Fed : entre patience et impatience

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Lors de son FOMC du 18 mars, la Fed s’est finalement décidée à retirer de son langage l’adjectif « patient » qui l’obligeait à maintenir l’objectif des Fed funds inchangé pendant deux meetings. Par cette action, elle s’offre désormais la possibilité d’agir quand elle le souhaite même si, pour éviter une réaction sur les marchés, il a été précisé dans le communiqué qu’une hausse de taux en avril était exclue.

Notre position de longue date sur une première hausse de taux en juin devient crédible alors qu’elle apparaissait farfelue à de nombreux observateurs il y a encore quelques semaines (cf Fed : pourquoi les marchés ne veulent pas y croire ?). Plusieurs questions se posent aujourd’hui sur la politique monétaire de la Fed séparant le normatif (« devrait-elle augmenter les taux ? ») du positif (« va-t-elle le faire ? ») mais rejoignant finalement la même interrogation « l’économie américaine peut-elle supporter un début de normalisation des taux d’intérêt ? ». Il n’y a pas de réponse préétablie dans la mesure où la réaction de l’économie réelle et des marchés dépendra grandement de la façon dont la Fed va sortir de sa politique à taux zéro mais aussi de l’évolution de facteurs extérieurs (pétrole, taux de change,…).

Nous pensons que l’économie américaine peut supporter un changement de cap de la Fed à condition que le resserrement soit très progressif pour éviter un choc sur toute la courbe de taux et sur les marchés plus généralement. Comme nous l’avons déjà mis en avant à plusieurs reprises, il nous semble que, d’une part, la Fed partage cette vision et, d’autre part, qu’elle a à sa disposition les outils nécessaires pour y parvenir (gestion du bilan). Il faut aussi avoir en tête que la modération de la progression du prix d’un certain nombre d’actifs est un objectif de la Fed pour contenir les risques financiers. Rappelons en effet que le S&P500 a pris quasiment 50% depuis début 2013.

La hausse des taux d’intérêt, l’ajustement de la valorisation des actifs risqués et l’appréciation du dollar vont avoir des effets négatifs sur la croissance américaine. Mais le retour vers une croissance plus proche de son rythme potentiel (2%/2,25%) n’est pas un mal en soi lorsque l’on a quasiment absorbé les surcapacités en capital et en travail. A la lecture d’un certain nombre d’indicateurs (taux d’utilisation des capacités, taux de chômage,…), il semblerait en effet que le PIB effectif ne soit plus très éloigné de son niveau tendanciel. En général, la grille de lecture indique que les salaires et les prix commencent à accélérer lorsque l’output gap s’est refermé conduisant à des tensions inflationnistes. Dans le cas présent, ces dernières nous apparaissent limitées à court terme. Les salaires vont vraisemblablement se raffermir mais ne reviendront pas sur les rythmes connus dans le passé en raison du ralentissement de la productivité et de leur faible ajustement à la baisse lors de la crise (rigidité à la baisse). De plus, l’appréciation du dollar renforce les pressions baissières sur les prix. La grosse incertitude porte sur l’évolution du prix du pétrole qui peut rapidement avoir un impact sur l’inflation. Mais, que ce soit à la hausse ou à la baisse, la Fed ne sur-réagit pas à un choc exogène. Toutefois, le rôle d’une banque centrale est d’anticiper les évolutions (forward looking) et non d’y répondre avec retard.

La croissance américaine a été artificiellement soutenue après la crise de 2008 par l’expansionnisme des politiques économiques (stimulus budgétaire et politiques monétaires non conventionnelles) qui a permis de faire repartir la demande intérieure. Les différentes vagues de QE ont conduit à une baisse des taux longs (et hypothécaires), à une reprise du marché immobilier, au maintien du dollar à un bas niveau et à la revalorisation de nombreux actifs, notamment les actions et l’immobilier. La croissance a alors été portée par des effets richesse et la construction. Parallèlement, l’économie américaine profitait de la rapide expansion du gaz de schiste et de ses conséquences positives sur la croissance. Puis, les entreprises se sont remises à investir et à embaucher. La croissance semble aujourd’hui auto- entretenue. L’économie américaine a bien résisté au fiscal cliff1 en 2013, elle devrait pouvoir supporter aujourd’hui le début de resserrement monétaire avec pour conséquence probablement une croissance plus proche de 2% que de 3% dans les années qui viennent. La Fed commence déjà à l’intégrer dans ses projections.

La politique monétaire à taux zéro et les différents QE ont été mis en place alors que l’économie était au fond du trou et que le risque de déflation était élevé. La motivation de la Fed est plus de normaliser la politique monétaire pour l’adapter à une nouvelle situation de façon à éviter la montée de risques financiers et de rester « forward looking », même si les tensions inflationnistes sont aujourd’hui limitées. (cf Fed : sooner than later). Continuer de soutenir artificiellement la croissance comporte probablement aujourd’hui plus de risques que d’avantages…

NOTES

1 Fiscal cliff : réduction du déficit public (extinction de certaines baisses d’impôts et baisse des dépenses publiques).

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