Est-il trop tard pour attraper l’Emergent Express ?

par Charles Dautresme, stratégiste chez Axa IM

Les marchés émergents ont enregistré une progression spectaculaire de 52% depuis leurs points bas malgré la baisse récente du marché chinois. Au cours de la même période, le marché européen a progressé de 40%.

Dans ce document, nous analyserons la récente performance des marchés émergents et donnerons une perspective historique. Puis, on s’intéressera aux valorisations de ces marchés. Enfin, on offrira une alternative à un investissement direct sur ces marchés à travers un portefeuille d’actions européennes très fortement exposées aux pays émergents.

Performance spectaculaire des émergents

Dans la plupart des marchés haussiers, les marchés d’actions émergents et d’autres classes d’actifs risqués, telles que les petites capitalisations, ont surperformé des actifs plus défensifs. Par exemple, au cours des trois derniers marchés haussiers depuis 1990 (l’indice MSCI des Marchés Emergents Mondiaux « GEM » n’existe que depuis le 31 décembre 1987), les marchés en développement ont progressé en moyenne de 39% six mois après leur point bas contre 30% pour le MSCI Europe. Cette fois-ci, les marchés émergents ont surperformé leurs homologues européens de manière plus nette que par le passé. En effet, une hausse de plus de 50% des actions émergentes est impressionnante. En comparaison, en 1998, l’indice MSCI GEM a progressé de 42% six mois après le point bas des marchés.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les secteurs à plus forte croissance n’ont pas été les matières premières ou l’énergie, qui ont progressé en ligne avec le marché (respectivement 50% et 53% depuis le point bas de mars).

En fait, la consommation cyclique est le secteur ayant le plus augmenté au sein du MSCI GEM, en hausse de 79% sur cette période, suivie par les Financières (73%). En fait, c’est dans les pays développés que les secteurs liés aux matières premières ont été les principales sources de croissance du marché d’actions. En Europe, par exemple, les matières premières ont occupé la deuxième meilleure place avec une hausse de 59% (les financières remportent la palme grâce à une hausse de 125%). Par conséquent, la reprise de la croissance mondiale, associée à une amélioration des perspectives pour les matières premières hors pétrole semble avoir été jouée plutôt en Europe qu’au sein des marchés émergents.

En se penchant sur des périodes plus longues, la surperformance des marchés émergents dans un marché haussier est encore plus frappante. D’octobre 1998 à la fin mars 2000, ils ont progressé de 214% en USD, contre 150% pour les homologues européens. Le taux sans risque (obligation d’Etat américaine à 10 ans) étant de 5,57% sur la période, cela nous donne un ratio de Sharpe de 9,39 pour le MSCI GEM et de 8,7 pour le MSCI Europe. Par conséquent, même en ajustant cette performance par le risque encouru, le MSCI GEM surperforme toujours le MSCI Europe. Le MSCI GEM a progressé de près de 500% entre son point bas de mars 2003 et octobre 2007, alors que le MSCI Europe était en hausse de 308%. Sur cette période, les marchés émergents ont également surperformé les leurs pairs européens même en prenant en compte leur volatilité respective. Ainsi, en se référant au passé, la récente surperformance des marchés émergents par rapport aux développés ne devrait pas être une surprise. Cependant, l’ampleur de cette récente surperformance pourrait devenir problématique. A cet égard, quel éclairage les valorisations nous apportent-elles ?

Valorisations

Le PE historique du MSCI GEM par rapport aux MSCI Europe et Monde se situe à un écart type au dessus de sa moyenne de long terme depuis 1995. Par conséquent, les marchés émergents peuvent être considérés comme chers par rapport aux développés. Cependant, il faut souligner qu’ils ont été plus chers par le passé, comme en 1999.

Notre modèle de prime de risque nous amène à la même conclusion, où l’Asie Pacifique hors Japon est chère par rapport au MSCI Monde. L’Europe de l’Est, en revanche, demeure bon marché, malgré une hausse de 56% depuis le point bas des marchés en mars.

Comment jouer les marchés émergents ?

En janvier 2008, nous cherchions à accéder aux marchés émergents via des sociétés européennes fortement exposées à ces économies, au lieu d’investir directement dans les actions cotées dans ces pays. Nous avons créé un panier de 74 valeurs européennes générant plus d’un tiers de leur chiffre d’affaires dans les pays émergents.

Une des raisons qui nous a poussés à créer ce portefeuille était la possibilité de bénéficier d’une exposition aux marchés en développement mais avec une liquidité accrue et une volatilité plus faible qu’un investissement direct dans ces marchés. Ce portefeuille devait être plus défensif. Les marchés émergents ont reculé de 51,7%1 entre le pic atteint à la mi-juillet 2007 et son point bas de mars, contre 49,7% pour notre portefeuille et 58,2% pour le MSCI Europe. Toutefois, d’après le ratio de Sharpe, la surperformance de notre portefeuille n’a pas compensé son excès de volatilité par rapport aux marchés émergents, mais seulement par rapport au marché européen sur cette période.

Lors du rebond boursier, les caractéristiques défensives du portefeuille ont de nouveau été démontrées. Ainsi, au cours du récent rebond, notre portefeuille a progressé de 46% contre 49% pour le MSCI Europe et 57% pour le GEM.

En termes de valorisation, le PE de notre panier de valeurs n’est que de 12 fois les bénéfices historiques contre 14 fois pour les marchés émergents.

La récente sous-performance de notre portefeuille vis-à-vis des marchés émergents peut être attribuée à notre sous-pondération des secteurs liés aux matières premières par rapport aux marchés émergents. Le portefeuille est fortement exposé au secteur de la consommation non cyclique, avec une pondération de 24% contre 12% pour le MSCI Europe, ce qui a contribué à sa sous-performance.

Il a une exposition plus importante aux secteurs liés aux matières premières que le MSCI Europe (mais moindre que le MSCI GEM), tel que les « Materials » (14% vs. 9%) et l’énergie (14% vs. 11%) mais aussi celui des technologies de l’information (6% vs. 3%). Il n’y a aucune valeur de services aux collectivités dans ce portefeuille. Si l’on ajuste sa performance en fonction de celle des secteurs du MSCI Europe, notre portefeuille aurait battu le MSCI Europe de 600pdb.

Emergents : un pari sur les matières premières ?

Les investisseurs privilégiant un placement dans des valeurs européennes exposées aux pays émergents plutôt qu’un investissement direct devraient être conscients de ces biais. Notre portefeuille sous-pondère deux secteurs défensifs (services aux collectivités et santé), et la surpondération au secteur des biens de consommation cyclique ne compense pas la sous-pondération dans les deux autres secteurs défensifs. Par conséquent, cette stratégie peut sembler plus agressive que l’indice avec une légère surpondération dans les technologies de l’information.

Malgré ces biais, ce portefeuille est plus diversifié sectoriellement que les marchés émergents. En fait, en plus du risque de change, les investisseurs sur les marchés en développement sont exposés à d’importants risques sur les matières premières. L’énergie et les matières premières représentent près de 50% du MSCI Amérique Latine, et bien davantage pour le Brésil et l’Argentine. L’indice MSCI Europe de l’Est est composé à plus de 50% de valeurs liées aux secteurs des matières premières. L’énergie et les matières premières ne représentent que 20% du MSCI Europe et 28% de notre panier. Les valeurs de consommation ne représentent qu’une part infime des indices des marchés émergents.

Conclusions

Bien que les actions des marchés émergents aient déjà été plus chères par le passé, les valorisations paraissent élevées actuellement. Toutefois, il n’empêche qu’elles s’apprécient de façon exceptionnelle à mesure que les investisseurs recherchent des placements de plus en plus risqués dans un contexte de reprise mondiale.

Ainsi, sélectionner des valeurs fortement exposées aux pays émergents devrait être un bon compromis pour bénéficier de la reprise économique tout en ayant un profil défensif (une exposition plus faible aux matières premières). Les valeurs européennes sont également moins chères que d’investir directement dans les pays émergents. Elles devraient donc mieux se comporter devant une éventuelle correction, notamment après l’extraordinaire hausse de ces derniers mois. Elles devraient également être moins exposées au risque de change pour un investisseur en euros.

NOTES

  1.  La performance est calculée en euros et tient compte des dividendes réinvestis