par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas
• La croissance sera décevante au premier trimestre, et ce d’autant plus qu’on attendait un soutien de la chute des prix du pétrole. Des freins ponctuels (météo, mouvements sociaux) sont partiellement responsables.
• Le dynamisme du marché du travail est impressionnant. A lui seul, cet indicateur annonce un rebond de l’activité.
• Le principal risque sur ce scénario est relatif aux effets de l’appréciation du dollar sur l’activité. La correction, débutée avec la dernière réunion du FOMC, permet de nuancer ces craintes.
La croissance semble marquer le pas au début de 2015, sans qu’il faille trop s’en alarmer. Cet accès de faiblesse pourrait en effet être lié à un hiver une fois de plus très rigoureux, alors qu’un mouvement de grève dans les ports de la côte ouest a pesé sur les échanges extérieurs. Reste qu’il semble bien que les effets positifs attendus de la très forte baisse des prix du pétrole ne se matérialiseront qu’avec retard. Ainsi, les ventes de détail hors éléments volatils (carburants, automobiles ainsi que les matériaux de construction qui, dans la comptabilité nationale américaine sont affectés à l’investissement résidentiel et non à la consommation privée), après deux mois de recul en décembre et janvier, n’ont progressé que de 0,1% en février. Au cours de la même période, la production manufacturière a enregistré une évolution encore moins favorable, reculant sur trois mois consécutifs : -0,1% en décembre, -0,3% en janvier en -0,2% en février. De plus les indicateurs avancés sont mal orientés. L’indice ISM manufacturier, bien que toujours confortablement au-dessus de la barre des 50 points, continue de reculer, alors que les premières enquêtes régionales, menées par les Fed de New York et Philadelphie, n’annoncent pas de rebond de la confiance.
Malgré ces mauvaises nouvelles, nous demeurons optimistes sur les perspectives de croissance américaine : les évolutions décevantes du début d’année ne sont, selon nous, que le fruit de facteurs temporaires, et les fondamentaux restent bien orientés. L’évolution de l’emploi est en effet source de grand optimisme. Depuis mars 2014, les créations mensuelles sont de 275 000, et la dynamique est généralisée, avec une progression des effectifs dans le secteur public, l’industrie manufacturière, la construction et les services. Un tel dynamisme permet de nuancer les mauvaises nouvelles des données d’activité, indiquant que les entreprises peuvent n’y voir qu’un trou d’air. Si ce n’était pas le cas, les créations d’emplois ne demeureraient certainement pas aussi fortes. Par ailleurs, le dynamisme du marché du travail nourrit la hausse du revenu disponible des ménages. La progression de leur pouvoir d’achat était, en janvier, au plus haut depuis 2006 (si l’on exclut les évolutions exceptionnelles liées aux modifications de la fiscalité).
Si ces tendances, très positives, ne se traduisent pas (encore) par un rebond de l’activité, c’est que les ménages ont, pour l’heure, décidé d’augmenter leur épargne, passée de 4,5% du revenu disponible en octobre, à 5,5% en janvier. Une remontée temporaire du taux d’épargne n’est pas surprenante. On assiste souvent à ce phénomène lorsque des baisses d’impôts sont accordées. Le dynamisme du marché du travail est tel qu’il finira par conduire les ménages à revoir leurs perspectives de revenus à la hausse, et alors, nous assisterons à une correction à la baisse de l’épargne. Ici, un élément clé est l’évolution des salaires, qui reste très décevante, mais devrait s’améliorer au fur et à mesure que le sous-emploi se réduit. Les officiels de la Fed ne semblent pas s’inquiéter outre mesure de l’atonie des salaires. De fait, ils ont revu une fois de plus à la baisse leurs estimations du NAIRU – Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment, soit le taux de chômage qui n’accélère pas l’inflation – qui évoluerait entre 5% et 5,2%, soit toujours sous l’actuel taux de chômage (5,5% en février). L’absence d’accélération des salaires est alors moins surprenante.
Les membres du FOMC semblent plus inquiets des effets sur l’activité et les prix de la forte et rapide appréciation du dollar. Entre juillet 2014 et février 2015, le taux de change effectif réel du dollar – soit sa valeur face à un panier de devises tenant compte des évolutions relatives de prix – a progressé de 10%, et même de près de 16% si l’on ne retient que les principales devises internationales. Le dollar avait connu un mouvement similaire au début de 2008, sous l’effet du « flight to safety ».
Mais la correction avait été ensuite rapide et marquée. Si le commerce extérieur américain avait alors souffert, c’était davantage du fait du recul de la demande mondiale. Les effets de l’appréciation du dollar sont indiscutables au regard de l’évolution des prix à l’importation. Entre les mois de juin 2014 et de février 2015, l’indice total a reculé de 9,8%, et 1,6% hors produits pétroliers. Les effets sur les exportations sont plus difficiles à mettre en valeur, les interruptions de service dans plusieurs grands ports de marchandise de la côte ouest ayant certainement un rôle important dans le recul des exportations américaines en janvier. Ainsi, les exportations à destination des pays du Pacifique sont en recul bien plus marqué (-10,8%, glissement annuel) que vers les autres partenaires commerciaux des Etats-Unis (-0,9%).
La valeur externe du dollar n’étant pas dans les attributions de la Fed, on ne peut pas dire que les décisions prises la semaine dernière avaient pour but de stopper son appréciation. C’est pourtant ce qui s’est passé. A mesure que les différents éléments (communiqué de presse, publication des prévisions mises à jour, conférence de presse) du FOMC étaient rendus publics, le dollar baissait, cassant même temporairement le seuil de 1,10 contre euro. Depuis, le dollar n’a pas repris son mouvement d’appréciation, et a évolué, cette semaine, autour de 1,09.