par Patrick Artus, Chef économiste, et Evariste Lefeuvre, économiste chez Natixis
La Fed rompt le pacte de l’unité affirmée au G20 de Londres fin 2008 alors que la BCE hésite à franchir le pas d’une nécessaire extension de son champ d’intervention.
La Fed
En s’engageant à maintenir ses taux à 0,25% pour jusqu’à la mi-2013, la Fed a très clairement révélé ses préférences.
L’épisode de QE2 s’était traduit par des sorties massives de capitaux des Etats-Unis vers les émergents. L’accumulation de réserves de change qui a suivi a alimenté la croissance de la liquidité mondiale et provoqué un boom des prix des actifs risqués et des matières premières. L’impact macroéconomique a été désastreux car il a engendré une surchauffe dans les émergents et une ponction sur le pouvoir d’achat de ménages surendettés dans les économies avancées.
La Fed a opté pour une stratégie différente le 9 août : l’engagement à maintenir les taux très bas avec un objectif temporel (mi-2013) illustre clairement ses intentions :
- faire subir aux investisseurs non-résidents l’essentiel de l’ajustement avec la baisse du dollar (les carry trades financés en dollars sont d’autant plus attrayants que la volatilité sur le taux d’intérêt de la monnaie de financement est nulle).
- s’assurer que le déficit public ne soit plus financé par un gonflement de l’actif de la banque centrale mais celui du système bancaire. Les liquidités apportées par les assouplissements quantitatifs précédents n’ayant pas été utilisées pour distribuer du crédit, la stratégie consiste désormais à favoriser la transformation d’échéance auprès du seul agent économique susceptible de s’endetter : le gouvernement (les entreprises sont en situation d’excès de liquidité ; les ménages se désendettent).
L’approche est clairement non-coopérative. Elle peut être vue comme un désir de reflation par les prix d’importation, de réorientation de la demande interne et externe par le taux de change (cette option est hautement improbables, car les salaires ne sont pas indexés aux prix d’importation et continueront d’être déprimés par la faiblesse du marché de l’emploi).
Elle se traduira surtout par un appauvrissement relatif des Etats-Unis (termes de l’échange) et surtout ne règle en rien le problème majeur du pays: le déficit de croissance et de moyens financiers pour soutenir la croissance potentielle. La nature des récents débats sur le plafond de la dette permet de redouter qu’une allocation efficace des ressources puisse permettre de recouvrer un rythme de croissance potentielle supérieure à 2,5%.
La FED est sortie (peut être temporairement), du quantitative easing, la BCE pourrait-elle être forcée d’y rentrer ?
BCE
La BCE a réactivé le Security Market Programme dans un effort de colmatage et de retour au calme sur les dettes périphériques. L’heure n’est plus aux manipulations de taux d’intérêt mais a la recherche d’une solution pérenne. Le SMP a principalement vocation à garantir la liquidité du marché souverain européen. Il ne peut être que temporaire.
Là aussi la BCE repousse dans le temps un problème qui ne sera résolu que par une reforme structurelle : sa capacité à agir massivement, bien au delà des limites qu’elle se fige avec le SMP.
Il faut bien comprendre que cette capacité d’action n’est pas une alternative mais un complément du projet d’émission commune, là aussi une nécessité pour éviter que la fragmentation du marché obligataire souverain s’accompagne de crises souveraines à répétition.
Parce qu’il doit émettre avant d’agir, le FESF ne peut servir de mécanisme de stabilisation. Il est en revanche le candidat principal au projet d’émissions communes – une contorsion institutionnelle décidée en semble le plus a même d’assoir un nécessaire fédéralisme (financier au moins) européen.
La Fed a donc opté pour une solution non coopérative en faisant tout pour laisser filer le dollar (sans résoudre en rien le problème de la croissance potentielle). De son coté, l’unité européenne va dépendre fortement de la capacité de la BCE de renoncer, même temporairement, au dogme de la non-monétisation des dettes publiques.