par Christophe Donay, directeur de l'allocation d'actifs et de la recherche macro-économique chez Pictet
La Banque centrale américaine annonce de nouvelles mesures d’assouplissement monétaire. Mais sa consœur européenne se retire de certains plans de soutien à l’économie de la zone euro pour parer à un risque d’inflation, qui nous paraît pourtant bien lointain. Il n’y a donc ni coopération, ni coordination, ni homogénéité d’actions entre les banques centrales.
L’économie mondiale doit faire face à deux découplages majeurs. Le premier concerne les approches fondamentalement différentes opérées par les autorités monétaires et politiques de la zone euro et des Etats-Unis. La première région est animée par la rigueur et la seconde par la poursuite des mesures d’assouplissement. Le deuxième découplage est relatif aux croissances économiques anémiques des pays développés, comparé aux rythmes élevés observés dans les pays émergents.
Le risque de déflation s’éloigne avec QE2
Le 3 novembre, la Réserve fédérale a annoncé une deuxième vague d’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing 2 – QE2) portant sur 600 milliards de dollars. Ce montant sera utilisé à raison d’environ 75 milliards de dollars par mois jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2011. La nature et le rythme des acquisitions seront adaptés à l’évolution de la situation économique.
Cet assouplissement devrait permettre d’alléger les pressions déflationnistes dans l’économie américaine. La croissance au troisième trimestre aux Etats-Unis n’a été que de 2%. C’est insuffisant pour les créations d’emplois. L’objectif de ce remède monétaire consiste à combattre la déflation de manière frontale à travers ses trois canaux de diffusion: 1) l’emploi – il pourrait se retrouver stimulé par l’abaissement du coût moyen du capital des entreprises, 2) le cycle du crédit – il pourrait bénéficier d’une bouffée d’air frais, à condition que les banques tournent rapidement la page des foreclosures, 3) le prix des logements – une stabilisation, voire un début de hausse est envisageable si la Fed réussit à abaisser davantage les taux hypothécaires. Le mouvement pourrait par ailleurs être accentué si le rapport endettement/fonds propres des ménages diminuait à travers la reflation d’autres actifs comme les marchés actions.
Ces mesures monétaires nous paraissent nécessaires pour maintenir le rythme de croissance de l’économie américaine sur son rythme de croisière de 2,0 à 2,5%. Mais elles ne nous semblent pas suffisantes pour relancer l’économie sur son potentiel long terme de 3,0 à 3,5%.
Pour atteindre cette cadence, elles devraient être accompagnées d’un nouveau volet fiscal et budgétaire. A cet égard, une partie des députés les plus conservateurs du Congrès devront revenir sur leurs convictions, c’est-à-dire voter en faveur d’un tel volet.
Le côté fiscal comporte la prolongation éventuelle des réductions d’impôts «Bush», adoptées en 2001 et 2003, et qui arrivent à échéance le 31 décembre prochain. Par ailleurs, le volet budgétaire pourrait se voir étoffé par divers projets de relance, comme celui à hauteur de 50 milliards de dollars, proposé par le président Obama pour la reconstruction de routes, la pose et le maintien de chemins de fer, la réparation de pistes d’aéroport et la mise en œuvre d’un nouveau système de contrôle du trafic aérien.
Deux banques centrales, deux politiques monétaires opposées Le nouveau plan d’assouplissement monétaire, de l’ordre de 600 milliards de dollars, produira une augmentation du bilan de la Fed à 2,6 trillions de dollars environ, soit trois fois plus qu’avant la crise financière. Compte tenu du Zero Interest Rate Policy (ZIRP), QE2 constitue le seul moyen de réduire davantage le stress dans le système économique et financier outre-Atlantique. Un calcul montre qu’une expansion du bilan de la Fed de 500 milliards correspond à une baisse de taux directeur de 50 à 75 points de base.
Un assouplissement quantitatif est nécessaire pour maintenir la croissance, mais pas suffisant pour la relancer
La démarche des autorités monétaires et politiques américaines s’oppose diamétralement à celle que l’on peut observer dans la zone euro. Cette dernière est en effet caractérisée par la mise en place de plans de rigueur budgétaire au sein de nombreux Etats, accompagnés d’un arrêt de plans de relance monétaire. Depuis deux mois environ, la Banque centrale européenne (BCE) a réduit drastiquement ses achats de dette souveraine de pays périphériques en difficulté, tout comme ses injections de liquidités dans le marché interbancaire.
Pour ces raisons, mais aussi parce que la zone euro représente 40% environ du commerce extérieur germanique, l’économie allemande – moteur principal de l’Europe – devrait ralentir ces prochains mois. Les problèmes de financement des pays périphériques (Irlande, Grèce et Portugal principalement) paraissent également loin d’être réglés, dans la mesure où leurs taux de financement restent élevés, à la fois sur les marchés traditionnels ou au sein du European Financial Stability Fund. De plus, la vigueur récente de l’euro n’arrange pas les entreprises exportatrices de l’Union monétaire. La conjugaison de ces phénomènes présage un rythme de croissance atone dans la zone euro, de l’ordre de 1% pour 2011, selon nos estimations.
Deux banques centrales, deux mandats différents
En retirant certaines de ses actions de soutien à l’économie, la BCE entend respecter son mandat, qui consiste à maintenir le taux d’inflation inférieur à 2%. Il convient de relever que l’inflation cœur (hors alimentation et énergie) poursuit sa chute depuis le début de 2009 et que de nombreux observateurs – dont nous faisons partie – se demandent si la BCE n’agit pas de façon prématurée. Le mandat de la BCE diffère de celui de la Fed, dans la mesure où il n’est pas agrémenté d’un objectif de croissance. La Fed doit pour sa part non seulement conduire une politique monétaire pour maintenir l’inflation à un niveau raisonnable de l’ordre de 2% également, mais aussi répondre à un objectif de croissance économique, favorisant l’emploi. Notons cependant que la Fed pourrait ajuster sa tolérance à l’inflation ces prochains trimestres, à un niveau supérieur à 2%. Mais, somme toute, les deux banques centrales sont différentes du point de vue statutaire.
Paradoxalement, dans un contexte économique toujours difficile au sein des économies développées, les pays émergents affichent des taux de croissance économique moyens de l’ordre de 5% à 6%, de plus en plus auto-entretenus car de moins en moins dépendants des exportations. Ces économies se distinguent en effet par des environnements toujours plus propices à l’investissement direct et à la consommation interne. Relevons par ailleurs que depuis le début de la crise financière en 2008, les créations d’emplois dans les pays émergents ont été équivalentes, en pourcentage de la population active mondiale, aux destructions d’emplois américains.
La guerre des devises au programme du prochain G20
Mais les regards restent rivés sur les économies émergentes et sur les pays qui amarrent leur devise sur le dollar américain. La vigueur du yen, des monnaies d’une bonne partie des pays de l’Asie du Sud-est, ainsi que d’Amérique latine, constituent une source de préoccupation. En outre, le cas de la monnaie chinoise – dont le taux de change face au dollar reste artificiellement fixé – ne semble pas prêt d’être résolu, dans la mesure où Pékin détient encore 850 milliards de dollars environ de dette souveraine américaine. Le G20 du 12 novembre prochain pourrait voir la conclusion d’un accord sur l’évolution des changes. Mais cette éventualité nous paraît peu probable, dans la mesure où la dissonance entre les divers Etats reste trop importante.