Flambée des prix alimentaires : quelles conséquences ?

par Laetitia Baldeschi, Responsable des Etudes et de la Stratégie, Bastien Drut, Responsable de la Macro Stratégie Thématique, et Juliette Cohen, Stratégiste chez CPR AM

Depuis quelques mois, le prix de certaines denrées alimentaires, et en particulier des céréales, s’inscrit en forte hausse. Cette séquence n’est évidemment pas sans rappeler celle de 2010. Les causes et les conséquences de cette hausse des prix des matières premières agricoles sont multiples. Cela s’annonce comme l’un des dossiers à suivre en 2021.

Les prix de certaines matières premières agricoles en forte hausse

Les prix alimentaires ont nettement accéléré sur les trois derniers mois. Ainsi, l’indice des prix alimentaires globaux produit par la FAO (Food and Agriculture Organization) est au plus haut depuis la fin 2014. Cette hausse des prix ne concerne pas tous les produits alimentaires et c’est surtout le prix des céréales et des huiles alimentaires qui a fortement augmenté récemment. En revanche, les pressions sont restées contenues pour le sucre et la viande pour le moment. Cette séquence n’est pas sans rappeler la hausse des prix alimentaires qui avait suivi la crise financière de 2008.

Différentes raisons derrière les hausses de prix de matières premières agricoles

Sur le long terme, les prix agricoles sont déterminés par les conditions de l’offre et de la demande et leur tendance a été baissière depuis le pic des années 1970. En revanche, à plus court terme d’autres déterminants interviennent comme les conditions climatiques, et notamment les sécheresses et inondations, les maladies des végétaux et des animaux et les évolutions des politiques commerciales (droits de douane, quotas…). L’épizootie de peste porcine africaine en Chine en 2018-2019 qui a décimé le cheptel porcin et qui a provoqué une forte hausse des cours du porc en donne une bonne illustration.

Le changement climatique, qui augmente la probabilité d’occurrence de phénomènes extrêmes, pourrait entrainer des variations de prix agricoles plus importantes autour de la tendance de long terme. Au passage, le continent africain apparait comme particulièrement touché par les phénomènes climatiques, avec des sécheresses plus longues et plus graves en lien avec l’augmentation de la fréquence et de la force des événements de la Niña.

Si on se focalise sur les hausses de prix de ces dernières semaines, les facteurs diffèrent selon les denrées. En ce qui concerne les huiles alimentaires, c’estsurtout le prix de l’huile de palme qui flambe avec la décision de l’Indonésie (où se trouve plus de la moitié de la production mondiale) de fortement augmenter la taxation de cette denrée. En effet, l’Indonésie a augmenté cette semaine à la fois les droits de douane et les taxes à l’exportation. La taxe à l’exportation est progressive et va de 55 à 255 $ la tonne selon les cours et était de 180 $ pour le mois de décembre par exemple (pour se faire une idée de la magnitude de la taxe, le prix de la tonne était de 600 $ mi-2020). Il s’agit pour l’Indonésie d’une façon de financer son programme de biocarburants. Le prix de l’huile de palme est au plus haut depuis 8 ans.

En ce qui concerne les céréales, les prix du maïs, du soja et du blé reviennent sur des niveaux non observés depuis 2013/2014. Plusieurs raisons expliquent le phénomène :

  • Plusieurs pays achètent massivement des céréales pour reconstituer des stocks stratégiques, dans lesquels ils ont puisé lors de la crise covid.
  • La Chine reconstitue ses capacités de production de porc (avec la grippe porcine, le nombre de porcs a chuté des deux tiers entre 2018 et 2020 et la Chine a dû importer 10 millions de tonnes de porc en 2020, + 60% par rapport à 2019), ce qui accroit sa demande de soja pour nourrir le bétail. En particulier, les exportations américaines de soja vers la Chine ont fortement augmenté ces derniers mois.
  • La FAO indiquait dans son rapport trimestriel « Perspectives de récoltes et situation alimentaire » de décembre 2020 que le phénomène météorologique La Nina avait dégradé les conditions de culture aux Etats-Unis.
  • Afin de limiter l’inflation domestique, la Russie a mis en place une hausse des taxes à l’exportation pour le blé de 50 euros la tonne du 1er mars au 30 juin alors que la Russie est de loin le premier exportateur mondial de blé. La Russie va également mettre en place une taxe de 10 euros la tonne pour les exportations d’orge et de 25 euros pour les exportations de maïs. La Russie envisagerait de rendre ces taxes à l’exportation permanentes mais, possiblement avec une formule différente.
  • L’Argentine a suspendu ses exportations de maïs jusqu’au 28 février (c’est le 3ème exportateur mondial), notamment pour s’assurer que les industries de la viande auront suffisamment de céréales et pour limiter la hausse des prix…