Crise chypriote : entre confiance et aléa moral

par Alan Lemangnen et Marie-Pierre Ripert, économistes chez Natixis

L’annonce du plan de sauvetage chypriote samedi 16 mars a engendré une levée de boucliers en raison de la décision de taxation des dépôts bancaires. En effet, en général, la garantie des dépôts est considérée comme la clef de voûte de la stabilité du système bancaire, car elle permet d’entretenir l’indispensable confiance des épargnants dans leurs banques. Cette décision peut sembler d’autant plus étonnante que la garantie des dépôts est l’un des trois principaux piliers de l’Union bancaire européenne qui devrait progressivement voir le jour à partir de 2014.

Certains diront que la taxation des dépôts n’est pas réellement une remise en cause de leur garantie mais constitue une mesure de politique fiscale. Si conceptuellement il y a une différence entre les deux, dans le cas de non garantie des dépôts, c’est l’Etat qui décide de ne pas protéger les épargnants contre le défaut d’une entité privée (la banque), dans le cas d’une taxe, l’Etat décide d’imposer les dépôts au même titre que le revenu ou la consommation, le résultat est finalement le même, d’autant plus que la taxation sert à recapitaliser les banques…

A première vue, cette mesure peut donc paraître extravagante et semble d’autant plus étonnante que les autres créditeurs des banques ne sont pas concernés, brisant la hiérarchie habituelle. Il faut toutefois noter que le respect de la hiérarchie, qui consiste à faire d’abord payer les actionnaires puis les détenteurs d’obligations (junior puis senior) et enfin les déposants, aurait été plus symbolique qu’efficace dans la mesure où les dettes obligataires des banques chypriotes sont très faibles (1,7Md€). Cela n’aurait donc pas permis de régler le problème.

Pourquoi prendre le risque de déstabiliser à nouveau la zone euro en annonçant cette mesure ? Car c’était finalement la seule voie possible pour trouver 40% du PIB rapidement puisque toutes les alternatives avaient été écartées soit pour des raisons d’aléa moral, soit en raison de la difficulté à les mettre en œuvre.

  • La Troïka ne voulait pas prêter à Chypre l’ensemble du montant nécessaire au sauvetage chypriote. Même si le montant de 17 Md€ est très faible au niveau de la zone euro – les plans de sauvetage grec, irlandais ou portugais portant sur des montants beaucoup plus importants – il représente environ 100% du PIB chypriote.
  • La BCE ne voulait pas effacer ses créances sur les banques chypriotes et ne pouvait (voulait) pas monétiser la dette publique.
  • La recapitalisation directe des banques par le Mécanisme Européen de Stabilité mais ce n’est pas encore possible.
  • Lever des fonds par la politique fiscale traditionnelle à hauteur de 40% du PIB est compliqué étant donné la faible taille de la base fiscale.

Taxer les déposants revenait finalement à faire une ponction sur le capital des épargnants et avait le mérite aux yeux de la Troïka de faire payer les bénéficiaires étrangers de paradis fiscaux.

Si le cas chypriote peut s’apparenter à la création d’un précédent en zone euro (dans l’hypothèse d’une acceptation par le Parlement), il faut cependant souligner que Chypre est clairement un cas à part et que sa situation est très différente de celle des autres pays en difficulté de la zone euro1. Même pour les pays ayant des analogies avec Chypre (grande taille du système bancaire, endettement des agents privés pesant ensuite sur l’endettement public,…), il ya d’autres possibilités d’action (compte tenu de la structure des bilans bancaires en particulier). Ainsi, des mesures analogues sur les dépôts dans les pays périphériques nous semblent improbables. Par ailleurs, contrairement à la crise grecque, le risque pour les banques européennes (en termes de pertes potentielles) d’un défaut chypriote ou d’une crise bancaire à Chypre est faible.

Ainsi, le risque pris dans la gestion de la crise chypriote pour l’ensemble de la zone euro est plus un risque psychologique (de contagion) de perte de confiance dans les banques et potentiellement dans l’irréversibilité de l’euro (en cas de sortie de Chypre de la zone euro).

NOTES

  1. 1Cf. texte sur « Taxer les dépôts : ultime recours pour sauver les banques des pays en difficulté ? » Special Report 22 mars 2013

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