par Caroline Newhouse-Cohen et Eric Vergnaud, économistes chez BNP Paribas
Face à l’ampleur de la crise économique et financière qui secoue les Etats-Unis et l’Europe, l’Administration américaine ainsi que l’Union européenne ont annoncé cette semaine un train de nouvelles mesures visant à la fois à stabiliser les marchés et à soutenir une activité désormais moribonde.
Tout d’abord, pour la deuxième fois depuis un mois, le gouvernement américain a du venir au secours de Citigroup. Le 19 octobre, la banque avait bénéficié d’une injection de capital de USD 25 milliards dans le cadre de l’utilisation de la première tranche du plan Paulson ou TARP (Troubled Asset Relief Plan) aux fins de recapitalisation des institutions financières à hauteur de USD 205 milliards tirés. Citigroup va de nouveau bénéficier d’une injection de capital, cette fois de USD 20 milliards, le Trésor souscrivant des actions de préférence rémunérées à 8 %.
Au total, l’Etat fédéral détient désormais près de 8% du capital de Citigroup. Toutefois, la seule injection de fonds propres ayant montré ses limites, cette fois l’intervention est d’une toute autre ampleur. Ainsi, le gouvernement va accorder sa garantie à un portefeuille identifié d’actifs jugés toxiques de USD 306 milliards (ayant une maturité de dix ans pour ceux adossés à des crédits immobiliers résidentiels et cinq ans pour les autres). Citigroup s’est engagé à absorber les 29 premiers milliards de pertes, plus 10 % des éventuelles pertes additionnelles (27,7 milliards soit un total de 56,7 milliards). Les 90% restants seront garantis, par le Trésor (5 milliards), le Fonds de garantie des dépôts (FDIC) (10 milliards) et le reste par la Réserve fédérale (soit USD 234,3 milliards, puisque financé par un non recourse loan (rémunéré OIS +300 pb).
Par ailleurs, le FDIC (fonds d’assurance des dépôts bancaires) apportera désormais la garantie d’Etat à l’émission des titres de créance à 3 ans par les grandes institutions financières. Les banques pourront lever jusqu’à 600 milliards de dollars, et ainsi refinancer les montants importants de dette qui arrivent à échéance au cours des tous prochains mois, et cela à des taux bien inférieurs à ceux prévalant actuellement sur les signatures bancaires. Cela devrait rassurer les marchés sur la capacité de lever des fonds.
Ensuite, la Fed va de nouveau élargir son champ d’action, avec la création d’une nouvelle facilité de crédit, le Term Asset-backed Securities Loan Facility (TALF). Par ce canal, la Fed va être en mesure de prêter jusqu’à 200 milliards de dollars sur un an (jusqu’au 31 décembre 2009), sous forme de non secure loans, à différents organismes de crédit aux ménages et de financement de l’investissement aux PME. Les prêts s’effectueront en contrepartie de la cession d’ABS triple A adossés à des crédits aux ménages et aux PME « nouveaux ou accordé récemment à des débiteurs installés aux Etats-Unis » et qui sont détenus par les sociétés financières voulant bénéficier de ce nouveau guichet de refinancement.
Les autorités veulent ainsi soutenir plus directement l’accès au crédit, en soulageant les institutions financières de leurs actifs illiquides. En effet, près de 40% des crédits à la consommation sont titrisés, mais le marché des ABS, estimé à près de USD 240 milliards en 2007, s’est constamment dégradé depuis pour quasiment s’arrêter en octobre, alors que les spreads se sont envolés. Le crédit va être soutenu et les taux devraient baisser. La version initiale du plan Paulson est en quelque sorte remise à l’ordre du jour. Ainsi, le Trésor va prélever sur les fonds non encore utilisés de la première tranche de USD 350 milliards du TARP, 20 milliards afin d’offrir une garantie de crédit à la Fed dans le cadre de ces 200 milliards de prêts, …un bel effet de levier.
Par ailleurs, les autorités oeuvrent à la consolidation des organismes de refinancement hypothécaires. Ainsi, la Fed achètera jusqu’à 100 milliards de titres de dette émis par Freddie Mac, Fannie Mae et la Federal Home Loan Bank (mesure annoncée depuis longtemps, mais qui tardait à devenir effective). Les opérations vont débuter la semaine prochaine et elles seront menées avec les primary dealers habilités par la Fed. Celle-ci va également acheter jusqu’à US 500 milliards de MBS garantis par Freddie Mac, Fannie Mae et Ginnie Mae. Les opérations qui commenceront d’ici à la fin de l’année seront menées par des gestionnaires d’actifs sélectionnés par la Fed. L’écart de taux sur ces MBS s’est nettement élargi au cours des derniers mois, entraînant un renchérissement du coût d’acquisition d’un logement.
Au total, ces nouvelles mesures visent à soutenir la consommation et l’investissement immobilier, tout en rétablissant la confiance des marchés. La contrepartie est le gonflement du bilan de la Fed passé à 2 100 milliards le 20 novembre, contre moins de 925 milliards, il y a deux mois avant la chute de Lehman Brothers et sa dégradation.
Au total, L’ensemble des facilités de crédit mises en place représentent des engagements (potentiellement) supérieurs à USD 5 500 milliards. Si l’on y ajoute le plan Paulson et les injections de 200 milliards de dollars effectuées par le Trésor, il y a quelques mois, le total des interventions publiques approche (toujours potentiellement, puisque par exemple moins de 350 milliards ont été à ce jour mobilisés au titre du TARP) la somme plus que respectable de USD 6 500 milliards.
De fait les données et enquêtes déjà disponibles pour le quatrième trimestre ne présagent aucune amélioration rapide de la conjoncture, alors que l’économie est entrée en récession au T3 (-0,5% t/t annualisés). Il semble peu probable que la consommation des ménages rebondisse rapidement, compte tenu de la dégradation rapide du marché du travail, du durcissement des conditions de crédit et de la baisse des marchés boursier et immobilier.
Par ailleurs, l’investissement des entreprises devrait se contracter fortement l’année prochaine, en ligne avec l’affaissement des enquêtes dans le secteur industriel. Ainsi, les commandes de biens durables se sont effondrées en octobre (-6,2% m/m). Hors transports elles se sont repliées de 4,5%, en baisse pour le troisième mois consécutif. Enfin, les exportations devraient ralentir davantage au cours des prochains mois avant de redémarrer après le milieu de l’année prochaine, avec le retournement du cycle mondial.
Dans la zone euro, l’enquête de la Commission européenne a montré que la confiance s’est effondrée en novembre. Le climat économique s’est inscrit à son niveau le plus faible depuis l’été 1993 (74,9). La confiance a chuté dans tous les secteurs, et en particulier dans l’industrie (-28 après -18 en octobre). Ce repli signale une forte contraction du PIB au quatrième trimestre (de l’ordre de 1% g.a.). Par ailleurs, les composantes de l’enquête relatives aux prix et aux anticipations d’inflation ont continué de se replier, reflétant à la fois la baisse des prix des matières premières et la détérioration de la conjoncture économique.
Dans ces conditions nous estimons que la situation économique et financière nécessite une baisse de 75 points de base en décembre, même si certains membres de la BCE ont laissé entendre récemment que la banque centrale se montrerait prudente, ne souhaitant pas brûler toutes ses cartouches.
Lorenzo Bini Smaghi, membre du directoire, estimait même que de fortes baisses des taux d’intérêt pourraient saper la confiance des marchés, en signalant que les autorités monétaires étaient plus inquiètes que les investisseurs.
En Europe, l’heure est aux plans de relance. La Commission vient de présenter un plan de 200 milliards d’euros (soit 1,5% du PIB), dont seulement 30 milliards seront financés au niveau européen (dont 15,6 par des prêts de la Banque Européenne d’Investissement, le reste devant venir des initiatives nationales). Ni simple accompagnement ni coordination de celle-ci, il faut voir dans le plan européen une volonté de synchronisation des relances dans les différents pays, une sorte de label « Commission européenne » apposé à ces initiatives. Elles pourront prendre (quand ce n’est pas déjà fait) des formes diverses : mesures sectorielles, soutien aux entreprises, mesures fiscales et sociales… Sur le front de la fiscalité, le Royaume-Uni fait pour le moment cavalier seul en ayant décidé une baisse générale de la TVA.
La Commission est visiblement soucieuse de voir les dispositifs nationaux ne pas s’écarter (de trop) de ce qu’elle considère comme les bonnes pratiques de la relance. Mesures à court terme afin de limiter l’ampleur et la durée de la récession, mais également mesures structurelles dans la ligne de l’Agenda de Lisbonne.
D’une part, la proposition de la Commission reste soumise à l’accord des 27 pays de l’UE (conseil européen du 11 décembre. D’autre part, le détail et la portée des plans nationaux (montants définitifs, durée, financement) restent largement à préciser. De ces éléments, dépend pourtant largement l’efficacité de ces mesures de relance…