Deflation or not deflation, that is the question

par Christophe Morel, Chef Economiste de Groupama AM

La publication d’un chiffre d’inflation en Zone euro de 0,7% pour le mois d'octobre, immédiatement suivie de la décision de la BCE de baisser taux son directeur a fait rejaillir le spectre de la déflation. Pourtant, en excluant les éléments exceptionnels liés aux prix du pétrole et de l’agro-alimentaire, l’inflation ne devrait plus davantage baisser au regard de la perspective d’embellie conjoncturelle. Dès lors, doit-on réellement craindre un risque de déflation en Zone euro ? Malheureusement … oui.

Un chiffre seul ne suffit pas à caractériser une situation aussi complexe que la déflation. En effet, la déflation ne se définit pas seulement comme la baisse du prix des biens et services, mais comme la baisse du niveau général des prix. A l’aune de de cette définition, il apparaît que :

  • la « désinflation dangereuse » gangrène plusieurs poids lourds de l’économie européenne. Près de la moitié du PIB de la Zone euro (l’Espagne, l’Italie et la France) a franchi ou est près de franchir le seuil de 0,5% que l'on peut considérer comme une zone de déflation si l'on tient compte d'une marge d'erreur dans la mesure des prix. Et plus généralement, l’accélération de la désinflation concerne désormais une majorité des pays européens;
  • au regard de notre scoring propriétaire du risque déflationniste construit à partir d’une matrice des prix des biens et services, des prix des actifs financiers et immobiliers, des taux de change effectifs réels, des output gap (retards de production) et des évolutions du crédit, il apparaît que le risque de déflation est aujourd’hui « objectivement » élevé voire matérialisé pour l’Espagne, le Portugal et la Grèce
  • enfin, un environnement dans lequel l'endettement privé est élevé (Espagne, Portugal et Grèce) et dans lequel la dynamique de l’endettement public n’est pas soutenable (on peut citer les mêmes pays auxquels s’ajoute l’Italie) caractérisent fondamentalement une situation potentiellement déflationniste. En effet, l’épargne doit se reconstituer pour rembourser la facture de la dette, et la dépense budgétaire doit s'ajuster à la baisse. A niveau de production donné, cette compression nécessaire de la demande fait peser un risque durable de baisse des prix. Et ce risque est d'autant plus élevé pour plusieurs pays que la politique monétaire leur est inadaptée, c’est-à-dire qu’elle insuffisamment accommodante pour prévenir avec sérénité l’éventuelle formation d'anticipations déflationnistes.

La reprise cyclique devrait permettre à plusieurs indicateurs de prix de quitter ponctuellement la zone « rouge », et de repasser au « feu orange », voire au « feu vert ». La sortie progressive de récession pourrait un peu éloigner le spectre de la déflation. Et finalement, selon l’adage « tant que la conjoncture va, tout va », les signes d’amélioration de l’activité devraient encore inciter les opérateurs de marché à privilégier le « verre à moitié plein » plutôt que le « verre à moitié vide ».

Néanmoins, il convient de ne pas être trop complaisant. L’environnement économique et financier n’est pas « normal ». La période est à l’ajustement prolongé des bilans, et la menace de déflation par la dette (« debt deflation ») est toujours élevée. Au total, la politique monétaire de la BCE restera durablement accommodante. Plus durablement encore que ce que l’on peut penser. Et peut-être plus accommodante encore que ce que l’on peut imaginer.

Le thème de la liquidité dominera encore les marchés, mais on peut envisager un «transfert» de cette liquidité, à savoir que cela soit davantage un sujet européen qu’américain. Et si l’évolution des bilans des banques centrales permet d’expliquer en grande partie les évolutions récentes des devises, ce « transfert » pourrait enfin permettre de voir l’appréciation du dollar face à l’euro.