Des marchés en stand-by et un attentisme de « complaisance »

par Xavier Lespinas, gérant Actions, Gérard Cercet, Multi-gestion, et Laurent Geronimi, gérant Taux/Crédit chez SwissLife Banque Privée

Les spécialistes auront observé en mai, que les grands indices boursiers avaient du mal à trouver une tendance affirmée, sans consolider suffisamment pour recréer des opportunités d’achat. Les marchés n’ont pas trouvé motif à s’envoler sur le terrain macro-économique, les déceptions étant, en revanche, bien absorbées. En réalité, avec une certaine «complaisance», on s’est satisfait de nouvelles mitigées, en misant sur une amélioration proche et la plupart des idées, qui auraient pu inciter les investisseurs à être plus offensifs, n’étaient pas assez abouties ; notamment, tous attendaient les annonces de la BCE.

Les écarts, que nous avons connus, étaient le fait d’une rotation sectorielle très importante et de volumes extrêmement creux.

Rappel de notre scénario de mai 2014

  • Nous notions, sans grande inquiétude, que l’économie était quasiment à l’arrêt au premier trimestre à 0.1 %, mais restions confiants sur les capacités de rebond sur le reste de l’année.
  • Nous restions perplexes sur les perspectives de croissance au Japon, qui ne pouvaient guère être portées par l’investissement. Elément positif, côté inflation, on pouvait en effet s’attendre à une très légère
  • En Europe, nous relevions le cas très problématique de la France, ses autres partenaires, y compris le Royaume-Uni, continuant globalement à faire état d’une amélioration de l’activité économique.
  • Côté émergents toujours aussi délicat de trouver un fil conducteur, d’autant qu’on a assisté en quelques années à une redistribution des cartes parfois surprenante en matière de compétitivité ; ce qui semble certain, c’est qu’en Chine le Premier Ministre se pose en garant du soft-landing.
  • Nous estimions sages de rester en stand-by en attendant la BCE, estimant, par ailleurs que les opérations capitalistiques pourraient se multiplier et animer les marchés.
  • En multi-gestion l’heure était toujours à investir dans des fonds diversifiés avec un timide retour sur les émergents pour des raisons techniques. Toujours actifs sur le portage, la gestion de taux estimait que les rendements resteraient bas car les taux directeurs ne remontaient pas et que la convergence, en zone euro, se poursuivrait.

Etats-Unis : un rattrapage marqué, après un début d’année en contraction

Le PIB du premier trimestre attendu faible, annoncé très faible, a finalement attesté, après révision, d’une véritable contraction, même si les stocks sont en grande partie responsables de cette détérioration. 
Le secteur de la construction et de l’immobilier est sans doute celui qui a le plus pesé sur l’activité, avec tous ses effets induits ; en revanche, c’est sans doute celui qui vient de contribuer le plus au rebond assez soutenu, qui se dessine pour le deuxième trimestre au travers des premières données chiffrées. 
Les investissements immobiliers viennent d’ailleurs d’être revus en hausse, les mises en chantier étant ressorties nettement au-dessus des attentes en avril, ainsi que les permis de construire (+ 8 % contre + 1.3 % attendu).
Le taux de chômage marque un nouveau recul à 6.3 % (avec, il est vrai une participation également en baisse), ce qui laisse peu de place à la Fed pour modifier sa politique de tapering, mais elle gardera son biais ultra-accommodant. 
Les ISM d’avril étaient à la hausse, mais les ventes de détail stagnaient et la production industrielle, comme le taux d’utilisation des capacités de production refluaient. Ce qui ne précipite pas la reprise des investissements. 
Toutes ces considérations nous font dire que la croissance sera plus faible que prévu en 2014 car l’acquis de croissance sur le premier trimestre va constituer un handicap pour atteindre 2.6 %, voire davantage, que prévoient encore beaucoup d’économistes. On sera plus proche des 2.3 %.

Japon : le « soufflé » retombe, mais de nouvelles mesures sont annoncées

Les statistiques sont peu réjouissantes, même si une «rechute» était attendue, après le 1er avril (et la balance commerciale enregistre un nouveau déficit record)
Deux chiffres importants ont déçu, bien qu’attendus en baisse : la production industrielle et la consommation des ménages. 
Ainsi l’économie ne se reprenant que «de façon modérée», les autorités nippones annoncent que le taux d’imposition des sociétés va être sensiblement abaissé et que les caisses de retraite publiques achèteront davantage d’actions japonaises sans tarder. 
Quant à l’inflation, elle aurait été de 1 % en avril, après retraitement de l’impact de la t.v.a.

Zone euro / Europe : en attendant la BCE, en ordre dispersé

Trop tôt pour constater un changement de discours après les élections. Passée l’émotion des résultats, sans réelle surprise, les discours sont les mêmes et, en France, la méthode de gouvernement dénoncée par Jose Manuel Barroso ne change pas : on annonce, on avise et on compose. Et nos voisins ne font rien pour faire oublier l’exception française : les Portugais avaient annoncé une baisse de la fiscalité pour les sociétés, les Espagnols y viennent, quant au bilan de Matteo Renzi, il remettrait presque au goût du jour le fameux «miracle», sinon par les chiffres, du moins par l’ampleur des réformes.

Globalement, les indices PMI ont continué à s’améliorer, y compris au Royaume-Uni, où on était déjà au-dessus de 55. Outre-Manche, du reste, l’amélioration de la conjoncture se constate au niveau des ventes de détail, au plus haut depuis dix ans et en termes de PIB, puisqu’au premier trimestre, on dépasse les 3 %, ce qui ne s’était plus vu depuis 2007.

Un bémol quand même : l’inflation à 0.7 % en avril, est toujours source d’inquiétude et elle provient, en grande partie, de la flambée des prix de l’immobilier (+20 %, sur un an à Londres).

L’Allemagne est toujours sur un nuage, avec un IFO, qui revient un peu (rien de grave), mais un ZEW, qui progresse. L’équilibre budgétaire est atteint, et la demande interne, aussi bien que l’investissement, maintient la dynamique.

Mais l’«évènement», pour la zone euro, était, bien entendu, l’intervention de Mario Draghi, le 5 juin, car il ne pouvait plus reculer, tant il avait, lui-même, fait naître des attentes très fortes en mai.

Pas de réelles surprises, en fait, dans les dispositions prises par la BCE, dont les objectifs étaient, de faire baisser l’euro, de créer plus d’inflation et de s’assurer que les entreprises ne rencontraient pas d’obstacle au financement de leurs projets par les banques, juste au moment, où on note un léger redémarrage de la demande de crédit. Le dispositif (baisse des taux directeurs et de dépôts, rachats d’ABS, TLTRO et, plus tard, éventuellement un Quantitative Easing) a été assez bien accueilli, même, si sa mise en place ne va pas être effective demain et, si la demande de crédit ne se décrète pas, sans la confiance et des perspectives favorables.

S’agissant des prévisions de croissance pour 2014, elles sont ramenées à 1.10 %, tout comme celles d’inflation du reste (bien que les économistes voient plutôt 0.8 %)

Zones émergentes : la Chine entre le tsunami des réformes et les vaguelettes d’une « croissance policée »

Plus que jamais, Pékin doit, à la fois conduire de grandes réformes structurelles, tout en évitant de faire trop de vagues. Le trend actuel de croissance doit être maintenu et l’exemple type demeure l’immobilier : la spéculation doit être cassée, mais il faut favoriser les primo-accédants. Pour cette raison, certaines banques locales ont pu réduire leurs ratios de réserves obligatoires.

S’agissant des entreprises, leur financement est un enjeu majeur, ce qui laisse davantage d’espace aux investissements étrangers, et ce, pour tous les secteurs. La production industrielle a plus ralenti que prévu, mais l’investissement est en hausse de plus de 17 % à fin avril. Par ailleurs, le PMI HSBC manufacturier de mai a rassuré, d’autant que les nouvelles commandes marquaient un plus haut de trois ans.

En Inde la libéralisation devrait être relancée, après l’arrivée au pouvoir de Modi. Pour l’instant on note que les exportations rebondissent sensiblement, mais que l’inflation regagne du terrain. Grâce aux services, le PMI composite était à la hausse en avril.

Au Brésil, dans un contexte de mondial du foot, la situation sociale reste délicate et, à ce jour, les sondages, pour les présidentielles d’octobre, laissent le jeu très
ouvert ; ce qui fait dire à la banque centrale, qu’elle n’exclue pas de devoir remonter le taux Selic, avant la fin de l’année, éventuellement pour défendre le réal, bien qu’on enregistre un léger mieux du côté de l’inflation. Signalons enfin, que la production automobile est en chute libre sur un an (- 21.4 %), alors que cette industrie occupe une place importante dans l’économie brésilienne.

Stratégie

– Actions / titres vifs

En mai, avec une volatilité très faible et dans des volumes très creux, les indices ont finalement peu varié, mais nous avons assisté à une rotation sectorielle entraînant parfois des mouvements violents.
Les investisseurs se sont satisfaits facilement, mais se sont également «accoutumés» facilement : à des marchés émergents mieux orientés, bien que, depuis un an, les réformes entreprises ne soient pas légion, à la situation en Ukraine, aux tensions géopolitiques ou aux élections-simulacres de démocratie, aux statistiques parfois mitigées et à l’attente des annonces de la BCE, même, si ce point a été au centre de toutes les attentions, y compris en dehors de la zone euro.

On peut qualifier cette approche d’ «attentisme de complaisance».
Aujourd’hui, l’inconnue de la BCE est levée, l’idée étant de regarder l’effet des annonces sur les taux longs et l’euro, pour renforcer les positions actions, le cas échéant, et de préférence sur les zones géographiques, qui avaient nos préférences depuis le début de l’année. Etant entendu, que les dernières décisions du gouvernement Abe nous incitent à tenir nos positions, sur le Japon, d’autant que le rebond amorcé depuis un mois, s’est fait sans l’aide du yen, ce qui est bon signe.
En matière de sélection de valeurs, nous pensons que le récent retour sur les valeurs défensives, qui étaient en retard, ne doit pas nous faire oublier les valeurs de croissance (voire les situations spéciales pour les gestions les plus dynamiques). Et en termes de capitalisation, les portefeuilles doivent faire une place aux mid caps, avec discernement, et en évitant les valorisations excessives, qui auraient pu être favorisées récemment par la création des PEA PME.

– Multi-gestion

Le volontarisme de la BCE libèrera peut être les forces vives qui somnolaient sur les marchés monétaires : l’arsenal de transformation massive des liquidités suffira-t-il? Auquel cas, la normalisation des marchés atteindra son nirvana : « seul le risque sera rémunéré ». On peut avoir un doute sur le fait que les marchés ont anticipé ce mouvement de baisse des taux et qu’il faille se préparer à « vendre au son du violon ».

A contrario, la baisse des taux directeurs devrait renforcer aussi le climat de confiance ambiant.

Nous parions sur cette dernière hypothèse avec trois conséquences :

Les taux des marchés monétaires étaient déjà très bas : cette nouvelle baisse des taux incitera fortement les investisseurs à rechercher du risque pour améliorer le rendement. Aux Etats-Unis, certains fonds monétaires réguliers ont même fermé, faute de rendement.

Les bourses internationales, dont les bourses émergentes relayeront et amplifieront ce climat de confiance.

La baisse de l’euro, conséquence probable de cette baisse de taux, favorisera l’investissement en dollar dans une période, où les gains en capital sur les marchés obligataires US pourraient se faire plus rares. Les effets des politiques monétaires « divergentes », entre la BCE et la Banque Centrale Américaine, seraient donc de nature à faire « converger » paradoxalement les intérêts des Américains et des Européens, au travers la baisse de l‘Eurodollar.

– Taux-Crédit

Nous avions évoqué les mesures que pouvaient prendre la BCE, lors du précédent PV du comité stratégique. En conséquence, l’allocation d’actifs avait été orientée en ce sens. Nous maintenons, notamment, nos positions avec les thématiques suivantes : convergence des rendements obligataires au sein de la zone euro, achats des émetteurs des zones périphériques et nous favorisons les hybrides, les « coco bonds » et les convertibles.