par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Alors que le comité de politique monétaire de la Réserve Fédérale se réunit les 16 et 17 décembre pour la dernière fois de l’année 2014, va-t-elle se décider à retirer sa fameuse expression « considerable time » qui sépare la fin du QE3 de la première hausse de taux ? Une telle décision constituerait l’étape suivante dans le processus de normalisation de sa politique monétaire, après avoir annoncé la fin de son QE3 lors du dernier FOMC en octobre. Mais la Fed est-elle prête à franchir cette étape dès maintenant ?
La Fed va se retrouver face à un dilemme. Alors que les statistiques sur le front de la croissance et de l’emploi militent pour un changement de discours de la Fed, la chute du prix du pétrole et en corollaire le recul attendu de l’inflation constituent un obstacle.
D’une part, la croissance américaine s’est révélée plus forte que prévu ces deux derniers trimestres. Outre l’amélioration cyclique, la croissance devrait être soutenue à court terme par la baisse du prix du pétrole (cf. flash « Scénario 2015 : quel impact de la baisse des prix du pétrole sur l’économie américaine? »). En parallèle, le marché du travail s’est nettement amélioré au cours des mois passés. Les créations d’emplois ont été très élevées (321K en novembre) et à 5,8% le taux de chômage revient progressivement vers son niveau naturel.
Tous les indicateurs du marché de l’emploi vont dans le même sens. Même les salaires, qui ne montraient aucun signe de tension jusqu’à récemment, commencent à légèrement accélérer d’après les derniers chiffres de taux de salaire horaire (ensemble des salariés) et d’indice du coût de l’emploi publiés. Pour le moment, le phénomène reste modeste mais pourrait s’accentuer en 2015 avec l’absorption progressive des capacités de production. Ainsi, avec une croissance au- dessus de son potentiel, la Fed devrait être tentée de sortir de sa politique monétaire ultra accommodante.
D’autre part, la chute du prix du pétrole va tirer l’inflation américaine à la baisse dans les mois qui viennent. Alors que cette dernière avait eu tendance à augmenter à la fin du printemps pour atteindre 2% cet été, elle a de nouveau reculé à l’automne sous l’effet de la baisse du prix de l’énergie pour se situer à 1,7% en octobre. Elle pourrait rapidement revenir vers 1% en début d’année 2015. La mesure de prix préférée de la Fed, le déflateur de la consommation (PCE déflateur), se situait, quant à elle, à 1,4% en octobre, en deçà de l’objectif de 2% de la Fed. En revanche, les mesures d’inflation sous-jacente ont eu tendance à se renforcer ces derniers mois (1,8% en octobre pour le core CPI et 1,6% pour le core PCE déflateur) et elles ne devraient être que faiblement impactées par la baisse du prix du pétrole. Les éventuels effets de second tour devraient en effet être limités par le dynamisme de la demande.
Si la Fed ne devrait pas réagir à un choc d’offre sur l’inflation, c’est plus l’impact de ce dernier sur les anticipations d’inflation qui pourrait devenir problématique. Fortement corrélées au prix du pétrole, différentes mesures d’anticipation d’inflation se sont ajustées à la baisse. Outre le recul des points morts d’inflation, les anticipations d’inflation à 5 ans dans 5 ans et celles des ménages à 5 ans ont également diminué récemment. Il faut toutefois souligner que de tels mouvements ont déjà été observés dans le passé lorsque le prix du pétrole baissait. Par ailleurs, contrairement à la situation européenne, le risque d’une spirale déflationniste est très faible aux Etats-Unis.
Enfin, la Fed souhaite probablement commencer à normaliser sa politique monétaire en sortant de sa politique à taux 0 avec pour objectif de préserver la stabilité financière. Les différentes politiques quantitatives mises en œuvre ces dernières années ont eu d’importants effets sur les marchés financiers et les prix des différents actifs. Si la revalorisation des actifs était un objectif poursuivi par la Fed de façon à créer des effets richesse, elle souhaite toutefois éviter la création de bulles sur certains marchés.
Au total, la Fed est probablement tiraillée par des forces contraires. Un point, qui peut paraître anecdotique mais qui ne l’est probablement pas, est le fait que le prochain FOMC sera suivi d’une conférence de presse donnant à J. Yellen l’opportunité d’expliquer les choix de la Fed et les éventuels changements de discours. La conférence suivante n’aura lieu qu’en mars. Une fenêtre nous semble ouverte pour passer à l’étape suivante dès cette fin d’année 2014…