par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Dans un climat de forte volatilité sur les marchés financiers mondiaux, la réunion de la Réserve Fédérale américaine du 17 juin prochain est hautement attendue par l’ensemble des intervenants. Janet Yellen va devoir réussir un exercice d’équilibriste périlleux, consistant à préparer les marchés à une future hausse de taux (discours nécessairement un peu moins dovish) sans provoquer de choc financier… Mission impossible ? Peut-être pas… En mars, la Fed avait réussi à retirer le fameux « patient » sans engendrer de fortes réactions en maintenant en parallèle un discours relativement dovish.
Toutefois, aujourd’hui la situation est différente car il ne s’agit plus de se délier les mains pour augmenter potentiellement les taux mais d’envoyer un message au marché qu’une hausse devient très probable dans un futur proche. L’émergence de dissidents (deux ou trois ?) au statu quo pourrait être un premier signe.
Il nous semble que la situation est aujourd’hui favorable à un changement de ton de la Fed pour plusieurs raisons.
• La croissance redémarre après le trou d’air du premier trimestre ; en effet, la plupart des indicateurs ont montré une embellie ces dernières semaines (commandes, ventes au détail,…). Les différentes enquêtes sont compatibles avec une croissance proche de 2%/2,5% et les chiffres du commerce extérieur se sont sensiblement améliorés en avril. Après un rapport mitigé en mars, les chiffres de l’emploi ont rebondi en avril/mai avec en moyenne 250K créations de postes par mois.
• Le marché immobilier a montré des signes d’amélioration au cours des derniers mois avec le rebond des mises en chantier et des ventes de maisons et avec une progression des prix immobiliers de l’ordre de 5%/7% en fonction des indices.
• L’absorption des surcapacités productives est bien avancée avec un taux de chômage proche de son niveau naturel (entre 5% et 5,5%) et un taux d’utilisation des capacités de production approchant de sa moyenne de long terme ; l’output gap s’est donc en grande partie résorbé même si nous n’ignorons pas le degré d’incertitude qui porte sur sa mesure précise en temps réels.
• Les salaires commencent à accélérer légèrement ; après une stabilisation sur un rythme proche de 2%, les différentes mesures de salaires montrent les premiers frémissements à la hausse que ce soit l’indice du coût de l’emploi ou encore le taux de salaire horaire de tous les employés.
• Si l’inflation totale est légèrement négative, l’inflation sous-jacente se situe à 1,8%, proche de la cible de la Fed. Autrement dit, l’évolution récente des prix liée à un choc exogène n’est pas un frein pour la Fed. Par ailleurs, les anticipations d’inflation auprès des ménages sont restées bien ancrées et celles ressortant des marchés se sont redressées ces derniers temps.
• Le taux de change ne devrait pas constituer un frein, même si l’évolution du dollar va rester une source de préoccupation pour la Fed.
• Après sept années de politique monétaire ultra-accommodante, la Fed souhaite commencer à sortir des taux zéro. Il y a nécessité aujourd’hui de « normaliser » la politique monétaire pour reconstituer des marges de manœuvre et limiter les risques financiers liés à un excès de liquidité. Toutefois, le processus de normalisation ne ressemblera pas à ceux des précédents cycles, le resserrement monétaire devrait se faire plus progressivement et les taux resteront plus faibles que dans le passé (avec la révision de la croissance potentielle à la baisse).
Le changement de position de la Fed va nécessairement avoir un impact sur les marchés mais l’argument consistant à dire que la Fed ne doit pas augmenter les taux au risque de provoquer un choc sur les marchés nous paraît dangereux car il suggère que la banque centrale a perdu son indépendance, pliant sous le poids de l’influence des marchés financiers impliquant la conduite d’une politique monétaire durablement trop expansionniste.
Pour éviter de provoquer une trop forte remontée des taux longs, tendance qui a déjà commencé ces dernières semaines (le taux 10 ans étant revenu vers 2,50%), et un krach boursier, la Fed peut utiliser d’une part la communication pour rendre plus prévisibles ses décisions mais aussi d’autre part la gestion de son bilan qui compte 2460Md$ de titres du Trésor soit environ 20% du stock.
La Fed doit maintenant passer à l’action.