La normalisation de la politique monétaire selon la BCE

par Laurence Chieze Devivier, stratégiste chez Axa IM

Comme largement attendu, lors de sa réunion du 4 mars, la BCE a laissé ses taux directeurs inchangés, maintenant le taux des prises en pension à 1%, son niveau plancher depuis mai 2009. Néanmoins, la Banque a annoncé la poursuite de sa politique de normalisation des conditions monétaires. Le détail des prochaines opérations de refinancement pour l’ensemble de l’année a signalé sa volonté de réduire l’ampleur des mesures non-conventionnelles de crédit. Il s’agit à la fois de diminuer les liquidités excédentaires fournies à l’Eurosystème et d’en raccourcir la maturité, tout en évitant les tensions sur le marché monétaire.

Par ailleurs, le scénario économique de la BCE reste celui d’une reprise modeste et fragile, confirmant notre hypothèse d’une très faible de probabilité de hausse des taux directeurs cette année. Nous examinons ici les perspectives d’évolution des taux centraux cette année et l’année prochaine.

La normalisation des opérations d’open market

En octobre 2008, la BCE a assoupli considérablement ses opérations d’open market, notamment en effectuant les opérations principales hebdomadaires (MRO) à taux fixe et en servant la totalité des demandes. De plus, elle a également étendu la maturité des ses opérations de plus long terme (LTRO), habituellement à 3 mois et à taux variable, à 6 et 12 mois et sans limite de montant.

Ainsi, à la fin 2009, les liquidités de long terme représentent plus de 80% des refinancements de la BCE, contre moins de 40% avant la crise. Un retour vers la situation antérieure où le refinancement se faisait presqu’aux deux tiers via les opérations principales de refinancement est à l’ordre du jour. Il s’agit donc pour la BCE de réduire le montant de liquidités fournies aux institutions de crédit pendant la crise, d’en raccourcir la maturité pour retrouver la situation d’avant-crise de financement très majoritairement à court terme. Néanmoins, la BCE cherche à éviter les tensions sur les marchés de liquidités et donc sur les taux de marché, afin de ne pas ralentir les crédits à l’économie.

  • Dès décembre 2009, la BCE annonçait ses deux dernières opérations de long terme à 6 et 12 mois. La dernière opération de refinancement à 12 mois a eu lieu en décembre 2009 et a été totalement servie (96,6 mds €). Son taux a été indexé sur celui des opérations principales de refinancement. Le 4 mars, la BCE a annoncé que sa dernière LTRO à 6 mois, le 31 mars, se déroulerait de façon identique.
  • Afin de raccourcir la maturité de la liquidité, la BCE ne procédera par la suite plus qu’à des opérations de refinancement de long terme à 3 mois, leur maturité habituelle d’avant-crise. De plus, elle a décidé de revenir au mode d’adjudication à taux variables, signifiant que les allocations se feront en quantité limitée.
  • Dans le but d’assurer une normalisation graduelle des conditions de liquidité, les opérations principales de refinancement hebdomadaires et les opérations spéciales à 1 mois restent des adjudications en quantité illimitée et à taux fixe, « autant qu’il sera nécessaire, au moins jusqu’en octobre 2010 1». De plus, afin d’éviter des tensions sur le marchés monétaire, à la maturation de la LTRO à 12 mois de juillet 2009 (442 mds €), la BCE procèdera à une opération de réglage fin de 6 jours. Ces opérations consistent en la cession ou fourniture de liquidités temporaire réalisées par voie d’appels d’offres rapides (1h30 au lieu des 24H des appels d’offres normaux) ou de procédures bilatérales, pour un nombre limité de contreparties. Ici, il s’agira d’une opération d’apport de liquidités à 6 jours, à taux fixe (celui des MRO) et illimitée.

Concernant, le programme de rachat de covered bonds (CB), la BCE vient également d’annoncer sa décision de prêter les CB2 qu’elle avait acquis depuis juillet 2009 (40 mds sur son programme total de 60 Mds). En effet, le fonctionnement du marché des CB s’est nettement amélioré depuis l’été dernier, les émissions primaires ayant fortement redémarré.

Enfin, la question des collatéraux acceptés par la BCE en garantie de ses opérations de prise en pension est également un sujet important. Rappelons qu’en octobre 2008, la BCE avait élargi la gamme des collatéraux et abaissé la note minimum requise (de A- à BBB-). Ces nouvelles règles valent jusqu’à la fin de cette année. La crise grecque pose néanmoins la question d’une prolongation éventuelle de ces mesures, la note de la dette souveraine grecque ayant été abaissée à BBB+ par Fitch et S&P, avec des perspectives négatives pour cette dernière.

Statu quo sur les taux directeurs en 2010

L’avis de la BCE sur les taux n’a pas changé : ils sont toujours jugés « appropriés, l’évolution des prix demeurant sous contrôle à l’horizon de la politique monétaire ». La BCE a présenté ses nouvelles prévisions d’inflation et de croissance pour 2010 et 2011, faiblement modifiées par rapport à son scénario de décembre. Ainsi, la BCE conserve un scénario de reprise économique fragile, marquée par des incertitudes toujours élevées. Si la fourchette des prévisions pour cette année a été modifiée, sa moyenne reste inchangée à 0,9%, soit un rythme un peu moins fort que notre propre prévision de 1,2%. Par contre, la BCE a révisé à la hausse la croissance 2011 de 1,2% à 1,5% en moyenne, contre 1,9% dans notre scénario. Les prévisions d’inflation ont été légèrement modifiées également : avec une très légère révision à la baisse de 0,1 point pour 2010, à 1,2%, et à la hausse pour 2011, à 1,5%. Notre scénario d’inflation rejoint celui de la BCE, avec une hausse graduelle de l’inflation (1,5% fin 2011). De plus, la croissance de M3, bien en deçà de son objectif à moyen terme de 4,5% l’an, reste préoccupante. Et l’évolution des crédits à l’économie, en particulier aux entreprises, en territoire négatif depuis 5 mois, indique que le maintien de conditions de liquidités bancaires favorables est nécessaire au redémarrage du crédit.

Afin d’estimer l’évolution du taux directeur de la BCE, nous utilisons un modèle économétrique proche de la règle de Taylor. Cette règle relie le taux d’intérêt décidé par la banque centrale à l’écart entre le taux d’inflation et sa cible, et l’écart entre le niveau de PIB et son potentiel.

Dans la pratique, cela signifie que le taux directeur augmente lorsque l’inflation dépasse son objectif ou lorsque l’économie croit rapidement, pouvant provoquer une « surchauffe » et une accélération de l’inflation.

Plus précisément, nous utilisons différents indicateurs du cycle économique et de l’inflation (enquête IFO, taux d’utilisation des capacités de production, taux de chômage, anticipations d’inflation et taux de change fixé à 1,25 à l’horizon de notre prévision). Notre modèle fonctionne correctement jusque fin 2008, moment où la crise financière plonge l’économie dans la récession et où l’inflation décélère fortement. Il prévoit un taux directeur négatif à partir du 2T09 et ce jusqu’au 3T10. En effet, ni le redémarrage de l’activité, ni le retour de l’inflation en territoire positif ne sont d’une ampleur suffisante pour créer des tensions inflationnistes. Selon notre règle de Taylor et nos prévisions macroéconomiques, le taux directeur ne passerait au dessus des 1% qu’à la mi-2011.

Néanmoins, nous pensons que la BCE pourrait agir avant. Vis-à-vis de la règle de Taylor, J-C. Trichet soulignait récemment que la stratégie de politique monétaire de la BCE était « basée sur la règle de Taylor, mais non pas liée à elle »3. Rappelons ensuite l’inconfort et la réticence de la BCE à abaisser davantage son taux directeur, alors que les Etats-Unis ou le Royaume-Uni ont adopté une politique de quasi-taux zéro. Au regard de l’expérience japonaise, la déflation semblant plus difficile à enrayer que l’inflation, la BCE n’a pas voulu abaisser le repo en dessous de 1%, soulignant que le taux des dépôts était quant à lui proche de zéro.

Conclusions

La BCE a commencé le retrait de ses mesures non-conventionnelles, tout en rassurant sur le maintien de conditions de liquidité confortables jusqu’au 3T10. Elle compte pour cela sur la maturation naturelle de ses opérations passées, alors qu’elle raccourcit la maturité de ses nouvelles opérations d’open market.

A notre avis, en matière de politique de taux, il n’y a pas d’urgence. L’inflation devrait rester faible et les anticipations sont bien ancrées. Ainsi, la BCE souhaite maintenir des conditions de financement favorables pour les secteurs privé, mais aussi public. La prudence de la BCE devrait néanmoins la pousser à relever le repo au cours du 1er trimestre 2011.

NOTES

  1. Détails des opérations de refinancement jusqu’au 12 octobre 2010, 4 mars 2010 : http://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2010/html/pr100304_2.en.html