Europe du Sud : fragile reprise

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

La force des exportations et l’assouplissement des conditions du retour à l’équilibre budgétaire permettent au pays du Sud de la zone euro (Italie, Espagne, Grèce, Portugal) de sortir la tête de l’eau. Les chiffres du PIB du deuxième trimestre, comme les dernières données d’enquêtes, indiquent une stabilisation de l’activité laissant espérer un retour prochain de la croissance. Mais des menaces pèsent encore sur cette reprise naissante.

Malgré les récents délais accordés par la Commission européenne (CE) pour respecter la norme de 3% de déficit sur PIB1, les pays du Sud devront encore engager des efforts budgétaires importants en 2014. Le rythme de consolidation a été ralenti mais les objectifs demeurent ambitieux. Surtout, les pays du Sud ne pourront a priori pas compter sur le retour de la croissance pour s’épargner des mesures discrétionnaires. A partir de la distinction entre déficit « nominal » et « structurel » (hors effet du cycle), l’évaluation des politiques publiques par la CE se fait désormais sur l’effort budgétaire et son exécution, et plus sur le seul résultat. A côté de l’objectif des 3% de déficit public défini par les critères de Maastricht figure celui des 0,5% de déficit structurel inclus dans le Traité pour la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance (TSCG). Par ailleurs, les pays dont la dette publique est excessive devront réduire de 1/20ème par an l’écart qui sépare leur ratio de dette des 60% du PIB. En résumé, l’ajustement des pays du Sud est loin d’être terminé.

Or leur situation politique est délicate. Au Portugal, les brèches apparues au sein de la coalition début juillet ont été colmatées à la faveur d’un remaniement ministériel mais les divisions entre les deux partis au pouvoir, le PSD et le CDS-PP, au sujet de la politique budgétaire restent profondes. La préparation du budget, présenté au parlement le 15 octobre, pourrait être source d’un regain de tensions. En attendant, le gouvernement profitera de de la 8ème revue de la Troïka, qui commence mi-septembre, pour tenter d’obtenir un nouvel assouplissement de la cure d’austérité. L’argument a déjà été avancé par le gouvernement, en vue des élections locales du 29 septembre. Cependant, après deux révisions d’objectifs budgétaires en un an, une dette publique qui atteint 130% du PIB, et les élections générales allemandes le 22 septembre, la Troïka fera probablement preuve de fermeté.

Les inspecteurs de la Troïka seront aussi en visite en Grèce courant septembre où la coalition, qui ne détient plus qu’une majorité de 5 sièges au Parlement, est de plus en plus fragile. De nouvelles exigences des bailleurs de fonds en termes de consolidation budgétaire et/ou de réformes structurelles pourraient faire vaciller l’alliance Nouvelle Démocratie-PASOK et précipiter des élections anticipées.

Enfin, en Italie et en Espagne, les affaires judicaires pourraient ébranler la stabilité politique. A partir du 9 septembre, une commission du Sénat doit examiner une éventuelle éviction de M. Berlusconi et le cas échéant proposer un vote à cette même assemblée. La déchéance de M. Berlusconi s’accompagnerait du retrait de son parti, le Peuple de la Liberté, du gouvernement ce qui ferait chuter ce dernier. En Espagne, les scandales de corruption touchant le chef de l’exécutif, M.Rajoy semblent moins une menace directe pour le gouvernement, qui jouit d’une majorité absolue au Parlement, mais portent un coup à sa légitimité. Avec plus d’un espagnol sur quatre au chômage et après trois ans de rigueur, la tolérance à de nouvelles mesures d’austérité est faible.

Les gouvernements du Sud de l’Europe doivent poursuivre les efforts de consolidation mais leurs marges de manœuvre semblent minces. Cela pourrait réveiller les tensions Nord-Sud alors que les programmes grec et portugais arrivent bientôt à échéance (mi-2014), et qu’il faudra rapidement trouver une solution à leurs problèmes de financement. Le risque politique pourrait donc à nouveau s’inviter sur la scène européenne et, avec lui, la défiance des marchés.

Au-delà de ce risque propre à l’Europe, la reprise au Sud pourrait également être entravée par le ralentissement de la croissance des pays émergents, en particulier des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine)2. Si les performances à l’exportation de l’Espagne et du Portugal ont été remarquables depuis trois ans, c’est aussi parce que ces pays ont réussi à diversifier leurs débouchés hors de la zone euro, vers les pays émergents. La part des exportations espagnoles à destination de la zone euro est passée de de 55% au Q4 2010 à 49% au Q2 2013. Au Portugal, elle est passée de 64% à 59%.

Le ralentissement des pays émergents, s’il se confirme, se traduira par une moindre demande adressée aux pays du Sud de l’Europe. Certes, l’amélioration de la situation économique en zone euro peut fournir un relais de croissance. Mais au niveau agrégé également, la sortie de récession passe d’abord par le commerce extérieur. Les données de la seconde estimation du PIB de la zone euro, publiées cette semaine, confirment le retour de la croissance au deuxième trimestre. Le PIB a augmenté de 0,3% t/t. Le détail par composantes indique toujours une demande frileuse: la consommation des ménages et l’investissement ont respectivement crû de 0,2% et 0,3% quand les exportations ont enregistré une progression de 1,6% t/t. Au T2, le commerce intra-zone en valeur représentait moins de la moitié des échanges de biens et services et une part légèrement moins importante qu’au T1. Au final, si l’Union économique et monétaire reste commercialement très intégrée, elle n’est pas encore en mesure de fournir à ses membres les plus fragiles les débouchés suffisants pour compenser et le poids de l’austérité et le ralentissement des grands pays émergents. Deux éléments qui pourraient encore retarder la reprise au Sud de l’Europe.

NOTES

  1. L’Espagne et la Grèce auront jusqu’en 2016, le Portugal jusqu’en 2015. L’Italie est déjà sortie de la procédure pour déficit excessif mais compte tenu d’un ratio de dette qui atteint 130% du PIB, devra poursuivre l’assainissement budgétaire.
  2. Voir Ecoweek du 30 août 2013, « Avis de tempêtes sur les places émergentes », F.Faure

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