par Alexandre Bourgeois, économiste chez Natixis
Peut-on appliquer à la crise grecque le vieux proverbe de la langue française : « à toute chose, malheur est bon » ?
Essayons de trouver, après cette semaine très mouvementée, quelques éléments positifs à cette situation qui, à bien des égards, paraît pourtant alarmante.
Premièrement, grâce au plan de sauvetage grec (prêt d’un montant de 110 milliards d’euros sur trois ans par les pays de l’UEM et le FMI, ce qui permettra au pays de se passer des financements de marché durant la période), on assiste à la fin de la clause de « no bail-out » contenue dans les Traités européens. Et ce, même si, pour des raisons juridiques évidentes1, cette affirmation reste « camouflée » derrière l’annonce d’un prêt à des taux relativement élevés (5 % pour la part UEM).
Pour information, les taux allemands et français à cette maturité sont actuellement de respectivement 0,75 % et 1,12 %, ce qui signifie que, comme dans le cas des prêts aux banques durant la crise, en cas (probable) de remboursement, les autres Etats européens vont faire un bénéfice sur cette opération. A l’arrivée, la solidarité européenne est donc toute relative. Mais une solidarité relative est toujours plus favorable que pas de solidarité du tout…
Ensuite, une fois pour toute, le Pacte de Stabilité et de Croissance, tel qu’il a été formulé depuis l’origine, est mort.
Bien que ses objectifs (assurer un minimum de coordination budgétaire, éviter les passagers clandestins…) restent légitimes, sa crédibilité est aujourd’hui nulle. Sa réforme à venir avec, en particulier, la suppression de la mesure qui consistait à faire payer une forte amende à un Etat en difficulté budgétaire, sera un pas en avant pour la zone euro. A ce titre, la clause de retrait temporaire des droits de vote pour un pays en infraction avec ses engagements, proposée par les Allemands, apparaît tout à fait souhaitable.
Enfin, la crise grecque pourrait jouer, pour les opinions publiques européennes, le rôle de révélateur des déséquilibres financiers des Etats. Les dirigeants, élus ces dernières années sur des programmes de baisse de la pression fiscale reposant sur l’argument (erroné…) qu’une baisse des impôts, en stimulant l’activité, conduirait à une hausse des recettes fiscales et in fine à une baisse des déficits2, auront beaucoup de mal à réutiliser ces raisonnements à l’avenir. L’idée (pertinente) qui, par exemple, avait été défendue par la Commission Pébereau fin 2005, selon laquelle l’objectif de réduction des déficits empêche, dans un premier temps, toute baisse globale de la fiscalité devrait revenir sur le devant de la scène pour les prochaines échéances électorales.
Restent malgré tout deux éléments qui peuvent être source d’inquiétude. D’une part, la Grèce, c’est une évidence, va connaître une période très compliquée. On pourra alors reprocher au FMI et aux mesures européennes de plonger le pays dans la récession alors que ce dernier, avant les épisodes des derniers mois, avait plutôt mieux résister que les autres3. Ce serait toutefois oublier que le problème grec est profond. Le seul remède pour éviter que l’Etat hellénique ne se trouve en cessation de paiements, c’est-à-dire qu’il soit dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires, de verser les retraites (…), est la déflation salariale (baisse des salaires et des pensions). Ce mécanisme, certainement plus visible, donc politiquement plus délicat à mener que les dévaluations du passé, aboutit in fine au même résultat : repositionner (à la baisse) le niveau de vie d’un pays par rapport au reste du monde.
D’autre part, la réponse trop tardive des autorités européennes conduit à une recrudescence de la spéculation contre les pays du Sud. Si cette dernière doit se poursuivre, la zone euro n’aura d’autre choix que de mettre en place une solution d’urgence : l’émission commune de dette publique. Dans les faits, rappelons-nous que c’est quasiment ce qui existait avant la crise4…En outre, n’oublions pas qu’avec le mouvement de flight to quality qu’on observe aujourd’hui, c’est en fait un système de vases communicants auquel les pays européens font face : toute hausse des taux des pays du Sud a pour conséquence une baisse des taux des pays centraux. Ainsi, les taux français et allemands ont atteint ces derniers jours des niveaux exceptionnellement bas. Comprendre que tout cela est un jeu à somme nul et faire passer l’intérêt européen avant l’arbitrage fait par les marchés permettrait de sortir par le haut de cette épreuve.
NOTES 1 Des députés allemands ont menacé le gouvernement d’A. Merkel de plainte devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe pournon respect des traités européens. 2 C’est ce qu’on a observé en France en 2007 ou encore en Allemagne en 2009… 3 Parmi les onze principaux pays de la zone euro, le PIB grec était le seul à enregistrer un glissement annuel positif fin 2008. 4 Entre 2003 et 2007, le spread de taux Allemagne / Grèce s’élevait à seulement 20 pbs (contre 500 à 700 pbs aujourd’hui…).
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