Espagne : peut-on déjà parler d’embellie ?

par Jésus Castillo, économiste chez Natixis

Le 30 juillet, nous connaitrons la première estimation de la croissance du PIB espagnol au cours du second trimestre. Les indicateurs mensuels déjà publiés pour la période ont tous montré des signes soit de stabilisation, soit d’amélioration. Les enquêtes de confiance auprès des consommateurs, des industriels ont regagné en moyenne 4 et 0,5 points respectivement sur le T2 2013.

Du côté de la demande, les ventes de détail ne reculent plus aussi violemment qu’au T1. Les immatriculations de véhicules ont même enregistré une hausse de +2,9% en GA en moyenne après une baisse ininterrompue depuis l’été 2010. Du côté de l’offre la production industrielle a pratiquement cessé de baisser à – 1,8% en moyenne en GA en avril-mai contre -6% sur l’ensemble de l’année 2012 et l’enquête PMI dans le secteur manufacturier à 50 en juin, a atteint le seuil théorique d’expansion de l’activité pour la première fois depuis avril 2011.

Dans les services l’enquête PMI s’est améliorée de près de un point. Seul le secteur de la construction ne montre aucun signe d’amélioration ni de stabilisation sur le trimestre. Enfin, côté demande extérieure, les exportations ont augmenté de 13% en moyenne en avril-mai 2013 et le solde de la balance commerciale a pratiquement atteint l’équilibre à -27,5 mln € en mai.

Ces signes sont effectivement encourageants. Ainsi, la Banque d’Espagne prévoit encore une légère contraction du PIB au T2 2013 de -0,1% (contre -0,5% précédemment). Celle-ci résulterait d’une stabilisation de la demande domestique attendue en recul de -0,6% sur le trimestre (-0,7% au T1 2013) et d’un léger rebond de la contribution des exportations nettes de 0.1 point au T1 2013 à 0,4 point. Dans ce contexte, on comprend la réjouissance du gouvernement qui prédit la sortie de récession au second semestre, après quand même huit trimestres consécutifs de repli du PIB (depuis T3 2011). Faut-il pour autant partager ce regain d’optimisme ? Rien n’est moins sure. La dernière enquête de population active montre que, malgré une légère baisse du taux de chômage de 0,9 point au T2, le marché du travail continue de détruire des emplois dans l’industrie. Certes, le rythme de dégradation est nettement moins dramatique qu’aux pires heures de la crise, mais le poids des demandeurs d’emploi dans la population active demeure à un niveau extraordinairement élevé : 26,3%. En outre, s’il faut quand même saluer la relative embellie ou plutôt la moindre « dépression », les perspectives de moyen et long terme ne permettent pas de crier victoire. En ce sens, les prévisions du FMI début juillet placent l’Espagne comme l’un des seuls grand pays de la zone euro qui enregistrerait une croissance nulle en 2014 (en avril dernier le FMI prévoyait une croissance de +0,7% en 2014).

Les obstacles qui se dressent encore devant l’économie espagnole sont en effet de taille. Tout d’abord, le rythme de réduction du déficit budgétaire à 3% du PIB d’ici 2016 (contre 7% en 2012 hors recapitalisation des banques et 10,6% avec) suppose la poursuite de l’austérité pendant les trois prochaines années. L’assouplissement des objectifs permet effectivement d’atténuer les effets récessifs de la rigueur budgétaire, mais conduit aussi à une stabilisation du ratio de dette publique plus tardive et à un niveau plus élevé. Ce dernier pourrait se stabiliser à un niveau proche de 100% du PIB supposant un accroissement durable de la charge de la dette.

Depuis l’an dernier, celle-ci est devenue le deuxième poste de dépenses du budget de l’Etat après les retraites. Ensuite, la réduction de l’endettement du secteur privé (ménages et entreprises) se poursuivra mais à un rythme lent en raison du niveau élevé des taux d’intérêt à moyen et long terme. Ceux-ci devraient par ailleurs rester durablement élevés en raison des difficultés persistantes des banques. Elles doivent toujours faire face à des niveaux de créances douteuses importants et par conséquent à des coûts de financement élevés. Enfin, dans ce contexte de très grande faiblesse de la demande domestique et de conditions de crédits toujours restrictives (prudence des banques, taux d’intérêt élevés) l’investissement des entreprises restera très faible et par conséquent les destructions de capacités de production se poursuivront.

Au final, la situation dégradée du marché du travail avec un chômage de longue durée de plus en plus important (perte de capital humain), la faiblesse de l’investissement (pertes des capacités de production), la réduction de l’effort d’innovation et de R&D (stagnation du progrès technique), constituent autant d’obstacles à une reprise solide. Seul le moteur du commerce extérieur apportera un peu de souffle à l’économie espagnole. Il reste cependant soumis à de nombreuses incertitudes liées à l’environnement international (croissance des émergents, consolidation de la reprise aux Etats-Unis…).

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