Etats-Unis : Sur ses lèvres

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

• La Fed a probablement déçu ceux qui l’attendaient moins conciliante, ne modifiant pas la formulation de sa forward-guidance.

• Le communiqué de presse prend, en effet, un ton plus prudent, insistant sur le constat d’un sous-emploi très important. La Fed indique « manquer à ses objectifs ».

• Certes, l’évolution de certaines projections individuelles envoie un signal moins accommodant.

• Mais, dans la mesure où ces projections ne sont pas nominatives et où le degré d’incertitude qui leur est attaché n’est pas plus connu, il nous semble qu’à choisir entre discours et graphique, mieux vaut le premier.

Les anticipations de durcissement du ton de la Réserve fédérale (Fed) se renforçaient : les marchés financiers s’attendaient à ce que le Comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) ne fasse plus mention de la fameuse « période considérable » dans son communiqué. Or tel ne fut pas le cas, celui-ci prenant même un tour plus accommodant. Désaccord exprimé par les « faucons » ; projections économiques revues à la baisse ; nouvel accent mis sur la morosité du marché du travail, et ; reconnaissance, par la Fed, du manquement à ses objectifs: tout amène à conclure que les “colombes” l’ont emporté.

Le FOMC a décidé de ne rien modifier, ni sa politique, ni son discours. Les taux sont restés inchangés et la Fed a poursuivi la réduction du rythme mensuel de ses achats d’actifs nets de USD 10 mds. En octobre, la Fed acquerra pour USD 15 mds de titres : USD 10 mds de Treasuries à échéance longue et USD 5 mds de MBS. Ensuite, elle stabilisera son bilan : la Fed a définitivement confirmé que la fin de la troisième vague d’assouplissement quantitatif (QE3) serait décidé lors de sa prochaine réunion. La Banque centrale américaine entend par ailleurs poursuivre sa politique actuelle de réinvestissement des titres arrivés à échéance.

Le plus surprenant pour les marché aura été la décision des membres du FOMC de conserver la formulation de sa forward guidance : « Le Comité anticipe toujours […] le maintien [au niveau actuel] de la fourchette cible des taux des Fonds fédéraux pendant une période considérable après la fin du programme d’achat d’actifs». En d’autres termes, ceux qui attendaient un certain durcissement de ton ont été déçu.

Outre le maintien de la formulation de la forward-guidance, le communiqué du FOMC semble un peu moins optimiste que le précédent. L’activité qui avait « rebondi » en juin connaît une « croissance modérée » à présent. Auparavant, il était question d’amélioration sur le marché du travail et de repli du taux de chômage. Désormais, le marché du travail s’est « quelque peu » amélioré et l’accent est mis sur l’absence de nouveau recul du taux de chômage. De plus, le passage sur le « sous-emploi notable », même s’il reste inchangé, fait désormais l’objet d’une phrase à part entière, soulignant d’autant plus son importance.

Le désaccord des plus “faucons” des membres votants du FOMC, Richard W.Fisher (Président de la Fed de Dallas) et Charles I. Plosser (Président de la Fed de Philadelphie), finit de donner un ton dovish à ce communiqué. Le premier estime que la Fed devra normaliser sa politique plus tôt que ne le suggère actuellement la forward guidance. Selon le second, le maintien en l’état de la forward-guidance «ne reflète pas les progrès considérables accomplis vers la réalisation des objectifs du Comité ».

Ce ton plus souple est par ailleurs reflété par l’évolution des projections des membres du FOMC. Les projections de croissance pour 2014 ont été une fois de plus abaissées à 2,1% (médiane des projections individuelles), contre 2,2% et 2,9%, respectivement, trois et six mois plus tôt. La révision est également à la baisse pour 2015, à 2,8% (contre 3,1% en juin). Les projections d’inflation n’ont été que faiblement revues et même pas du tout pour 2014 si on retient la médiane des projections individuelles. Mais la dispersion des projections individuelles s’est considérablement réduite : même les “faucons” considèrent à présent que la Fed manquera une fois de plus son objectif de stabilité des prix, et de loin, ce que le communiqué indique noir sur blanc, pour la première fois (si nos souvenirs sont bons…) : « L’inflation est inférieure à l’objectif à long terme du Comité ».

Comme le montre clairement le désormais fameux graphique fait de points bleus indiquant les projections de taux objectif des Fonds fédéraux par les différents membres de la Fed (les dots), la plupart des membres du FOMC continuent de tabler sur un relèvement des taux l’année prochaine. L’un d’entre eux serait pour un resserrement dès cette année (il s’agit probablement d’Esther L.George, Présidente de la Fed de Kansas City) tandis que deux autres préfèreraient attendre jusqu’en 2016 (probablement Narayana Kocherlakota, Président de la Fed de Minneapolis, mais pourquoi pas d’Eric S. Rosengren, Président de la Fed de Boston).

A en juger par ces dots, la fourchette cible du taux des Fonds fédéraux, se situerait à la fin de 2015 entre 1,25 % et 1,50 %, c’est-à-dire à 125 points de base au-dessus du niveau actuel. Autrement dit, il faudrait s’attendre à cinq hausses de taux sur l’année avec, pour point de départ du cycle de durcissement monétaire, le mois de juin. Cependant, MM. Fisher et Plosser ne feront plus partie des membres votants l’année prochaine et MM. Kocherlakota et Rosengren non plus, de sorte qu’un plus large consensus devrait être atteint au sein du Comité. Parmi les Présidents de Feds régionales votant l’année prochaine, deux ont récemment dévoilé la position de leur dots : les Présidents des Feds d’Atlanta et de San Francisco, Dennis P. Lockhart et John C. Williams ont déclaré anticiper une première hausse de taux à la mi-2015. Les forces des deux autres s’équilibreraient : Charles L. Evans (Chicago) prévoyait, en mars dernier, un taux objectif à 1,25% à la fin de 2016 alors que Jeffrey M. Lacker (Richmond) déclarait en juillet qu’ « il serait crucial pour la Fed de lever son soutien en temps et en heure afin de prévenir l’émergence de pressions inflationnistes », le plaçant dans le camp des “plutôt plus tôt que plus tard”, ceux qui préfèreraient ne pas attendre de constater d’accélération des prix et des salaires mais resserrer la politique monétaire de façon préventive.

Discours et dots indiquent donc bien le mois de juin comme le probable début du cycle de resserrement, mais comme Janet Yellen l’a déclaré à Jackson Hole et répété au cours de la conférence de presse qu’elle a donné suite à la réunion du FOMC : « si les progrès sur le marché du travail [sont] plus rapides que prévu […] ou si l’inflation évolue à la hausse plus rapidement […] le relèvement de la cible des taux des Fonds Fédéraux pourrait intervenir plus tôt que ne le prévoit actuellement le Comité et être plus rapide par la suite. Bien entendu, si les résultats économiques s’avèrent décevants et si la progression vers notre objectif est plus lente que prévu, la trajectoire future des taux d’intérêt sera probablement plus accommodante que dans nos prévisions actuelles ». Au cours de sa conférence de presse, Janet Yellen a également souligné qu’aussi informatifs soient-ils, les points bleus n’apportaient pas une information exhaustive, soulignant ainsi que l’incertitude que chaque participant attache à ses propres projections n’était pas communiquée. A en juger par l’expérience récente, nous avons tous – banquiers centraux, institutions internationales et autres économistes (y compris nous-mêmes) –eu tendance à surestimer le potentiel de rebond de l’économie américaine, et si nous avions à nous prononcer sur la balance des risques entre un resserrement tardif et mesuré et un durcissement imminent et rapide, nous opterions pour le premier. A noter, enfin, que nos prévisions de PIB et d’inflation sont inférieures à celles de la Fed …

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