par Inna Mufteva et Thomas Julien, économistes chez Natixis
Ces derniers mois, la reprise du marché de l’emploi est manifeste. En avril, on observe une hausse de l’emploi dans l’ensemble des secteurs de l’économie américaine, notamment le secteur privé, qui s’est montré réactif au rebond de la demande intérieure. Cependant, le marché du travail reste dans une situation précaire et fragile. D’une part, le taux de chômage augmente toujours sous l’effet de la hausse du taux de participation. D’autre part, le chômage de longue durée et le nombre de chômeurs découragés atteignent des niveaux historiques. De fait, les difficultés perdurent et la reprise économique reste fragile. Le taux de chômage devrait rester élevé tout au long des années 2010-11.
Le BLS (Bureau of Labor Statistics) a récemment publié les chiffres de l’emploi NFP, qui ont montré une forte création des emplois dans l’économie américaine au cours des deux derniers mois. En effet, selon l’« establishment survey » (enquête des entreprises) le secteur privé a créé 174K et 231K emplois en mars et avril, alors que l’emploi dans le secteur public a augmenté de 56K et 59K respectivement, tiré à la hausse par l’effet positif du « Census ». De plus, la création d’emplois temporaires a ralenti, passant de 32K à 26K en avril.
En revanche, le taux chômage a augmenté de 0,2pt et a atteint 9,9% en avril 2010, en raison d’une hausse marquée du taux de participation (représentant la population active sur la population totale) de 64,9% à 65,2% selon le « households survey » (enquête des ménages).
Reprise marquée dans le secteur privé
Avec 231K et 174K en avril et mars, le secteur privé se veut le principal pourvoyeur d’emplois créés. Ainsi, on observe en avril la création d’emplois dans l’ensemble des secteurs, ce qui est nécessairement une bonne nouvelle pour l’économie.
Dans le secteur manufacturier, les créations d’emplois (+44K en avril) suivent la tendance dynamique de la production industrielle observée ces derniers mois. Au final, c’est le secteur des services qui prend la part du lion avec 166K créations d’emplois en avril. Excepté les transports et l’entreposage cette hausse touche l’ensemble des services. Ainsi l’économie américaine confirme une fois de plus la réactivité de son marché du travail aux variations de la demande.
Difficultés des collectivités locales
En revanche, dans le secteur public, les besoins temporaires en main d’œuvre pour réaliser le recensement de la population (« effet census ») masquent les difficultés croissantes des collectivités locales.
En effet, ces dernières adoptent actuellement une optique de consolidation budgétaire et pourraient être dans l’obligation d’annuler ou de différer un certains nombre de mesures de soutien au marché de l’emploi. Au delà des suppressions de postes dans le secteur public, la fin ou le transfert dans le temps de certains crédits d’impôts et autres mesures de soutien aux entreprises (surtout les PME), pourraient affecter significativement le marché du travail. En guise d’exemple, D. Paterson, le gouverneur de l’Etat de New York a déjà proposé de reporter à dans 3 ans certains crédits d’impôts pour les entreprises.
Les mesures alternatives du chômage
Malgré les chiffres encourageants de l’enquête sur les entreprises (emploi NFP), le taux de chômage (l’enquête des ménages), ainsi que les autres indicateurs alternatifs montrent des difficultés persistantes sur le marché du travail.
En effet, la durée du chômage a fortement augmenté et a atteint un point haut historique en avril.
Par ailleurs, si le nombre de personnes au chômage pendant moins de 14 semaines est en baisse depuis l’été 2009 (ce qui reflète le ralentissement des destructions d’emploi) le nombre de chômeurs de longue durée (au-delà de 15 semaines) ne cesse d’augmenter.
Selon les données d’avril 2010, 46% des personnes sont au chômage depuis 27 semaines et plus, alors que ce ratio s’élevait à 27,5% en avril 2009. Dans cette situation de chômage de longue durée, il existe un risque de voir le chômage structurel augmenter, en raison de la perte probable de compétences des agents, qui pourraient éprouver des difficultés à se réinsérer sur le marché du travail.
La mesure traditionnelle du taux de chômage (U3 : c'est-à-dire le ratio entre le nombre d’individus sans emploi et la population active) ne reflète pas complètement la réelle ampleur du problème. En effet, les chômeurs découragés ainsi que les personnes qui travaillent à temps partiel sont exclus de cette statistique.
Les mesures U5 et U6 reflètent mieux la situation actuelle sur le marché du travail américain. Les chômeurs, ainsi que les personnes découragées et celles qui travaillent à mi-temps pour des raisons économiques plus les « marginally attached workers »* constituent 17,1% de la population active.
Par ailleurs, 5,8% de la population active sont des chômeurs de longue durée (15 semaines et plus) et 6% sont entrés au chômage après avoir perdu le travail.
L’épuisement des assurances chômage
Cette hausse marquée de la durée du chômage se reflète également dans la dynamique des demandes d’allocations chômage. Ces dernières ont diminué fortement depuis le printemps 2009, en raison d’une amélioration visible sur le marché de l’emploi, mais aussi parce que certains chômeurs de longue durée ont épuisé leurs droits aux indemnisations.
La durée maximale de l’assurance chômage standard financée par les Etats s’élève à 26 semaines, alors que 46% des individus sans emploi ont déjà dépassé ce seuil et touchent principalement les assurances chômage d’urgence, introduites temporairement par l’Etat fédéral en réaction à la crise : emergency unemployment compensation (EUC) et extended benefits (l’EUC a augmenté la durée des indemnités chômage à 53 semaines).
Pour répondre à ce problème, le président Obama a donc signé le 15 avril, une extension de 60 jours de l’EUC (qui à la base devait prendre fin en avril) et espère pouvoir étendre cette mesure jusqu’à la fin de l’année. En revanche, les préoccupations grandissantes pour les problématiques budgétaires, devraient sérieusement amoindrir les chances de voir passer au Sénat des mesures supplémentaires de soutien à l’emploi (« jobs bill»).
Faible pouvoir de négociation pour les salariés
En conséquence, la configuration actuelle du marché du travail implique un pouvoir de négociation pour les salariés très limité, ce qui se reflète dans l’évolution des salaires.
Une telle progression des salaires a des implications directes pour la consommation, qui devrait ainsi ralentir en l’absence d’autres facteurs de soutien (crédits, désépargne, nouveau stimulus fiscal).
NOTE
(*) "Marginally attached worker" est une personne sans emploi, qui souhaite travailler, est disponible, a récemment cherché du travail, mais ne le recherche plus, quelle qu'en soit la raison.