par Patrick Artus, directeur de la recherche économique et des études de Natixis
Le gouvernement allemand souhaiterait que les pays européens, comme l’a fait l’Allemagne, inscrivent dans leurs constitutions un « frein à l’endettement » (Schuldenbremse). Cette idée semble gagner du terrain (en France par exemple), sur le modèle de la « Golden Rule » britannique. Cette règle prévoit qu’il ne doit pas y avoir de déficit public structurel (à partir de 2016 en Allemagne) et, de plus en Allemagne que les régions ne peuvent plus avoir de déficit (à partir de 2020). Est une règle intelligente, et faut-il la rendre très contraignante en l’inscrivant dans la constitution ?
- il est clair que le Pacte de Stabilité et de croissance, qui limitait les déficits publics en bas de cycle et ne prévoyait rien en haut de cycle était une règle inefficace ;
- le problème avec l’équilibre budgétaire structurel est qu’il n’assure pas la stabilité du taux d’endettement public à moyen terme ; pour que cette stabilité soit assurée, il faut que le déficit public soit en moyenne égal au produit du taux d’endettement public par la croissance tendancielle en valeur ; une règle de nullité du déficit structurel conduit à une baisse continuelle du taux d’endettement public ;
- il faudrait donc en fait une règle calculée spécifiquement pour chaque pays qui tienne compte de son niveau d’endettement public et de sa croissance tendancielle ;
- il faut en plus se rendre compte de la difficulté pratique de calculer l’output gap et le déficit structurel, avec l’importance du risque d’erreur de mesure.
Au total, le « frein à l’endettement » est certainement une amélioration par rapport au Pacte de Stabilité et de croissance, mais est encore loin d’être un arrangement parfait, ce qui rend sans doute prématurée son inscription dans la constitution.
Le principe du « frein à l’endettement »
Le principe du « frein l’endettement » allemand, assez proche de la « Golden Rule » britannique est le suivant :
- le déficit public structurel (corrigé de l’effet du cycle) doit être nul (0,35% du PIB en 2016 en Allemagne) ;
- les collectivités locales n’ont pas le droit de s’endetter (pour les Länder allemands à partir de 2020) ;
- ces règles deviennent très strictes, parce qu’elles sont inscrites dans la constitution.
Est-ce une bonne idée pour les pays de la zone euro ?
Le Pacte de Stabilité et de croissance est mort
Le Pacte de Stabilité et de croissance, même après sa réforme, était profondément inefficace :
- la limite aux déficits publics (3% du PIB, éventuellement plus en cas de crise grave) a été évidemment complètement dépassée par les pays européens en 2009–2010 avec la violence de la récession ;
- en l’absence de contrainte sur les déficits publics en haut de cycle, certains pays ont maintenu des déficits importants même en période de croissance et de plein emploi (Portugal, Grèce, France, Italie).
On comprend donc qu’il faille remplacer le Pacte de Stabilité et de croissance par des règles plus efficaces, qui permettent une action budgétaire contra-cyclique, qui évitent la dérive des taux d’endettement publics.
Les défauts du « frein à l’endettement »
L’idée du frein à la dette ou de la Golden Rule est d’imposer l’équilibre budgétaire structurel ; les excédents ou déficits publics ne peuvent venir que de la situation cyclique de l’économie.
Nous pensons que cette règle présente un certain nombre de défauts et de risque.
N° 1 – Pas de stabilité du taux d’endettement public
Pour que la dette publique rapportée au produit intérieur brut soit stable, il faut qu’on ait :
Déficit public (% du PIB) = dette publique (% PIB) x (croissance en valeur (à moyen terme).
Si on veut que le taux d’endettement public reste stable en moyenne sur le cycle économique, il faut que cette règle soit respectée en moyenne sur le cycle.
En principe, le déficit public moyen sur le cycle est égal au déficit structurel.
Regardons les situations des quatre plus grands pays de la zone euro.
Le déficit cyclique oscille effectivement autour de 0 avec le cycle.
On devrait donc, pour obtenir la stabilité du taux d’endettement public à moyen terme, avoir comme règle non pas un déficit public structurel nul mais un déficit public structurel calculé pour chaque pays comme taux d’endettement x croissance en valeur tendancielle. Notons que jusqu’à la crise, le taux d’endettement public baisse en Espagne et en Italie, est à peu près stable en France et en Allemagne. Une telle règle donnerait aujourd’hui, compte tenu des gains de productivité tendanciels, des perspectives démographiques, des taux d’endettement et d’une prévision de croissance faible du prix du PIB un déficit public structurel ciblé positif et non nul :
- pour l’Allemagne de 75% x 2% = 1,5% du PIB ;
- pour la France de 85% x 2,5% = 2,1% du PIB ;
- pour l’Italie de 120% x 1% = 1,2% du PIB ;
- pour l’Espagne de 60% x 2,3% = 1,4% du PIB.
Ceci implique qu’avec un déficit ciblé nul, les taux d’endettement publics vont continûment diminuer.
N° 2 – Une règle spécifique à chaque pays
Ce qui précède montre qu’une règle budgétaire efficace, assurant la stabilité à moyen terme du taux d’endettement public, ne pourrait pas être une règle simple unique (déficit structurel = 0) mais devrait être spécifique à chaque pays, et serait plus complexe à élaborer puisqu’il faudrait tenir compte des spécificités de chaque pays : niveau d’endettement public, croissance potentielle, démographique…
N° 3 – Difficulté de mesure du déficit structurel
Il est nécessaire que la règle budgétaire soit posée en termes de déficit budgétaire structurel, pour que la politique budgétaire puisse avoir une action contracyclique.
Mais ceci nécessite d’estimer le déficit structurel.
Le déficit cyclique est lié au déficit de production (à l’output gap). Mais le PIB potentiel est difficile à mesurer. Prenons l’exemple de la période récente. Si on extrapole le PIB potentiel d’avant la crise, on obtient des déficits de production (output gap) très importants en 2009 – 2010. Mais la crise a certainement conduit à des destructions de capacité de production : des capacités inemployées (graphique 6a) ont été détruites, délocalisées ; le taux d’investissement des entreprises a beaucoup baissé.
Il y a donc un risque certain de surestimation du PIB potentiel, donc d’erreur sur la nature des déficits publics qui sont structurels et non cycliques
Synthèse : le frein à l’endettement est trop imparfait pour être inscrit dans les constitutions
Imposer que le déficit public structurel soit nul est une amélioration par rapport au Pacte de stabilité et de croissance, mais cette règle est encore imparfaite :
- elle ne stabilise pas le taux d’endettement public, elle conduirait à une disparition, plus ou moins rapide selon les pays des dettes publiques (en pourcentage du PIB) ;
- elle ne tient pas compte des caractéristiques spécifiques des pays ;
- elle pose le problème de la difficulté de mesure des composantes structurelles et cycliques des déficits.
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