La dette grecque à la sauce viennoise ?

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

La Grèce focalise toujours l’attention les marchés. Dernier épisode en date, le FMI a fait savoir que la cinquième tranche d’aide portant sur 12 milliards d’euros ne serait consentie qu’à la condition que la Grèce puisse faire face à ses obligations des douze prochains mois. Le Premier ministre G. Papandréou devait annoncer vendredi 3 juin un programme d’économies supplémentaires de 6 milliards et demi d’euros et s’engager à accélérer le programme des privatisations. En contrepartie, une extension de l’aide internationale devrait lui être consentie, qui mettrait la péninsule à l’abri des marchés jusqu’à mi 2014 (source Reuters). On évoque aussi comme alternative à un éventuel re-profilage de la dette une transposition à la Grèce de l’Initiative de Vienne.

De quoi s’agit-il t ? Impulsée par la BERD, la dite initiative a été prise en janvier 2009 afin de soutenir les pays d’Europe centrale les plus durement touchés par la crise1. L’objectif était d’empêcher la fuite de capitaux et le risque d’une crise systémique bancaire régionale. Pour cela, les créanciers privés ont été associés aux plans d’aide mis en place par les organismes supranationaux : FMI, Commission européenne, BEI, Banque mondiale, BCE. Les banques mères des établissements implantés dans la région s’engagèrent ainsi à ne pas réduire leur exposition sur leurs clients locaux et à recapitaliser en cas de besoin leurs filiales locales, participant ainsi à l’effort de stabilisation financière. La Bosnie-Herzégovine, la Hongrie, la Lettonie, la Roumanie la Serbie, ont ainsi pu bénéficier de cette forme de partenariat « public-privé ».

L’initiative de Vienne a permis de répondre à une situation de type « dilemme du prisonnier »2. Le financement sur les marchés internationaux de capitaux était, en effet, possible à la seule condition que les banques mères restent engagées là où elles avaient des filiales. Dans le cadre des plans d’aide conjoints du FMI et de la CE, l’engagement des banques étrangères garantissait celui du secteur privé dans le processus de stabilisation économique.

En mai dernier, la BERD tirait les premières conclusions de l’Initiative, tout en évoquant la possibilité de l’appliquer à d’autres régions du monde. Elle rappelait, d’une part, que les banques mères, engagées dans l’initiative, avaient maintenu leurs niveaux d’exposition, conformément aux objectifs fixés et que, d’autre part, leurs filiales avaient été recapitalisées à hauteur des besoins de capitaux mis à jour par les stress tests. Ceci a été déterminant dans la mesure où la crise a été plus profonde et plus longue que prévu.

Transposer l’initiative de Vienne au cas grec, c'est-à-dire amener les créanciers privés à renouveler leur position à échéance des titres qu’ils détiennent aurait pour principal avantage de ne pas déclencher d’évènement de crédit. Les « parieurs » sur le défaut grec ayant récemment investi le compartiment des CDS (Credit Default Swap) en seraient alors pour leurs frais.

La conclusion d’un accord avec les créanciers n’est toutefois pas acquise. Dans le cas de l’initiative de Vienne, les banques avaient une incitation particulière à maintenir leur exposition dans la mesure où celle-ci recouvrait des stratégies d’implantation locale et de développement d’activités souvent rentables. La détention d’un portefeuille obligataire n’implique pas le même degré d’engagement. L’incitation pourrait venir de l’engagement des bailleurs de fonds internationaux (FESF, Commission, FMI …) à éviter toute restructuration «dure» de la dette grecque (i.e. infligeant une perte en capital) après 2013, lorsque le mécanisme de soutien deviendra permanent. On évoque aussi la possibilité d’aménagements comptables ou encore une solution de type « Brady Bonds », dans laquelle les créances détenues sur la Grèce seraient échangées contre des titres faisant l’objet d’une garantie partielle (par exemple sur le capital). 

Quoiqu’il en soit, une telle initiative ne ferait pas l’économie d’un accord, dans les prochains jours, entre les membres de la Troïka : FMI, Commission européenne et surtout Banque centrale européenne, qui détient 45 milliards d’euros d’obligations grecques en portefeuille et finance les banques de la péninsule à hauteur de 90 milliards d’euros (40% du PIB grec).

NOTES

  1. En 2009, le PIB se contracte de 6,4% dans la CEI (Russie, Arménie, Azerbaïdjan, Bélarus, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Ukraine…), de 3,6% en Europe centrale et orientale (Hongrie, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Serbie, Lettonie, Lituanie, Turquie…)
  2. Dans la théorie des jeux, le dilemme du prisonnier est une situation où chaque individu (ici chaque établissement financier privé) est incité à adopter une stratégie individuelle (ici, dénoncer ses engagements avant les concurrents pour espérer ne rien perdre) alors qu’une stratégie coopérative (ici, maintenir son exposition inchangée) est collectivement moins coûteuse.

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