Croissance mondiale : trou d’air ou Hard Landing ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les marchés ont été surpris ces dernières semaines par un news flow macroéconomique négatif suggérant un ralentissement de la croissance mondiale au deuxième trimestre. En effet, dans la plupart des pays, les indicateurs de confiance se sont retournés en avril/mai après avoir atteint des niveaux très élevés en début d’année.

Ce retournement ne nous étonne guère, nous pensions même qu’il aurait lieu plus tôt. Comment imaginer que la croissance reste très forte dans un contexte de choc pétrolier associé à de la consolidation budgétaire pour certains et à des resserrements monétaires pour d’autres ? S’est ajoutée en mars la catastrophe japonaise, provoquant des arrêts dans les chaines de production, affectant négativement un certain nombre de secteurs (surtout automobile, électronique,…).

Nous faisions partie des plus pessimistes sur les perspectives de croissance américaine et européenne en début d’année (2,7% pour les Etats-Unis et 1,2% pour la zone euro vs respectivement 3,2% et 1,5% prévus par le consensus), soulignant que des vagues de révisions en baisse auraient lieu au cours du premier semestre. Elles ont bien eu lieu aux Etats-Unis avec une croissance décevante au premier trimestre (1,8% en rythme annualisé) qui n’était d’ailleurs guère compatible avec des indicateurs ISM au sommet. En Europe en revanche, nous avons plutôt eu tendance à rejoindre le consensus, en revoyant nos projections annuelles 2011 à la hausse, en raison d’une croissance dynamique en début d’année (0,8% T/T au T1), avec mécaniquement des acquis statistiques plus élevés.

En revanche, nous n’avons pas modifié notre profil de ralentissement à partir du T2. La zone euro pourrait enregistrer une croissance en 2011 proche de celle de 2010 (1,8% vs 1,7%), grâce au dynamisme de l’Allemagne (3,2%) et dans une moindre mesure de certains pays du Nord. Mais cette relative résistance masque de très fortes hétérogénéités avec des récessions dans certains pays périphériques (Grèce, Portugal)

Les arguments que nous mettions en avant à l’époque pour justifier le ralentissement n’ont guère changé : la fin du restockage et le ralentissement du commerce mondial allaient jouer négativement sur la croissance (ou moins positivement) ; le crédit ne serait plus une source de croissance avec la poursuite du désendettement dans un certain nombre de pays (en particulier les Etats-Unis, le Royaume-Uni,…) ; le partage de la valeur ajoutée n’apporterait guère de soutien aux salariés avec des gains de productivité toujours supérieurs aux salaires réels ; la consolidation budgétaire (sauf aux Etats-Unis) aurait un impact sur la croissance via la forte baisse des dépenses publiques et la hausse de la fiscalité ; pour finir le choc pétrolier, dont nous avions sous estimé l’ampleur et la durée, allait provoquer un ralentissement des salaires réels et en corollaire de la consommation des ménages (choc qui devait s’avérer beaucoup plus transitoire).

En dépit de notre prudence sur les perspectives de croissance, les risques portant sur nos projections nous semblent plutôt baissiers avec la multiplication des incertitudes au premier semestre 2011 : catastrophe japonaise, risques géopolitiques au Maghreb et Moyen-Orient, crise des dettes souveraines européennes, risque immobilier américain, croissance des émergents.

Concernant les pays émergents, le risque d’un ralentissement plus marqué existe. Cependant, malgré les resserrements de politiques monétaires, ces dernières ne deviennent pas restrictives (sauf au Brésil et peut-être en Chine) ce qui plaident plutôt, selon nous, pour un ralentissement limité des économies (de 2,5pts en Asie hors Chine et Japon et de 1,5 pt en Amérique latine). En Chine, les autorités semblent capables de piloter le ralentissement de leur économie, comme cela avait déjà été le cas l’été dernier.

Aux Etats-Unis, le principal risque est celui d’une rechute du marché immobilier. Nous n’avons jamais été particulièrement confiants sur la capacité du secteur à rebondir après la crise qui dure depuis cinq ans, mettant en avant la poursuite du désendettement des ménages américains. Pour autant, nous anticipions une stabilisation du secteur. Or les dernières statistiques publiées montrent que les prix immobiliers sont repartis à la baisse ce qui pourrait conduire de nouveaux ménages à faire défaut, enclenchant à nouveau la spirale baisse des prix/ hausse des défauts.

En Europe, ce sont clairement les difficultés budgétaires des pays périphériques qui constituent le principal risque.

Au total, même si nous privilégions un scénario de ralentissement « en douceur » de la croissance mondiale, il nous semble que les risques sont loin d’être négligeables.

Retrouvez les études économiques de Natixis