par Christophe Morel, Chef Economiste de Groupama Asset Management
Si on doit caractériser l’environnement global actuel, l’expression phare de notre scénario économique, à savoir « l’optimisme prudent », reste adéquate.
D’un côté, le contexte est actuellement nettement plus favorable que celui expérimenté au cours des trois dernières années, qui avait d’ailleurs conduit à l’époque à des ralentissements prononcés faisant craindre un risque de retour en récession mondiale. En effet :
- les incertitudes ont sensiblement baissé depuis que les banquiers centraux ont écarté certains risques extrêmes à l’instar de la BCE et de son message sur la pérennité de la Zone euro comme union monétaire.
- Les politiques monétaires sont de plus en plus accommodantes ce qui constitue immanquablement une « force de rappel » positive. Non seulement les banques centrales des pays développés ont accentué les mesures non conventionnelles de politique monétaire, mais on dénombre près de 55 décisions de baisse de taux dans le monde depuis un an.
- Le prix du pétrole, qui avait provoqué les 3 derniers ralentissements conjoncturels, n’est plus pénalisant au regard de sa stabilité sur les derniers mois.
Face à cela, la prudence reste de mise au regard des fondamentaux :
- la visibilité sur les politiques économiques reste insuffisante, ce qui continue de peser sur les décisions d’investissement des entreprises ;
- les tensions financières n’ont pas pleinement disparu, et l’activité de transformation bancaire n’est pas réellement repartie ;
- enfin et surtout, le stock de dettes publiques et/ou privées reste encore très élevé, ce qui pénalisera durablement l’activité économique.
Donc un relatif « optimisme » à court terme, mais une « prudence » réaffirmée pour le moyen-long terme.
Des signes d’une croissance plus autonome, mais pas d’accélération
Au-delà de cette balance des risques, nous observons que les « poids lourds » de l’économie mondiale montrent des signes d’une croissance un peu plus autonome. Aux États-Unis, la consommation résiste grâce à l’effet-richesse (via la hausse des actions et de l’immobilier) et la reprise dans la construction est avérée ; en Allemagne, les fondamentaux (amélioration du marché de l’emploi, hausse des salaires) soutiennent la consommation et les commandes domestiques de machines affichent un momentum positif ; la croissance chinoise semble rester pour le moment autour de 7,5-8,0% ; enfin, le Japon affiche une reprise de sa demande interne (tant celle des ménages que celle des entreprises).
Pour autant, l’économie mondiale n’est toujours pas en phase d’accélération. Les toutes dernières publications des indicateurs de climat des affaires aux États-Unis ne traduisent pas des carnets de commande extrêmement fournis, ni même une perspective de forte hausse de l’investissement dans les six prochains mois. La confiance économique peine à se stabiliser en Europe, et les indicateurs avancés de la conjoncture se tasse légèrement en Chine. Pour les États-Unis, cela traduit le fait que la visibilité n’est pas encore suffisante sur les politiques économiques pour permettre aux entreprises d’allonger leur horizon. En Zone euro, c’est la conséquence du triple défi qu’elle doit relever : amélioration de la compétitivité, poursuite du désendettement, modèle de croissance à réinventer.
La « répression financière » : le moyen le plus consensuel de réduire l’endettement
Face à l’importance du stock de dette publique, plusieurs leviers peuvent permettre d’assurer le désendettement des États : une croissance forte, un coût réel (déflaté de l’inflation) du financement bas et la discipline budgétaire. La discipline budgétaire a atteint, pour le court-moyen terme, sa limite sauf à plonger certains pays avec grande probabilité en déflation ; la croissance ne se décrète pas et les effets des mesures structurelles peuvent nécessiter beaucoup de temps avant de se traduire en gains de productivité ; l’inflation n’est pas souhaitable dans des économies déjà fortement affectées par des taux de chômage élevés ; reste le coût nominal de financement qui peut être maintenu bas si les banques centrales « monétisent » la dette : c’est ce qu’on appelle parfois la « monétisation de la dette » ou encore la « répression financière » parce que cela conduit à des taux d’intérêt réels négatifs et donc à une forme d’impôt sur les porteurs d’obligations et, plus généralement, sur les épargnants.
D’une manière ou d’une autre, que la décision soit anticipée ou subie, les autorités monétaires vont se laisser convaincre des mérites de taux d’intérêt durablement bas. L’exemple du Japon montre que même avec un scénario très optimiste sur la croissance, la soutenabilité de la dette n’est assurée que si la Banque du Japon maintient sa politique monétaire non conventionnelle … pour de très nombreuses années.