Etats-Unis : tout vient à point à qui sait attendre

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

• Les ménages américains semblent préférer allouer à l’épargne et au désendettement les économies réalisées sur leur facture énergétique. Cette évolution est très certainement transitoire. Le dynamisme des créations d’emplois, en se reflétant dans l’évolution des salaires, finira par soutenir la confiance, le revenu, et ainsi les dépenses des ménages.

• La baisse de moral dans le secteur manufacturier, surprenante au vu de la chute des prix du pétrole, reflète l’appréciation du dollar. Cette hypothèse d’un secteur extérieur moins porteur et d’une demande intérieure plus robuste est soutenue par l’évolution du climat des affaires dans le secteur non manufacturier.

De la chute des prix du pétrole, on attendait un soutien à la croissance américaine. Deux principaux canaux de transmissions devaient jouer: les dépenses des ménages et l’activité manufacturière. L’allègement de la facture énergétique est en effet particulièrement positif pour ces deux acteurs. Il est habituel de considérer que la baisse des prix de l’énergie a, pour les ménages, des effets similaires à ceux d’une baisse d’impôt. En effet, la consommation de biens et services énergétiques est relativement inélastique au prix : lorsque ces derniers baissent, les économies réalisées libèrent du pouvoir d’achat et peuvent être alloués à d’autres dépenses.

Le volume total de consommation est potentiellement augmenté d’autant. Le secteur manufacturier est, aux Etats-Unis, le premier consommateur final d’énergie, absorbant quotidiennement environ 5 millions de baril de pétrole. Ainsi les coûts de production du secteur manufacturier sont étroitement liés à l’évolution du prix du pétrole (et des autres matières premières). Ainsi, lorsque les prix du pétrole avaient chuté (d’environ 38% en moyenne) entre 2008 et 2009, les coûts de production du secteur manufacturier avaient reculé de 24%, libérant environ 3,7 points de chiffre d’affaires. Une baisse des prix de l’énergie a ainsi un effet positif immédiat sur la profitabilité du secteur industriel.

Entre les mois de janvier 2014 et 2015, le déflateur des dépenses de consommation des ménages en produits et services énergétiques a reculé de plus de 20%, permettant une économie globale d’environ USD 140 mds. Pour l’heure, les effets sur la consommation apparaissent limités: les ménages ont préféré épargner ces montants (sur la période l’épargne a progressé d’environ USD 110 mds, conduisant le taux d’épargne de 4,9% à 5,5% du revenu disponible). Ces données confirment les résultats d’une enquête menée en début d’année par Visa, qui montraient que les ménages comptaient allouer les économies réalisées sur la facture énergétique à hauteur de 50% à l’épargne, de 25% à la réduction de la dette, le reste étant utilisé pour des dépenses courantes.

La progression réelle de la consommation semble donc ne pas avoir été particulièrement affectée par la baisse des prix du pétrole : entre les mois de février et août 2014, elle était de 3,5% par mois en moyenne et en rythme annualisé, décélérant à 3,1% entre septembre et janvier. Quant à la forte accélération du glissement annuel constatée entre décembre 2014 et janvier 2015 (de 2,8% en à 3,4%), elle doit beaucoup à des effets de bases (la consommation avait fortement reculé en janvier 2014, évolution liée à un hiver particulièrement rigoureux).

Au vu de l’évolution récente de la confiance des ménages, la remontée de l’épargne n’est pas surprenante. Certes l’indice du Conference Board avait bondi en janvier, mais la correction a été marquée en février, et si l’indice global s’établit au-dessus de son niveau de décembre, c’est malgré un recul de sa composante anticipation, et plus particulièrement des perspectives de revenus à 6 mois. La faiblesse de ce dernier indicateur est surprenante, notamment au vu du dynamisme du marché du travail. Depuis mars 2014, la moyenne des créations mensuelles d’emplois est de près de 280,000, contre 185,000 au cours des douze mois précédents. Pour retrouver un tel rythme, soutenu au-delà de quelques mois, il faut remonter quinze ans en arrière.

Il s’agit pourtant de ne pas sombrer dans un pessimisme excessif. Si les perspectives de revenus encouragent encore les ménages américains à épargner les économies réalisées sur leur facture énergétique, leur évolution tend à être retardée sur le cycle de l’emploi. Ainsi, la forte accélération des créations d’emplois est appelée à conduire les salaires à la hausse. Ce n’est qu’alors que les ménages anticiperont une progression de leurs revenus suffisante pour les pousser à une réallocation de l’épargne vers la consommation. De la même façon que des baisses d’impôts ne sont pas immédiatement consommées – les baisses d’impôts de 2001 avaient conduit, dans un premier temps, à une hausse du taux d’épargne de 2 points de pourcentage – les allègements de facture énergétique soutiennent la croissance avec un certain retard.

Quant à la confiance dans le secteur manufacturier – l’indice ISM a reculé une nouvelle fois en février, pour la cinquième fois au cours des six derniers mois – il s’agit de relativiser sa détérioration. L’indice reste fermement au-dessus des 50 points (52,9), alors que dans le secteur non manufacturier, la confiance résiste (56,9). La baisse de régime enregistrée par l’industrie américaine semble ainsi davantage liée à l’appréciation du dollar, comme le montre le recul marqué des nouvelles commandes à l’exportation (48,5). La lecture des indices du climat des affaires est plutôt positive : les perspectives dans le secteur non manufacturier – qui génère un peu moins de 85% de la valeur ajoutée – sont très bien orientées, alors que l’activité manufacturière conserve un rythme de progression honorable, malgré une baisse de régime des marchés à l’exportation.

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