il faudrait que la zone euro se trouve dans une situation beaucoup plus catastrophique pour que la BCE se décide à agir (nouveau recul de l’inflation et/ou forte baisse des anticipations d’inflation, crédit qui se remet à diminuer davantage,…).

Avec son package de début juin, la BCE n’est pas sûre de faire repartir le crédit mais elle essaie au moins de stopper la baisse. Il y a en effet plusieurs incertitudes. La première porte sur le souhait des entreprises à investir. Jusqu’à récemment, l’idée consensuelle était que la baisse des crédits provenait d’une faiblesse de la demande avec le désendettement des agents privés, et non d’un problème d’offre. Or les enquêtes auprès des banques montrent un changement important avec un rebond de la demande de prêts notamment de la part des entreprises. Ceci est très visible en Espagne mais aussi plus marginalement dans les autres pays de la zone euro. La deuxième incertitude porte sur le souhait des banques à faire davantage de crédits dans un contexte de revue des bilans bancaires et de nécessité à se conformer au ratio de solvabilité de Bâle 3. Des achats d’ABS permettraient de résoudre en partie le deuxième problème puisque la BCE prendrait elle-même le risque au bilan.

Le salut ne devrait pas non plus venir de l’extérieur. Le commerce mondial s’est stabilisé au premier trimestre (+2,2% sur un an) et l’on ne voit pas de signe de forte accélération à ce stade avec la persistance de la faiblesse des pays émergents. Le taux de change, s’il devrait moins peser avec la légère dépréciation post BCE (environ -2% depuis le point haut à 1,39 début mai), n’apportera pas non plus un soutien important.

Au total, la reprise européenne devrait rester modeste dans les trimestres qui viennent, avec une consommation en très légère hausse (marché du travail encore dégradé et faiblesse des salaires) et une reprise modérée de l’investissement des entreprises2. La prévision consensuelle d’une croissance de la zone euro à 1,5% l’année prochaine nous apparaît aujourd’hui optimiste.

NOTES

  1. Cf Edito du 6 juin : «BCE : quels effets du package ? »
  2. Cf Trimestrielle Economies développées : « Peut-il y avoir reprise sans investissement? »

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