par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
Coup de fatigue ou véritable asthénie ? Au sortir de l'hiver 2011, l'économie mondiale a, en tous les cas, perdu de son dynamisme. Les Etats-Unis ont commencé à ralentir dès le premier trimestre, revenant sur un sentier d'expansion d'à peine 2% en rythme annuel (r.a.). Proche de 3,4% (r.a.), la croissance en zone euro a mieux tenu, notamment grâce à l'Allemagne qui explique la moitié du chiffre. Mais elle promet de marquer le pas dans les enquêtes de conjoncture.
Celles-ci dépeignent un printemps ainsi qu'un début d'été maussades, auxquels peu de pays échappent. En juin, le principal indice américain du climat des affaires, fourni par l'ISM (Institute for Supply Management), pourrait s'être rapproché de l'étiage des 50, qui délimite la zone de contraction de l'activité dans l'industrie. Sa chute, de dix points depuis le début d'année, est marquée ; elle a largement contribué au "rallye" obligataire des derniers mois. En Europe, les indices comparables, tels que le PMI (Purchasing Manager Index), sont en moyenne plus élevés. Mais ils évoluent dans le même sens. En Allemagne et en France, ils dénotent une activité assagie par rapport à celle du premier trimestre qui, il est vrai, avait bénéficié d'apports exceptionnels (rattrapage des creux de production attachés à l'épisode neigeux de décembre 2010, livraison des commandes d'automobiles passées juste avant l'extinction de la prime à la casse).
Plusieurs facteurs ont contribué à tempérer le climat économique. Le premier, cyclique, tient à l’achèvement de la phase de reconstitution des stocks. Ces derniers ont dépassé leur point haut aux Etats-Unis, en dollars courants comme relativement au PIB. Aussi leur formation ne contribue-t-elle plus à la croissance, alors qu’elle en avait nourri la majeure partie du printemps 2009 à l’automne 2010.
L’économie mondiale se ressent aussi des conséquences du séisme et du tsunami qui, le 11 mars 2011, ont ravagé la façade Nord-Est du Japon. Petit client de l'Europe mais pièce essentielle du mécano industriel planétaire, l'Archipel a essuyé des pertes de production contagieuses. Dans l’automobile, la pénurie de composants a ralenti les chaînes de montage et entraîné des reports de livraisons. Les indices de commandes ont fléchi, il y a eu du chômage technique, ce qui s’est traduit aux Etats-Unis par un rebond des demandes d’indemnisations. Le choc paraît, toutefois, devoir être absorbé plus rapidement que prévu. Les usines Toyota tournent à 90% des niveaux de production de janvier-février. L'activité industrielle nippone dans son ensemble marque un rebond ; selon les enquêtes du ministère du Travail, elle devrait avoir récupéré le terrain perdu vers la fin d'année 2011.
Le renchérissement conjoint du pétrole (+70% de juin 2010 à avril 2011) et des matières premières agricoles (+50% sur la même période) finit enfin par affecter la marche des affaires. C'est le cas en Chine, ou l’énergie et l'alimentaire sont des postes de dépense trop sensibles pour qu'on les laisse dériver. Pékin préfère freiner le convoi, donc la demande, plutôt que risquer son déraillement. Des incitations aux achats d'automobiles ont été supprimées, les taux d’intérêt sur les prêts ont été relevés (jusqu’à 6,30% pour ceux à un an) et les coefficients de réserves obligatoires appliqués aux banques ont été portés à des points hauts historiques (21,5%). Moyennant quoi la Chine freine elle aussi.
Et ensuite ? Les chocs s’atténueront, à mesure que l’économie japonaise récupèrera du traumatisme du 11 mars ou que la fièvre sur le marché des matières premières se modèrera. Depuis quelques semaines, le prix des métaux comme des denrées alimentaires baisse, un mouvement qui, en Bourse, peut être relié à des anticipations moins euphoriques. Le prix du pétrole baisse aussi, notamment depuis que l’Agence internationale de l’Energie a autorisé la mise sur le marché de 60 millions de barils, tirés des réserves stratégiques.
Au-delà de l’actuel trou d’air, l’investissement des entreprises a vocation à soutenir la reprise aux Etats-Unis. Dans le secteur privé, les dépenses annuelles en capital fixe restent en retrait de 200 milliards de dollars par rapport à leur dernier point haut de début 2008. C’était il y a trois ans, soit un laps de temps à partir duquel les besoins de renouvellement, notamment en matériel informatique et logiciels, commencent à se faire sentir. Les conditions de financement, par emprunt ou génération de cash- flows, sont comme l’on sait très favorables. Au stade initial de la reprise, les profits peuvent être utilisés par les entreprises pour racheter leurs propres actions ; mais ils finissent généralement par être engagés. Aussi leur remontée dans la valeur ajoutée précède-t-elle souvent, aux Etats-Unis, celle de l’investissement.
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