par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
L’Europe s’anime, les Etats-Unis s’assagissent. Les enquêtes estivales auprès des directeurs d’achats indiquent bien une forme de rapprochement des conjonctures de part et d’autre de l’Atlantique. Avec une croissance ramenée à 2,4% au deuxième trimestre (chiffre annualisé), l’activité américaine baisse de rythme. Le niveau des stocks se normalise, après une phase de reconstitution soutenue, et les importations, en forte hausse, concurrencent davantage la production nationale depuis que le dollar s’est renchéri (+17% contre euro au premier semestre).
Sans la contribution négative du commerce extérieur, la croissance américaine aurait été proche de 5% en rythme annuel au deuxième trimestre.
Pour les mois qui viennent, la première économie mondiale offre des perspectives moins attrayantes, bien qu’honorables. Le ton est plus prudent du côté de la Réserve fédérale, dont le président, Ben Bernanke, évoquait récemment devant le Congrès des perspectives « inhabituellement incertaines ». Le Livre Beige, établi en vue de la prochaine réunion du Comité de politique monétaire (le 10/08), fait état d’une modération de l’activité, dans l’immobilier notamment. Enfin, l’indice ISM manufacturier, témoin fidèle du cycle des affaires, décroche des sommets atteints au printemps dernier. A 55,2 en juillet, contre 56,2 en juin, il est au-dessus de sa moyenne historique (51,3 sur les vingt dernières années). Mais il pourrait s’en rapprocher rapidement, si l’on se fie à d’autres indices précurseurs de l’activité tel que celui fourni par la Réserve fédérale de Philadelphie.
Avec l’atténuation des effets du plan de relance, c’est un second semestre 2010 en pente douce qui se dessine. Le crédit d’impôt immobilier ayant expiré fin avril, l’activité sur le marché du logement a marqué le pas (gonflement des stocks à partir de mai, effritement des enquêtes, rechute des prix…). D’après la comptabilité tenue par le gouvernement fédéral, l’essentiel des baisses d’impôts prévues a été octroyé, soit un total de 223 milliards de dollars sur une enveloppe de 288 milliards. Une partie encore importante des programmes d’investissements publics reste à engager. Mais la consommation américaine, qui représente 70% du PIB, recevra moins de soutien.
La situation milite donc pour le maintien de taux d’intérêt bas aux Etats-Unis, d’autant que l’on y recense peu d’inflation. En juin, la hausse des prix hors éléments volatils (énergie et alimentation) s’établissait à 0,9% sur un an, son plus bas niveau depuis 1961.
Notre scénario n’envisage pas de modification prochaine du niveau objectif du taux des fonds fédéraux, actuellement contenu dans une fourchette de 0% à 0,25%. Le marché obligataire semble avoir acté précocement le ralentissement ainsi que le statu quo prolongé de la « Fed ». Proche de 4% début avril, le rendement à 10 ans des Treasuries est descendu sous les 3% début juillet (il est à 2,92% le 05/08).
L’économie de la zone euro reste pour l’instant en phase d’accélération. D’après nos estimations, la croissance des Seize devrait avoir dépassé celle des Etats-Unis au deuxième trimestre (+2,8% en rythme annualisé). Les chiffres provisoires seront connus vendredi 13. Les indices PMI (purchasing managers index) publiés la semaine dernière et intéressant le mois de juillet ont été bons, tout spécialement en Allemagne. La deuxième puissance exportatrice mondiale retrouve son rôle de locomotive en Europe. Son industrie, qui compte pour 25% du PIB, tire profit de la reprise des investissements en équipements (+21,9% en rythme annualisé aux Etats-Unis au deuxième trimestre) comme de la baisse de l’euro. Le climat des affaires s’améliore également en France, mais se dégrade un peu en Italie ainsi qu’en Espagne. Le Sud de l’Europe renoue timidement avec la croissance et si la reprise est là, elle s’effectue en ordre dispersé.
La Banque centrale européenne (BCE) constate l’embellie. Son président, Jean-Claude Trichet, a laissé entendre lors de sa dernière conférence de presse que les prévisions officielles de croissance (+1% en 2010 et +1,2% en 2011) pourraient être relevées en septembre. Il reste néanmoins prudent quant à la suite des événements. La crise de la dette souveraine a déjà contrarié le programme de retour à une politique monétaire plus conventionnelle. Les opérations spéciales de refinancement à plus de sept jours ont été prolongées, et la BCE a acheté des obligations d’Etat sur le marché secondaire. On a aussi conscience à Francfort que le ralentissement observé aux Etats-Unis ou en Chine, ainsi que les programmes d’ajustement budgétaire à venir, tempèreront la reprise en zone euro.
Le Conseil des gouverneurs, qui s’est réuni jeudi 5 août, laisse donc sans surprise les taux directeurs inchangés. Le refi reste au niveau qui est le sien depuis maintenant plus d’un an, soit 1%.
Les opérations principales de refinancement continuent d’être conduites à taux fixe et servies en totalité (au moins jusqu’à la fin du mois de septembre). La BCE a piloté l’arrivée à échéance du prêt de 442 milliards d’euros à 12 mois consenti en juin 2009. Elle a procédé à des opérations de réglage fin et répondu à une demande accrue de refinancement de la part des banques.
Néanmoins, le montant alloué lors de l’opération à trois mois du 30 juin (131,9 milliards d’euros) n’est pas aussi élevé que cela.
C’est un signe positif, indiquant un début de résorption de l’excès de liquidité sur le marché monétaire (graphique) et une moindre dépendance aux prêts de la banque centrale. Tout le monde n’est cependant pas logé à la même enseigne. Les banques des pays dits « périphériques » (Espagne, Portugal, Irlande, Grèce) continuent de s’approvisionner largement au guichet de la BCE.
Elles absorbent 44% de la liquidité allouée, ce qui est beaucoup eu égard au poids économique des pays auxquels elles appartiennent (16% du PIB de la zone euro).