par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
• L’industrie manufacturière est très probablement entrée en récession. Les données d’activité ne le reflètent pas encore, mais les données d’enquête l’annoncent.
• L’industrie américaine, malgré des gains de productivité très solides, subit les conséquences de prix du pétrole faibles, d’un dollar fort, et de la décélération de la croissance de ses principaux partenaires.
• Mais le secteur manufacturier ne génère que 12% de la valeur ajoutée américaine, et les vents contraires qu’elle subit ne touchent pas le secteur non manufacturier. La solidité du marché du travail atteste de la résistance de l’économie.
• La Fed va ainsi très certainement continuer à lever progressivement le biais extrêmement accommodant de sa politique.
L’enquête menée par l’ISM dans le secteur manufacturier indique une récession industrielle. L’indice des directeurs d’achats était, en décembre, inférieur aux 50points qui séparent contraction et expansion de l’activité manufacturière, pour le deuxième mois consécutif. Des dix-huit branches couvertes par l’enquête, seulement six se déclarent en expansion, contre dix en contraction. Il est difficile de trouver des aspects rassurants dans ces données : seule une des cinq composantes de l’indice PMI – les délais de livraison – était supérieure à 50 en décembre. Si les indices «production» et « nouvelles commandes » ont progressé – à respectivement 49,8 et 49,2 en décembre – le rebond est très limité au regard de la chute de novembre : +0,6 point pour la production (après -3,7 en novembre) et +0,3 pour les nouvelles commandes (après -4,0). Finalement, l’indice emploi, dont le retour en zone d’expansion en novembre (à 51,3) nous avait rassurés, est repassé sous la barre des 50, à 48,1.
Les données d’activité sont moins mal orientées, mais si l’ISM a conservé son pouvoir prédictif, ce n’est qu’une question de temps avant de les voir confirmer la détérioration du climat des affaires. La production manufacturière continuait de progresser en novembre, mais à un rythme ralenti. En rythme annualisé sur trois mois, l’activité ne progressait que de 1,5%, le ralentissement étant conduit par l’industrie des biens durables (+1,1% en novembre, contre +4% en septembre). Les données, très volatiles, des commandes enregistrées par cette industrie, n’annoncent pas de rebond, avec une contraction de 1,3% (rythme annualisé sur trois mois) en novembre. De fait, le seul point quelque peu rassurant est le niveau des stocks. Rapportés aux ventes, ils restent limités, en ligne avec leur niveau moyen depuis la sortie de récession. Si l’apurement des stocks continue, ce mouvement ne devrait peser ni lourdement ni durablement sur l’activité, l’excès de stocks étant très relatif.
La divergence entre zone euro et Etats-Unis est très marquée : alors que l’activité manufacturière européenne rebondit, elle s’effrite aux Etats-Unis, et ce, dans un contexte mondial de relative stabilité. Il faut y voir le jeu de deux effets, positifs pour l’Europe et négatifs pour les Etats-Unis : l’appréciation du dollar (et dépréciation de l’euro) et la faiblesse des prix du pétrole. La compétitivité externe de l’industrie américaine est détériorée malgré des gains de productivité qui demeurent impressionnants. Alors que la zone euro est avant tout consommatrice de matières premières, les Etats-Unis sont devenus, ces dernières années, le premier producteur mondial d’hydrocarbures ; si la faiblesse des prix du pétrole soutient la rentabilité de certains secteurs et le pouvoir d’achat des ménages, elle pèse aussi significativement sur l’activité américaine, via la chute des dépenses d’investissement des industries extractrices.
L’industrie des biens durables souffre aussi bien sur les marchés externes que sur le marché interne. Mais le frein externe est bien le plus lourd. En glissement annuel, les ventes du secteur des biens durables étaient en progression de 1,7%, contre une chute de 2,8% des exportations. Si les effets de l’appréciation du dollar jouent certainement, d’autres forces sont à l’œuvre. Ainsi, les exportations américaines sont particulièrement mal orientées vers le Canada (en récession au premier semestre de 2015), la Chine (dont le ralentissement se confirme) ou le Brésil (en récession depuis la mi-2014).
Peu encourageantes, les évolutions du secteur manufacturier doivent tout de même être mises en perspective : l’industrie ne représente que 12% de la valeur ajoutée américaine. Et l’activité dans le secteur non manufacturier ne subit pas les mêmes freins : les services sont relativement protégés des évolutions du dollar et leur profitabilité soutenue par la faiblesse des prix des matières premières. Ainsi, l’enquête ISM dans ce secteur est bien plus solide, à 55,3 en décembre. Les composantes « production » et « nouvelles commandes » sont particulièrement bien orientées, à respectivement 58,7 et 58,2, et l’indice emploi a rebondi à 55,7. Ainsi, le climat général des affaires, mesuré par notre Indice M&N – une moyenne pondérée des données des deux enquêtes ISM – reste très bon, à 54,2 en décembre.
Lors de leur réunion de décembre, les membres du Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) ne faisaient pas un constat différent. Tout en notant les difficultés rencontrées par les secteurs les plus exposés à la faiblesse du prix de l’énergie, à l’appréciation du dollar et au ralentissement de quelques gros partenaires commerciaux, ils anticipaient que la dynamique intérieure permettrait à la croissance de demeurer supérieure à son potentiel. C’est ainsi que la quasi-totalité des membres du FOMC s’accordaient pour considérer réunies les conditions permettant de débuter le processus de normalisation de la politique monétaire américaine. Les minutes de cette réunion, publiées cette semaine, soulignent l’unanimité conditionnelle de la hausse de taux de 25 points de base alors décidée. Unanimité il y eut, la totalité des dix membres votants – les cinq membres du Conseil des Gouverneurs, le Président de la Fed de New York ainsi que quatre des onze autres réserves fédérales régionales – s’étant accordée. Conditionnelle, car comme il apparaît à la lecture des minutes, plusieurs membres (« some members ») qualifiaient leur décision de « serrée » (« close call »).
Ces révélations n’en sont pas vraiment : en amont de la réunion, certains s’étaient interrogés publiquement sur l’opportunité d’une hausse de taux. Notamment les gouverneurs Lael Brainard et Daniel K. Tarullo s’inquiétaient du risque de ne pas voir se matérialiser l’attendue accélération de l’inflation. Les minutes notent d’ailleurs que les membres dont la décision fut « serrée » désiraient également voir la Fed concentrer tout particulièrement son attention sur les évolutions de l’inflation. De la même façon que les plus empreints au doute sont facilement identifiables, ceux qui ont le plus confiance dans les modèles d’évolution des prix – et notamment le fait que le resserrement des conditions sur le marché du travail finiront par relancer l’inflation, un phénomène qui a pris du retard notamment sous le jeu de l’appréciation du dollar et le recul du prix de l’énergie – ne sont pas plus secrets. Parmi eux, Stanley Fischer, le vice- président de la Fed qui, cette semaine, déclarait que les marchés sous-estimaient le nombre de hausses de taux qui seraient décidées cette année, rappelant que les membres du FOMC s’accordaient actuellement sur quatre. Pas deux. A bon entendeur…