Europe du Sud : session de rattrapage

par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas

Après plusieurs années de forte contraction l’activité redémarre dans les pays du Sud de la zone euro (Espagne, Grèce, Portugal) grâce au redressement de la demande intérieure. En Espagne, entre le T2 2013 et le T1 2014, le PIB a augmenté de 0,6% du fait d’une contribution positive de 1,2 point de la demande intérieure (hors stock). Au Portugal, sur la même période, la demande intérieure a ajouté 0,7 point à l’activité(1), alors qu’en Grèce, où les données nationales, non désaisonnalisées, offrent moins de lisibilité, on note la première hausse de la consommation des ménages en glissement annuel depuis le T1 2010.

Hormis en Grèce, le commerce extérieur, qui avait été l’unique soutien à l’activité durant la grande récession, a légèrement pesé dernièrement, du fait de la hausse des importations et, dans une moindre mesure, du tassement des exportations.

Le rebond de la demande intérieure a plusieurs fondements. Il a d’abord été rendu possible par la restauration de la confiance dans l’unité de la zone euro à laquelle l’action de la Banque Centrale Européenne (BCE) a beaucoup participée. Le retour des capitaux vers les économies périphériques et la détente des conditions de financement ont permis la reprise de l’investissement productif. Depuis le T1 2013, les achats de biens d’équipements et de machines ont progressé de 11,3% en Espagne et 10,9% au Portugal. Si une partie de ces investissements est destinée à remplacer un capital vieillissant, il s’agit aussi de la constitution de nouvelles capacités productives, notamment dans les secteurs exportateurs.

Du côté des ménages, le retour de la confiance a également ranimé la consommation. Au Portugal, et dans une moindre mesure en Espagne, on note une baisse de leur taux d’épargne(2), probablement liée à l’assouplissement de la politique budgétaire et aux moindres incertitudes quant à son évolution. Cela permet de soutenir la consommation en dépit d’un revenu disponible toujours sous pression. Surtout, les conditions sur le marché du travail se sont amélioré. En Espagne, l’emploi a progressé de 0,6% t/t au T4 2013 et de 0,2% au T1 2014 (données désaisonnalisées) pour la première fois depuis le T1 2008. Au Portugal, la reprise de l’emploi a été encore plus précoce et vigoureuse (l’emploi a augmenté de 0,7% t/t chaque trimestre en moyenne entre le T2 2013 et le T4 2013), tandis qu’en Grèce on assiste à une stabilisation des destructions d’emplois depuis le T2 2013. Enfin, le pouvoir d’achat des ménages bénéficie de la faiblesse de l’inflation qui reflète, il est vrai, l’atonie de la consommation mais aussi l’ajustement par les prix demandé à ces pays.

En définitive, l’amélioration des conditions de financement, l’assouplissement de la rigueur budgétaire, les ajustements de prix et la reprise progressive du marché du travail soutiennent la demande intérieure. Il s’agit là d’une évolution plus qu’attendue au regard de la perte d’activité engendrée par la double crise, financière de 2008-2009, des dettes souveraines de 2010-2013. La Commission Européenne estime que l’output gap (c’est-à-dire l’écart entre l’activité observée et la production potentielle) atteignait, en 2013, 8% en Espagne, 12,6% en Grèce et 5,6% au Portugal. Et encore, ces estimations reposent sur des hypothèses extrêmement conservatrices : le chômage structurel est estimé autour de 20% en Espagne et en Grèce, 13% au Portugal. Le retard à rattraper pourrait donc être encore plus conséquent.

Toute la difficulté pour ces pays sera de retrouver des niveaux d’activité et de chômage décents tout en maintenant, voire en accroissant, les excédents extérieurs apparus pendant la récession. En effet, l’objectif de désendettement extérieur, désormais inscrit à côté de celui du désendettement public dans le Pacte de Stabilité réformé (Six-Pack), requiert une période prolongée d’excédents courants, ce qui suppose une croissance robuste des exportations. Une hausse structurelle de la productivité est nécessaire pour allier élévation durable des niveaux de vie et compétitivité des exportations. A cet effet, l’amélioration du capital humain des pays périphériques via, notamment, des investissements dans l’éducation et la recherche et développement est capitale. Des mesures visant la réduction des marges excessives dans les secteurs protégés, une plus grande efficacité dans l’utilisation des infrastructures publiques et l’élimination des barrières réglementaires à la croissance des entreprises apparaissent également nécessaires. Au moment où le retour de la croissance et l’approche d’élections générales(3) pourraient pousser au statu quo, la poursuite des réformes est un enjeu de premier plan.

NOTES

  1. Il convient cependant de noter la baisse exceptionnellement marquée de l’investissement au T1 2014, liée à la fermeture temporaire de la principale raffinerie pétrolière du pays.
  2. Au Portugal, le taux d’épargne est passé de 13,5% du revenu disponible au T2 2013 à 12,6% au T4 2013. En Espagne il est passé de 10,9% à 10,4% dans le même temps.
  3. Les élections générales sont prévues fin 2015 en Espagne et au Portugal. Des éléctions anticipées en Grèce pourraient également être tenues début 2015.

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