L’euro est mort, vive l’euro !

par Didier Borowski, stratégiste chez Amundi Asset Management

Voici déjà plusieurs années que l’euro est surévalué, notamment face au dollar, sans que cela corresponde à une amélioration des fondamentaux de la zone. L’euro a été victime de son succès, apparaissant au fil des ans comme un actif de réserve fiable, notamment pour les investisseurs internationaux cherchant à diversifier leurs portefeuilles vers d’autres devises que le dollar. La crise grecque, en exacerbant les problèmes de gouvernance au sein de la zone euro, a fait resurgir le débat sur la viabilité d’une devise unique construite autour de nations conservant leur souveraineté budgétaire.

Pour éviter la contagion de la crise grecque aux membres les plus fragiles de la zone euro, les autorités européennes ont sorti « l’artillerie lourde » lors du week-end du 8 mai, tant sur le plan budgétaire que sur le plan monétaire. Mais l’europessimisme hante désormais les esprits et l’euro continue de céder du terrain. Pourtant, les conditions actuelles offrent une occasion unique de parachever les institutions de la zone euro et de transformer la monnaie unique en une « vraie » devise.

La BCE a ouvert la boîte de Pandore…

La glissade récente de l’euro a plusieurs causes. La volte-face de la BCE sur sa stratégie pour gérer la crise a sans aucun doute porté un coup à la crédibilité de l’institution. Jeudi 6 mai, J-C. Trichet, son président, martelait encore que la question des achats de titres de dette des États de la zone euro n’était pas à l’ordre du jour et n’avait même pas été évoquée lors du comité de politique monétaire qui venait de s’achever. Trois jours plus tard, la BCE acceptait d’acquérir des Emprunts d’État des pays de la zone sur le marché secondaire. On apprenait peu après que la décision n’avait pas été prise à l’unanimité contrairement aux usages en vigueur au sein de la BCE. Axel Weber – président de la Bundesbank et probable successeur de J-C. Trichet fin 2011 – déclarait qu’il s’y était opposé.

En pratique, la BCE a beau insister sur le fait qu’elle ne fera pas tourner la planche à billets pour financer ses achats de titres – des opérations de stérilisation des liquidités injectées sont planifiées – le vers est désormais dans la pomme. Les déclarations officielles ont perdu en crédibilité. Les marchés comprennent que la BCE ira plus loin si nécessaire. La création monétaire qui en résulterait, pour partie escomptée, pèse dès aujourd’hui sur la valeur externe de la devise. 

… et les plans d’austérité vont brider la croissance

Le plan de stabilisation décidé par les autorités européennes le 9 mai dernier a pour corollaire la mise en place de politiques budgétaires restrictives. Les pays les plus fragiles (Espagne, Portugal, Italie) n’ont d’ailleurs pas tardé à annoncer des mesures d’austérité. Ces dernières vont d’autant plus peser sur la croissance qu’elles seront mises en œuvre simultanément. Or la demande privée n’est pas susceptible de prendre le relais à court terme, ce qui imposera à la BCE de maintenir une politique monétaire très durablement accommodante. Par ailleurs, la viabilité de la cure imposée à la Grèce est en question : on ne dispose en effet pas d’exemple de succès d’un plan d’ajustement aussi sévère sans dépréciation de la devise. Pour regagner en compétitivité, les autorités grecques doivent organiser un processus de déflation interne particulièrement douloureux en termes de chômage. Le FMI prévoit que la dette publique grecque continuera de grimper, pour culminer à près de 150% du PIB en 2013. Il sera difficile de rétablir la confiance dans ces conditions, et il faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir constater que les mesures sont efficaces. En attendant, le scénario de délitement de l’euro, même très improbable, continuera de retenir l’attention et pèsera sur la monnaie unique.

Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle à voir l’euro baisser. La mauvaise nouvelle, c’est que la dépréciation récente traduit une défiance des investisseurs étrangers vis-à-vis des actifs de la zone. En quelques jours, ce n’est en effet ni plus ni moins que son statut de monnaie de réserve qui a volé en éclat aux yeux de certains investisseurs. La bonne nouvelle tient à ce que la baisse de l’euro facilitera l’assainissement des finances publiques, en apportant de l’oxygène aux économies. Sur la base des travaux de l’OCDE, on estime qu’une baisse durable de 10% de l’euro génère environ 1,3 point d’activité en 2 ans (1,5 point en 3 ans).

En chemin vers une monnaie « complète »

En réalité, si « l’euro de réserve » est aujourd’hui donné pour mort, un « euro politique » est peut-être en gestation. Union monétaire sans union politique, le modèle institutionnel hybride de la zone euro avait attiré, à sa naissance, les sarcasmes de nombreux économistes, notamment outre-Atlantique. Il aura finalement fallu attendre 10 ans et une crise financière sans précédent pour démontrer l’incomplétude du modèle institutionnel créé. Or le plan de stabilisation adopté le 9 mai, en instituant de facto une solidarité financière entre États membres, a ouvert la voie vers un modèle de fédéralisme fiscal. Sans aller jusqu‘à une intégration « à l’américaine », la brèche ainsi ouverte va contraindre les États de la zone euro à abandonner une partie de leur souveraineté budgétaire. La preuve est désormais faite que seule la mise en œuvre d’une gouvernance européenne permettrait à l’avenir d’améliorer la surveillance multilatérale des États et de lutter contre les chocs asymétriques.

En définitive, l’euro n’est pas mort, loin s’en faut ! A 1,23$ il reste même encore légèrement surévalué selon la plupart des modèles économétriques (la parité d’équilibre de l’euro est voisine de 1,20$). Et ce n’est pas le moindre des paradoxes, plus les marchés seront sceptiques, plus la baisse de l’euro sera marquée et plus les chances de réussite des plans de rigueur seront élevées. La balle est dans le camp des gouvernements et de la BCE. Mais il ne faut pas s’y tromper, le chemin sera long et douloureux. En attendant, les investisseurs seraient bien avisés de se prémunir contre le risque d’une baisse marquée de la devise européenne.