Fed : l’heure du changement ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis la crise de Lehman, la Réserve Fédérale américaine n’a cessé d’innover pour rendre sa politique monétaire plus expansionniste, ayant rapidement épuisé la politique de taux (0,25% en décembre 2008). Après la mise en place de facilités de financement ciblées lors de la crise, la Fed a ensuite lancé ses trois vagues de politiques quantitatives qui ont porté la taille de son bilan à 4400Md$ vs environ 900Md$ avant crise. Le QE3 arrive presque à sa fin puisqu’à l’issue de son prochain FOMC (17 septembre), la Fed n’achètera plus que 15Md$ de titres (par mois) pour arrêter totalement fin octobre. Une page se tourne pour la Fed.

Cela ne signifie pas, pour autant, que la tâche de la Fed va être simple. Si la situation économique est clairement moins préoccupante qu’au cours des dernières années avec une amélioration sensible des fondamentaux macroéconomiques – notamment la forte baisse du taux de chômage et le retour de l’inflation vers sa cible – le pilotage de la sortie de la politique monétaire extraordinairement accommodante reste un challenge pour la Fed. Plus que jamais, la communication va être l’instrument privilégié pour tenter de guider les anticipations des agents et éviter des sur-réactions de marché (comme en mai 2013, lorsque B. Bernanke avait évoqué pour la première fois la possibilité de la réduction des achats de titres).

Comme nous le soulignions en juillet1, la Fed va être contrainte d’adapter son discours et sa forward guidance pour tenir compte de la convergence du taux de chômage et de l’inflation vers ses objectifs de long terme. Elle a déjà commencé avec quelques changements sur l’inflation lors de son dernier FOMC (l’inflation s’est approchée de l’objectif de long terme du Comité et le risque baissier sur l’inflation a diminué). Quelles vont être les prochaines étapes ? A la lecture des Minutes du dernier FOMC (30 juillet), certains membres sont en faveur d’un retrait de la caractérisation du degré de sous-utilisation des ressources sur le marché du travail. Dans un premier temps, la Fed pourrait préférer modifier le terme « significant » par un terme plus neutre « some » par exemple. La publication d’un papier de la Fed2 mettant en avant qu’une très grande partie de la faiblesse du taux de participation est structurelle va également dans ce sens.

Le deuxième point qui fait débat est l’éventuel retrait du fameux « considerable time » caractérisant la période entre la fin du QE3 et la première hausse de taux. Rappelons que J. Yellen lors de la conférence de presse du FOMC du 19 mars avait surpris les marchés en répondant que « considerable time » pouvait s’apparenter à 6 mois, suggérant qu’une première hausse de taux pourrait avoir lieu dès mars 2015. Depuis, elle n’a jamais réitéré ce propos.

Plusieurs événements ces derniers temps sont venus alimenter le débat. C. Plosser, président de la Fed de Philadelphie et réputé très hawk, a été pour la première fois cette année dissident au dernier FOMC indiquant qu’il était en faveur du retrait de « considerable time ». De plus, E. Rosengren, président de la Fed de Boston et réputé comme dove, a prononcé un discours dans lequel il se dit en faveur du retrait du « considerable time » pour donner le maximum de flexibilité à la Fed. Si Rosengren participe au débat, il ne fait toutefois pas partie des votants au FOMC cette année. Enfin, la Fed de San Francisco a publié un papier sur les anticipations de politique monétaire mettant en avant que les agents économiques pouvaient mal interpréter la forward guidance et ainsi sous-estimer l’évolution des taux futurs. Il pourrait donc commencer à se former un consensus en faveur d’une plus grande souplesse au sein du FOMC. La faiblesse des créations d’emploi en août pourrait être considérée comme un facteur allant dans le sens de la prudence à court terme mais il nous semble que cette faiblesse doit être nuancée, le ralentissement des créations d’emplois étant concentré sur deux secteurs (commerce/transport et le secteur manufacturier).

Il ne faut donc pas négliger le risque de voir une Fed un peu plus hawkish le 17 septembre. L’implication pour les marchés n’est pas neutre. Aujourd’hui, la première hausse de taux est pricée pour mi-2015 si l’on regarde les contrats Fed Funds futurs. Les marchés pourraient revoir leurs anticipations impliquant un repricing de la partie courte de la courbe US avec probablement un effet haussier sur le long. Par ailleurs, cela renforcerait le mouvement baissier sur l’euro déjà initié par les décisions de la BCE.

NOTES

  1. Cf Edito Eco Hebdo « Fed : vers un changement de wording »
  2. Cf. Fed paper : Labor Force Participation: Recent Developments and Future Prospects

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