Crise de la dette souveraine européenne : une réponse massive et convaincante

par Caroline Newhouse-Cohen et Eric Vergnaud, économistes chez BNP Paribas

– Face à une crise sans précédent, l’Union européenne, la BCE ainsi que le FMI ont pris des décisions historiques pour calmer les craintes des marchés financiers concernant les risques de solvabilité et de liquidité.

– Un programme de stabilisation d’environ EUR 750mds a ainsi été finalisé, dont 60mds proviendront des facilités de balance des paiements de l’Union européenne.

– Pour faire face aux “fortes tensions sur les marchés financiers”, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé d’acheter des titres de dette privée et souveraine sur le second marché et de s’attaquer aux risques de réapparition des tensions sur la liquidité interbancaire. Enfin, les lignes de swap de change avec les autres grandes banques centrales ont été réactivées.

– Le mécanisme de stabilisation semble suffisant pour répondre aux besoins de financement des pays périphériques au cours des trois prochaines années. Par ailleurs, les interventions de la BCE, en particulier les achats de titres de dette souveraine et privée, ont eu des effets positifs immédiats.

Toutefois, les causes de la crise restent entières. Les efforts d’assainissement des finances publiques devront être poursuivis avec détermination non seulement dans les pays périphériques mais aussi dans la zone euro en général.

Face à une crise sans précédent, l’Union européenne, la Banque centrale européenne ainsi que le Fond Monétaire International ont pris des décisions historiques pour calmer les craintes des marchés financiers concernant les risques de solvabilité et de liquidité..

Un fonds de stabilisation

Un programme de stabilisation d’environ EUR 750 mds a ainsi été finalisé Il comprend tout d’abord une facilité de EUR 60 mds, similaire à la facilité de balance des paiements existante (EUR 50 mds) qui a déjà fourni des fonds d’urgence à la Lettonie, la Hongrie et la Roumanie, et mise à disposition des pays membres de l’Union Monétaire Européenne. La Commission européenne (CE) émettra des obligations, garanties par tous les pays de l’UE. Grâce à sa notation AAA, ces fonds seront empruntés pour le compte d’un pays membre à des taux bas. Ce mécanisme pourrait être lancé très rapidement.

L’emprunt est conditionnel : l’Union Européenne (l’UE), le FMI et le gouvernement emprunteur devront se mettre d’accord sur les mesures à mettre en place pour palier les difficultés rencontrées par le pays. Selon le commissaire européen, Olie Rehn, le mécanisme décrit ci-dessus est mis en place au titre de l’article 122 du traité qui prévoit d’octroyer des fonds aux pays menacés par « des événements exceptionnels échappant à (leur) contrôle ». Par ailleurs un fonds spécial sur trois ans sera mis en place pour fournir une aide financière de EUR 440 mds. Le FMI devrait fournir des financements additionnels compris entre EUR 200 et EUR 250 mds. Le SPV sera garanti par les membres de la zone euro, à proportion de leur contribution au capital de la BCE. Le SPV lèvera des fonds et accordera des prêts aux pays de la zone euro en difficultés. Ces prêts seront conditionnels. Leurs modalités et conditions seront semblables à celles des prêts ordinaires du FMI (l’article 122 est également évoqué pour ce mécanisme). Les taux d’intérêt sur les prêts de la CE et du SPV devraient être proches de ceux supportés par la Grèce, soit environ 5% pour une maturité de trois ans.

La BCE à la manoeuvre

Par ailleurs, pour faire face aux “fortes tensions sur les marchés financiers”, le conseil des Gouverneurs de la BCE a pris des décisions dont certaines sont sans précédent.

Afin de rétablir un fonctionnement normal des marchés de dette dans la zone euro, la BCE a franchi le Rubicon en décidant d’acheter des titres privés et souverains sur le second marché. Le montant du programme d’achats d’actifs n’est pas connu. A titre de comparaison, rappelons que la Réserve Fédérale a acheté 5% de l’encours des Treasuries, soit USD 330 mds, alors que la BoE a acheté 25% de celui des Gilts, soit GBP 198 Bn. Dans l’hypothèse où la BCE achète des titres de dette souveraine des pays considérés comme les plus en difficulté (Grèce, Portugal, Espagne, Irlande et Italie), les montants concernés pourraient être de l’ordre de EUR 110 mds dans un scénario « à la Fed » et de EUR 600 mds dans un scénario à la BoE. La BCE a déjà acheté EUR 51 mds de covered bonds (pour un programme dont le plafond est de 60 mds), soit plus de 4% de l’encours actuel. Afin que ces mesures ne conduisent pas à une augmentation de la liquidité et ne constituent pas une monétisation de la dette, la BCE a décidé de stériliser ces achats grâce à “des opérations spécifiques” (émissions de certificats de dette, reverse repos ou dépôt à terme, comme prévu dans ses statuts), ce qui constitue une différence essentielle par rapport à la Fed et la BoE1.

Par ailleurs, pour accroître la base monétaire et lutter contre la réapparition des tensions sur la liquidité interbancaire (l’opération principale de refinancement hebdomadaire du mercredi 5 mai avait donné lieu à une demande de 100 mds d’euros, un quasi-record), la BCE a décidé de mener ses deux prochaines opérations de refinancement à long terme (ORLT) à trois mois, les 26 mai et 30 juin, de nouveau à taux fixe, toutes les demandes étant servies. Par ailleurs, elle avait annoncé une nouvelle ORLT à six mois pour le 12 mai, qui n’a été soumissionnée qu’à hauteur de 35 mds d’euros, ce qui après une demande limitée à 10 mds pour l’opération à un mois menée la veille, a confirmé le retour au calme sur les marchés après les annonces du week-end.

Enfin, la BCE a réactivé les lignes de swaps de change en dollars avec la Fed, de concert avec la Banque d’Angleterre (BoE), la Banque Nationale Suisse, la Banque du Japon et la Banque du Canada.

Au total, les mesures décidées les 8 et 9 mai nous semblent convaincantes. Tout d’abord, les autorités budgétaires et monétaires européennes ont présenté un front uni, essentiel à la crédibilité du programme de stabilisation. Ensuite celui-ci présente un caractère massif et s’attaque aux problèmes de solvabilité comme de liquidité. Ainsi, le dispositif apparaît suffisant pour répondre aux besoins de financement (remboursement, déficits budgétaires et paiement des intérêts) agrégés du Portugal, de l’Espagne et de l’Irlande qui peuvent être estimés à environ EUR 300 mds jusqu’à la fin de 2011, et à environ EUR 550 mds sur les trois prochaines années. Un autre calcul à partir de ce qui a été prêté à la Grèce permet d’estimer les montants qui le seraient aux trois pays à près de EUR 650 mds. Par ailleurs, les interventions de la BCE, en particulier les achats de titres de dette souveraine et privée, ont eu des effets immédiats : baisse des rendements des titres d’Etat des pays périphériques et à une pause dans le repli brutal de l‘euro. Toutefois, après un bref retour au-dessus de 1,30, la parité EUR/USD a repris sa baisse.

En effet, les causes de la crise restent entières. Les efforts de consolidation budgétaire devront être poursuivis avec détermination non seulement dans les pays périphériques mais aussi dans la zone euro en général. Il est essentiel que les marchés financiers ne considèrent pas l’aide apportée à la Grèce et le programme de stabilisation comme des incitations au relâchement de la discipline budgétaire. Il est tout aussi nécessaire que les marchés financiers soient convaincus de la crédibilité des mesures budgétaires, alors qu’elles vont peser sur la demande intérieure, ce qui devrait absorber le surcroît de croissance attendu de la baisse de l’euro, via les exportations. Last but not least, il est hautement souhaitable que cette crise conduise à une vraie amélioration du Pacte de Stabilité et de Croissance en matière de surveillance : déséquilibres de transactions courantes, niveaux d’endettement privé et écarts de compétitivité doivent être suivis attentivement, la crise actuelle ayant montré qu’ils se traduisent très aisément par une détérioration des finances publiques.

NOTES

  1. La BCE fournira des détails à ce sujet très prochainement.

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