Etats-Unis : l’éclaircie après le blizzard ?

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Deux fois par an, le Président de la Fed présente le Rapport sur la Politique Monétaire au Congrès, ou plus exactement aux commissions bancaires des deux chambres. Mardi dernier, Janet Yellen, nouvelle Présidente de la Fed, s’est prêtée à l’exercice pour la première fois. En introduction à son discours, elle a salué le travail de son prédécesseur, Ben Bernanke, assurant de son intention d’assurer la continuité de la politique monétaire : en tant que vice-présidente, Janet Yellen avait activement participé à l’élaboration des actions de la Fed au cours de ces quatre dernières années. En particulier, elle a réaffirmé sa pleine adhésion aux objectifs de moyen terme définis en janvier 2012 : le respect du double mandat de la Fed, avec d’une part le plein emploi et d’autre part la stabilité des prix.

Janet Yellen a souligné les progrès réalisés vers le respect du premier objectif, rappelant que plus de 3 millions d’emplois ont été créés depuis la mise en œuvre de QE3 (la troisième vague d’assouplissement quantitatif) en septembre 2012. Mais si le taux de chômage a depuis reculé de 1,5 point, Mme Yellen a qualifié la reprise du marché du travail d’incomplète, soulignant que le taux de chômage demeurait supérieur à son taux naturel, que le nombre de chômeurs de longue durée (depuis plus de 27 semaines) restait trop élevé, alors que le sous-emploi était également illustré pas un grand nombre de salariés travaillant à temps partiel pour des raisons économiques. Ensuite, Janet Yellen s’est penchée sur la faiblesse de l’inflation, rappelant le message récent de la Fed, à savoir que des facteurs transitoires, comme la baisse des prix du pétrole ou d’autres produits importés, expliquaient une part non-négligeable du ralentissement.

Cette dernière déclaration a conduit certains analystes à voir dans ce discours un ton « hawkish ». C’est passer outre les autres mentions faites de l’inflation: Janet Yellen souligne ainsi que l’inflation reviendra vers sa cible de 2% au cours des prochaines années, alors qu’en juillet dernier, Ben Bernanke envisageait une telle évolution pour le milieu de cette année. Plus loin, Janet Yellen souligne son engagement à satisfaire aux deux parties du mandat de la Fed, soit le plein emploi et le retour de l’inflation à sa cible de 2%. Il nous semble ainsi qu’avec ce discours, Janet Yellen recentre l’attention sur la faiblesse de l’inflation et la volonté de la Fed de tout faire pour la faire revenir vers sa cible.

Janet Yellen a confirmé la poursuite du ralentissement progressif des achats de titres dans le cadre de QE3, processus qui ne serait remis en cause qu’en cas d’une forte modification des perspectives. Et pour continuer à offrir à l’économie américaine des conditions monétaires très souples, la Fed comptera donc sur la forward- guidance, c’est-à-dire l’engagement de conserver des taux proches de zéro bien après que le taux de chômage soit passé sous la barre de 6,5%, et pour une période d’autant plus longue que l’inflation continuera d’évoluer sous l’objectif de la Fed.

Avec le recul rapide du taux de chômage (il était de 6,6% en janvier), le message de la forward-guidance est moins lisible, expliquant l’accent mis par Janet Yellen et les autres membres du FOMC sur les autres indicateurs du sous-emploi, qui permettront de décider de la politique de taux, selon la nouvelle formulation de la forward- guidance, décidée en décembre. Mais au-delà de ces données, la Fed cherchera ailleurs les indications d’une amélioration des perspectives pour le marché du travail. Janet Yellen a ainsi déclaré aux membres de la commission bancaire de la Chambre qu’une croissance durablement supérieure à son potentiel était nécessaire pour anticiper une telle amélioration.

Au cours du deuxième semestre 2013, la croissance du PIB a enregistré une telle évolution, avec des taux de croissance (trimestrielle annualisée) de 4,1% puis 3,2%. Ces données brutes envoient un signal positif qu’il s’agit de nuancer, puisqu’une bonne part de la vigueur du troisième trimestre venait d’une reconstitution très (trop ?) rapide des stocks qui n’a pas été corrigée au quatrième trimestre, alors que la croissance en fin d’année a été tirée par une très forte contribution extérieure, phénomène peu susceptible d’être réitéré. Ainsi, les performances de l’économie américaine, lorsqu’on exclut stocks et commerce extérieur, étaient bien moins impressionnantes, à 2,4% au T3 et 1,6% au T4, en ligne avec la moyenne enregistrée depuis la sortie de récession (2,1%). Le début de 2014 ne semble pas, pour l’instant, marqué de changement fondamental de tendance. La composante production de notre Indice M&N (construit à partir des deux enquêtes menées par l’ISM) s’est inscrite à 56,1 en janvier, soit un point de plus qu’en décembre, mais en-deçà de la moyenne du deuxième semestre 2013 (57,9), alors que l’indice nouvelles commandes est mal orienté (en baisse de près de 10 points depuis le mois d’août, à 50,9). En revanche, les perspectives de l’emploi ne pâtissent pas du phénomène, avec un indice à 55,9 en janvier (contre 55,1 au deuxième semestre 2013).

En résumé, il est possible d’envisager une accélération de la croissance cette année, notamment du fait d’une politique budgétaire qui, sans être porteuse, pèsera nettement moins sur l’activité. Mais il reste trop tôt pour déceler cette amélioration dans les données d’activité, alors que l’analyse est compliquée par une météo particulièrement peu clémente, qui pourrait expliquer une bonne partie de la baisse de 0,4% des ventes de détail entre décembre et janvier. Après une vague de froid sans précédent au début du mois de janvier, qui a touché une très grande partie du territoire, le Nord- Est du pays est à nouveau plongé sous la neige, à telle point que l’audition de Janet Yellen au Sénat a été reportée. Mais le blizzard n’a pas eu que des effets négatifs : l’annonce de son arrivée imminente aura conduit la Chambre puis le Sénat à voter très rapidement une nouvelle suspension du plafond de la dette, cette fois jusqu’en mars 2015, et sans aucune condition attachée. L’horizon budgétaire s’éclaircit, et ce pour quelques mois, la prochaine échéance n’arrivant qu’à la rentrée, lorsqu’il faudra voter le financement de l’Etat à compter du 1er octobre.

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