Déflation : mieux vaut prévenir que guérir

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Le risque de déflation est réapparu en zone euro ces derniers mois avec le mouvement de forte baisse de l’inflation observé cette année. En effet, l’inflation est passée de 2,6% en septembre 2012 à 0,9% en novembre 2013 (après un point bas à 0,7% en octobre). Si une grande partie de cette baisse est imputable à la fin d’effets haussiers sur l’énergie, il faut toutefois souligner la baisse tendancielle de l’inflation sous-jacente de 1,5% à 1% sur la même période.

Cette baisse de l’inflation est visible dans tous les pays membres mais avec toutefois des différences importantes : si l’inflation de la zone euro a baissé de 1,9pt sur la période précitée, l’inflation a diminué de 0,8pt en Allemagne, de 1,5pt en France, de 2,6pts en Italie et de 3,4pts en Espagne ! L’inflation est désormais très faible dans les pays périphériques .

A court terme, la baisse de l’inflation est une bonne nouvelle pour les consommateurs puisqu’elle permet dans un environnement où les marchés du travail sont déprimés avec baisse de l’emploi et faiblesse des salaires et où les prélèvements obligatoires augmentent, de leur redonner du pouvoir d’achat. D’ailleurs, la désinflation est un des facteurs qui expliquent la sortie de récession de la zone euro mi-2013.

Tant que la baisse de l’inflation n’affecte pas les anticipations des agents, le risque déflationniste reste limité. Pour cela, il ne faut pas rester trop longtemps avec une inflation trop basse. Ainsi ce qui préoccupe le plus la BCE, ce n’est pas d’avoir un niveau d’inflation faible aujourd’hui, c’est plus le risque que cela affecte les anticipations d’inflation. Le cercle vicieux de la déflation se caractérise par la baisse de l’inflation et de ses anticipations conduisant à un arrêt des dépenses de consommation et d’investissement impliquant l’affaiblissement de la croissance et donc l’ouverture de l’output gap (écart entre la croissance potentielle et la croissance effective), la dégradation du marché du travail, la baisse des salaires et de l’emploi conduisant à leur tour à une baisse de l’inflation et de la croissance. La hausse des taux d’intérêt réels induite par la baisse de l’inflation rend le désendettement très difficile pesant également sur la croissance. La clé reste donc l’ancrage des anticipations d’inflation des agents.

Au dernier Conseil des gouverneurs, la BCE considérait que les risques sur l’inflation restaient équilibrés en prenant en compte la décision de baisser le taux refi à 0,25%. Les risques à la hausse sont d’éventuelles tensions sur le prix des matières premières et des hausses de prix administrés, la BCE ne mentionne pas explicitement le taux de change. Les risques à la baisse portent sur la faiblesse de l’économie. Il nous semble toutefois qu’aujourd’hui, les risques baissiers l’emportent sur les risques haussiers, ce qui plaide pour de nouvelles actions de la banque centrale.

A très court terme, les anticipations d’inflation restent ancrées, notamment la mesure préférée de la banque centrale, le swap inflation 5 ans à 5 ans, qui caractérise les anticipations des marchés de l’inflation moyenne sur 5 ans dans 5 ans, n’a que faiblement baissé. En revanche, le swap inflation à 5 ans, qui est beaucoup plus sensible à la situation actuelle, a bien diminué ces derniers mois (de 1,8% début 2013 à 1,3% récemment).

Si le risque de déflation peut sembler aujourd’hui encore limité, cela ne justifie pas l’inaction. Lutter contre la déflation s’avère plus difficile que lutter contre l’inflation. C’est avec cette conviction que B. Bernanke, spécialiste des questions de déflation, a mis en place des politiques non conventionnelles de grande ampleur. Les canaux de transmission peuvent être de plusieurs ordres : par la dépréciation du taux de change qui aurait un effet haussier sur l’inflation en dégradant les termes de l’échange ; par la baisse des taux d’intérêt nominaux de façon à limiter les effets de la faiblesse de l’inflation sur les taux réels et soutenir la croissance et faciliter le désendettement.

Comme nous l’avons souligné il y a quelques semaines , les outils dont dispose la BCE sont nombreux. A très court terme, après la baisse du refi le mois dernier, elle risque de privilégier la communication à travers la publication des Minutes. Même si cela ne sera sans doute pas la voie choisie à court terme, la BCE pourrait contourner la contrainte d’interdiction de la monétisation des dettes publiques, en mettant en avant que la fin justifie les moyens dans l’hypothèse de remise en cause de son objectif unique de stabilité des prix… comme elle l’avait fait à l’été 2012 en s’engageant à tout faire pour garantir l’unité de l’euro… ou encore utiliser son bilan pour faciliter le financement des économies.

NOTES

  1. Cf Chronique des marchés du 28/11/2013 « le D-word touche les pays du sud de l’UEM »
  2. Cf. Edito du 08/11/2013« la BCE n’a pas dit son dernier mot ».

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