par Sylvain Broyer, Costa Brunner et Juan Carlos Rodado, économistes chez Natixis
On stigmatise aujourd’hui les écarts de solde courant qui prévalent entre pays membres de la zone euro. Mais en quoi de tels écarts et en particulier les déficits courants posent-ils problème dans le cas d’une union monétaire ?
On ne peut pas en effet raisonner de la même façon si un pays est membre d’une union monétaire ou non, puisque dans une union monétaire :
- le financement des déficits courants n’est en aucun cas extérieur mais d’origine domestique (assurés par les autres membres de l’union). C’est par exemple le cas du déficit américain financé par la Chine dans une grande zone dollar.
- tant qu’un pays membre peut émettre des titres de dette qui sont acceptés en pension par la banque centrale, son déficit courant est assuré de trouver un financement en dernier ressort. Si ce n’était plus le cas, le pays serait de facto exclu de l’union monétaire, ce qui est le vrai risque encouru par la Grèce aujourd’hui.
Le débat ne porte donc pas aujourd’hui sur la question du financement des déficits courants. Il revêt principalement des considérations commerciales, internes à la zone euro. Une telle discussion révèle une fois encore l’absence dangereuse de coordination des politiques économiques entre pays de l’UEM.
Les déficits courants sont-ils un problème en Union monétaire ?
On stigmatise aujourd’hui les écarts importants de solde courant qui prévalent entre pays membres de la zone euro, et en particulier les pays membres à fort déficit courant.
Dans l’absolu, et dans le contexte actuel, cette appréhension est motivée par l’assèchement partiel des financements extérieurs, qui appelle à correction des déficits courants, ce qui est synonyme de récession économique.
Mais en pratique, en quoi les déficits courants posent-ils problème dans le cas d’une union monétaire ?
En union monétaire, le financement des déficits est domestique et garanti en dernier ressort par la banque centrale
On ne peut pas raisonner sur les déficits courants d’un pays de la même façon s’il est membre d’une union monétaire ou non.
Deux raisons peuvent être invoquées :
- Dans une union monétaire, le financement des déficits courants de certains pays est financé par les excédents des autres. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un financement extérieur mais d’un financement domestique. Le solde courant de la Nation est un découpage purement comptable qui ne revêt plus aucune légitimation lorsque la Nation a perdu son autonomie monétaire (change, taux d’intérêt). Valable pour la zone euro, cette remarque s’applique également au financement du déficit courant américain si l’on considère que les Etats-Unis sont de facto en union monétaire avec la Chine et les pays exportateurs de pétrole.1
- Dans une union monétaire, un pays membre a toujours la possibilité de financer son déficit d’épargne auprès de la banque centrale en dernier ressort. Tant qu’un pays peut émettre des titres de dette qui sont acceptés en pension par la banque centrale, son déficit courant est financé indépendamment du degré d’épargne disponible dans les autres pays membres. Dans le cas de la Grèce, tant que la BCE accepte ses titres de dette, publique comme privée, le pays ne fera pas défaut. Aujourd’hui, la BCE accepte en pension un peu plus de 10.000 Mds EUR de titres de dettes ce qui, sous réserve de compositions différentes, n’est pas très éloigné de l’encours total de titres de dettes émis en zone euro.
Mais en pratique, le marché est le principal véhicule de financement des déficits et il a sa lecture propre
Si en théorie, le niveau des déficits courants nationaux importe peu en union monétaire, il est source de discrimination par le marché.
Le niveau des CDS souverains pour les pays membres de la zone euro en est fonction, sauf pour la Grèce. La corrélation est également très forte avec les taux d’intérêts sur les dettes publiques.
Nous avons pu montrer par ailleurs que l’écart du CDS grec au déficit courant n’est pas lié à la spéculation sur ces contrats.2 En revanche, ce écart s’explique si l’on considère que le financement en dernier ressort de la dette grecque par la BCE pourrait ne plus être assuré au-delà du 31 décembre 2010 dans le cas où la banque centrale ne prolongerait pas l’abaissement temporaire de la notation crédit minimale ou ne modifierait pas les règles initiales pour ses prises en pensions.
Dans une telle éventualité, la Grèce serait de facto exclue de la zone euro, sur décision d’une agence de notation. Le marché ne s’y trompe pas.
Le marché a donc sa lecture propre, qu’il impose aux dettes de la zone euro. On est libre de penser que c’est à tort, mais le marché étant le principal véhicule de financement des dettes des pays membres de la zone euro, on ne peut qu’accepter sa lecture.
Disons toutefois que la lecture du marché est la cause de coût de transactions inutiles, qui pourraient être annulés dans une organisation institutionnelle non marchande du transfert d’épargne entre pays membres.3
Si les écarts de solde courant ne posent pas de problème de financement, ils révèlent l’absence de pilotage économique de la zone euro
Si les déficits courants sont stigmatisés aujourd’hui, la question ne se cristallise pas autour de leur financement dans le contexte de la crise grecque.
Leur creusement dans certains pays et leur écart grandissant sont avant tout l’expression des déficits commerciaux.
Si l’on considère que le commerce extérieur intra zone euro représente au moins 40% des exportations de chaque pays membres, le débat autour des déficits courants traduit les différentes réussites commerciales des pays membres dans un business qui représente 1200 Mds EUR annuels.
La discussion autour des écarts de déficits courants entre pays membres de la zone euro revêt des considérations de politique commerciale, pas des problèmes de financement. Elle révèle une fois de plus l’absence dangereuse de coordination des politiques économiques entre pays de l’UEM.4
NOTES
- Voir à ce sujet le flash 2009-90 : « Regarder le pays que forment ensemble la Chine et les Etats-Unis pour comprendre les effets de la nouvelle politique de change de la Chine »
- Voir le flash 2010-80 : « Quelle rationalité économique aux CDS souverains ? »
- Voir le flash 2010-38: « Que coûterait le fédéralisme fiscal à la zone euro ? »
- Voir le flash 2010-107 « Ne pas confondre mauvaise gestion économique et asymétries structurelles »
Retrouvez les études économiques de Natixis