Dans le calme de l’été…

par Philippe Weber, Responsable Etudes & Statégie chez CPR AM

« Son voisin au contraire […] chantait peu, dormait moins encore. C’était un homme de finance ».

(Jean de la Fontaine, Fables, VIII, 2, « Le Savetier et le Financier »)

Quels sont vos scénarios pour les trois mois qui viennent ? Le scénario central est celui de la continuation des évolutions récentes. L’économie américaine retrouverait une croissance de l’ordre de 3% après le recul marqué de l’hiver, ce qui donnerait une croissance pour 2014 comprise entre 1,5% et 2,0%. Les tensions inflationnistes resteraient contenues, malgré les signes d’accélération récemment observés. Le secteur du logement, dont une rechute serait inquiétante à l’échelle macroéconomique, reprendrait de l’élan, notamment compte tenu du bas niveau des stocks de logements neufs – les tout derniers chiffres vont d’ailleurs dans ce sens.

Dans la zone euro, la croissance continuerait à se rétablir lentement, sans qu’il faille espérer qu’elle dépasse beaucoup 1%. Les tensions déflationnistes s’apaiseraient malgré tout, par la conjonction de la hausse du taux d’utilisation des capacités, de l’arrêt de la hausse du chômage et de la politique de la BCE. Dans un tel environnement, les marchés d’actions ne progresseraient que modérément (2,50% de part et d’autre de l’Atlantique) tandis que les taux longs amorceraient une remontée. La fin de l’assouplissement monétaire aux Etats-Unis et sa poursuite en Europe devraient conduire à une petite hausse du dollar.

Quelle probabilité accordez-vous à ce scénario somme toute rassurant ? Elle est élevée : 75%. C’est que les grandeurs macroéconomiques ne semblent pas porter en germe de retournement à court terme et que les banques centrales ne devraient rien faire d’ici la rentrée. La BCE vient à peine d’annoncer des décisions importantes, qui ne sont pas même toutes en place tandis que, aux Etats-Unis, il faudra attendre au plus tôt la fin du mois d’août avec la conférence annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole dans le Wyoming pour avoir des annonces significatives. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on n’imagine rien que rien n’arrive – les exemples d’étés animés depuis 20 ans ne manquent pas. C’est pourquoi nous avons introduit un deuxième scénario.

Pouvez-vous le décrire ? En l’absence de déclencheur macroéconomique ou monétaire prévisible, c’est un scénario surtout financier, dans lequel les investisseurs décident, pour une bonne part d’entre eux, de commencer à prendre leurs profits, après toutes ces années de hausse sur la plupart des marchés. Dans cette hypothèse, nous imaginons que les actions baisseraient de 5% aux Etats-Unis, de 7,50% en Europe. Les taux longs remonteraient sensiblement, de même que le dollar.

Quels facteurs pourraient, selon vous, déclencher pareil scénario ? Cela pourrait provenir de craintes sur la rentabilité des entreprises si les perspectives de bénéfices continuaient à être révisées à la baisse. Une autre possibilité serait que les marchés prennent peur d’une remontée plus précoce ou plus rapide que prévu actuellement du taux des fonds fédéraux, par exemple si la Banque d’Angleterre précisait ses intentions de remontée de son taux directeur. Il y a toujours bien sûr les facteurs géopolitiques mais ceux-là sont encore plus difficiles à anticiper ou à probabiliser.

Par conséquent, même si on reste plutôt confiant, il faut rester vigilant ? Il faut toujours rester vigilant ! Il n’est pas nécessaire de perdre le sommeil comme le financier de la fable mais il ne faut pas non plus se laisser bercer par le calme qui règne. Il n’est pas du tout certain que l’été soit turbulent – les marchés devraient plutôt s’agiter lorsque les banques centrales britannique puis américaine commenceront effectivement à resserrer leur politique – , mais on ne saurait l’exclure. Que cela n’empêche personne de passer de bonnes vacances !