par René Defossez, économiste chez Natixis
Dans l’espoir de stabiliser la situation dans la zone euro, les gouvernements et la BCE ont essayé plusieurs stratégies : l’extinction d’incendies localisés, via des programmes d’aide spécifiques ou l’activation de l’EFSF conçu en mai dernier ; distribution illimitée de liquidité par la BCE aux banques en difficulté ; programme d’achats d’obligations souveraines par la même BCE (SMP) ; comblement d’un vide sidéral pour la période post-2013, en proposant un programme permanent de résolution des crises, en vertu duquel l’investisseur serait théoriquement mis à contribution en cas de défaut souverain.
Dans les faits, sa mise à contribution serait peu probable, puisque non seulement il faudrait activer la CAC (Clause d’Action Collective), mais en plus il faudrait que tous les ministres des finances de la zone reconnaissent que le pays en difficulté n’est pas en crise de liquidité mais en crise de solvabilité.
Toutes ces stratégies (ou la promesse de la mise en place de ces stratégies) se sont avérées inefficaces pour stabiliser la situation dans la zone euro : les spreads contre bund ont continué de s’élargir, de même que les spreads de CDS souverains. Depuis quelques jours, certains investisseurs s’attendaient à ce que la BCE annonce un très gros programme d’achats d’obligations souveraines, bien plus agressif que l’actuel SMP (à ce jour, EUR 67 Mds d’obligations souveraines de la zone euro ont été achetés via cet instrument par la BCE).
Cet espoir était déraisonnable : on connaît l’hostilité de certains membres du conseil au SMP. La BCE n’est pas supposée faire du hasard moral, en tout cas à grande échelle. Jean-Claude Trichet s’est contenté de dire que la BCE maintenait le SMP, et continuerait à stériliser les achats d’obligations souveraines. Il a toutefois rappelé que ce programme était de nature provisoire, et qu’il appartenait aux Etats de restaurer la confiance budgétaire.
De manière plus générale, ce n’est pas la BCE qui détient la clé de la crise. Elle peut, en utilisant le SMP notamment, en lisser les effets, mais sûrement pas la résoudre. Une monétisation systématique des dettes périphériques n’est pas une réponse adaptée non plus, sauf bien sûr à penser que l’unique problème de ces pays est un problème de liquidité.
Rappelons les faits : en zone euro, un « petit » choc – la Grèce pèse à peine plus de 2 % du PIB de l’ensemble de la zone – est capable d’ébranler tout l’édifice européen. Après ce premier choc, l’Europe conçoit des mécanismes de soutien, et cela n’empêche pas un autre pays, encore plus petit, l’Irlande (1,8 % du PIB européen) de provoquer une crise encore plus grave.
On n’ose imaginer ce qu’il adviendrait en cas de choc dans un pays plus grand. Le problème, ce n’est donc pas la Grèce, ou l’Irlande, pas plus que le Portugal ou l’Espagne. Le problème, c’est la non optimalité de la zone euro. Une zone monétaire optimale est une zone dans laquelle les pays peuvent se passer des ajustements de change. Les principales conditions de l’optimalité sont :
- la flexibilité des prix et des salaires,
- la mobilité des facteurs de production,
- la diversification des appareils de production et de la consommation,
- la similarité des inflations,
- l’intégration fiscale,
- l’intégration politique
Peu de ces conditions sont respectées. Avant le lancement de l’euro, le sentiment qui prévalait était que l’Union conduisait à l’optimalité, en encourageant notamment la mobilité du travail et du capital, en homogénéisant les mécanismes de prix grâce à la concurrence accrue. Certains allaient même jusqu’à imaginer que l’intégration fiscale allait forcément découler, tôt ou tard, de l’Union monétaire.
Cela n’a pas été le cas. On a vu au contraire l’hétérogénéité entre les pays de la zone euro s’accroître dès 2003/2004. On a vu aussi quantité de chocs asymétriques, qu’on ne devrait pas voir dans une zone monétaire optimale.
Le temps jouera peut-être en faveur de l’Union, les esprits se calmeront peut-être à mesure que les pays de la zone euro réduiront leurs déficits. Mais il est possible aussi que le coût social des mesures d’austérité devienne de plus en plus difficile à supporter par les ménages, que les gouvernements deviennent de plus en plus fragiles, comme on le voit déjà en Irlande ou en Grèce.
La seule solution passe par un vrai fédéralisme fiscal, dont le modèle reste à définir. Qui se soucie, aux Etats-Unis, des difficultés budgétaires d’un Etat, fût-il la Californie. Il faudra peut-être attendre que l’on soit un peu plus encore face au mur avant que l’Europe se décide à prendre des décisions qui sont incontournables, si l’on veut préserver durablement l’intégrité de la zone.